Semaine 2 - Le vent dans les cheveux
Elora ferme les yeux, refermant la porte dans son dos. Que l’air sent bon ! Elle lève la main pour reserrer l’élastique qui garde ses cheveux attachés, puis avance. La terre sous ses pieds est si moelleuse qu’elle pourrait croire marcher sur un coussin, et les herbes sauvages grimpent jusqu’à ses hanches, glissant entre ses doigts écartés. Elle sourit sous leur caresse.
La jeune femme traverse le champ qui la sépare de la falaise. Les herbes laissent place aux buissons, si commun sur la côte, et si résistants. Leurs petites fleurs plaisent tant à Elora ! Elle touche du bout du doigt l’une d’elle, admirative de sa couleur si pimpante, avant de poursuivre son chemin. Bientôt, les buisons disparaissent à leur tour, et il ne reste plus qu’une herbe courte, mousseuse, dans laquelle ses pieds nus s’enfoncent.
Elora s’approche du bord autant que la prudence le lui dicte, évitant par habitude les cailloux qui pourraient blesser la plante de ses pieds. Elle est sur une pointe rocheuse, et la falaise tombe abrupte à deux dizaines de centimètres de ses orteils, les vagues rugissant à sa base. Relevant la tête, elle ferme les yeux, abandonnant son visage au vent marin. Il souffle fort ce matin, épousant les formes de ses joues, de son front, plaquant ses vêtements contre son corps, se faufilant dans ses cheveux, les dérobant à l’emprise de l’élastique. Il sent bon les embruns et a le goût du sel.
Un goéland crie au-dessus de sa tête et la jeune femme ouvre bruquement les paupières. L’animal est élégant dans le ciel, planant sans effort à l’aide du courant montant. Son plumage blanc tranche devant la masse sombre des nuages alors que son oeil jaune brille. D’une vire grâcieuse, il pique du bec vers l’étendue d’eau, ouvrant les ailes au dernier moment et remontant avec sa prise sûrement prise entre ses serres. Le petit poisson gigote, surpris de passer si soudainement de son milieu aquatique à un vol vingt mètres plus haut, mais il est déjà condamné, car le goéland ne lachera pas son repas. Elora l’observe s’éloigner. Part-il rejoindre une couvée ?
La houle est forte aujourd’hui et l’écume très présente dans tout ce violent brassage. Elle est projetée haut, mais pas suffisamment pour rejoindre Elora. Elle descendrait bien de la falaise, le long du petit chemin de chèvres, comme elle le fait parfois, mais pas cette fois, les conditions sont bien trop dangereuses et ce ne serait guère prudent. Alors elle se contente d’admirer le ressac incessant, ces vagues qui sans cesse s’écrasent contre la falaise blanche. De temps à autre, elle peut voir un poisson plus gros - et peut-être aussi plus téméraire - que les autres sauter hors de l’eau. Le mouvement de l’océan est hypnotique et la jeune femme enfonce ses talons dans le sol pour ne pas commencer à tanguer. C’est que ça serait bête de rompre la magie en tombant de la falaise ! La chute serait belle - un point de vue incroyable, elle en est sûre ! - mais ce ne serait qu’un aller sans retour et elle n’en veut pas, tant pis pour la vision fantastique.
Son regard dérive vers l’horizon, où l’océan rencontre le ciel. Leurs couleurs sont si proches qu’ils se confondent en une seule et unique masse à la palette grise. Comme c’est beau ! Sur sa droite, Elora remarque le front pluvieux qui approche. L’eau tombe telle des cordes vers la mer qui l’a faite naître. Bientôt, la pluie sera là. Edora recule d’un pas, ajoutant une petite distance de sécurité avec le bord de la falaise. Ce n’est pas encore suffisant, elle le sait, mais c’est si beau ! Elle ne veut pas manquer une goutte d’écume.
Les vagues se lèvent et s’écrasent dans ce rythme si joli, presque mélodieux qu’elle aime tant. Elles gonflent alors que le vent se lève. Les cheveux de la jeune femme suivent le mouvement, s’échappant pour de bon. Elle les ignore, savourant cette sensation de pure liberté. Le sourire n’a pas quitté ses lèvres.
Quand les premières perles d’eau touchent son visage, il s’étire plus encore. Quel délicieux contact ! Si froid, et pourtant si chaud, si puissant, et pourtant si doux. La pluie s’abat autour d’elle, plongeant la falaise dans une obscurité presque surnaturelle, comme si un dieu marin avait décidé de baisser le rideau. L’eau traverse ses vêtements, atteint sa peau. Elle écarte les bras, s’offrant aux éléments. Quelle exultation !
Puis, enfin, à regret, Elora recule. Il ne faut pas tenter le sort, même si l’envie de rester là, sous la pluie, dans le vent, est si présente. Elle envoie un baiser vers l’océan, tourne les talons et s’éloigne, rejoignant lentement le couvert de sa maison.
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