Semaine 4 - Toujours sa faute
- Tu en dis quoi Layal ?
Simaõ se tourne vers son jumeau, soulevant avec soin la carte qu’il a dessinée. Layal lève distraitement la tête et observe d’un oeil curieux et admiratif le tracé enfantin des côtes d’Almas. Son frère a essayé de les retranscrire aussi fidèlement que possible à partir de la grande carte que leur père leur a donnée. Il leur a dit qu’un dirigeant connaît par coeur son pays, et Simaõ l’a pris au mot.
- C’est joli, s’extasie Layal.
Simaõ sourit, heureux de son approbation. Il a toujours eu la compagnie de son jumeau et, d’aussi loin qu’il s’en souvienne, il n’a jamais voulu être séparé de lui. Layal est sa moitié, sans lui il ne se sent jamais complet. Une petite main tire son bras et il baisse les yeux, découvrant avec exaspération le visage de sa petite soeur.
- Pas maintenant Sauni, tu vois bien qu’on est occupés !
La fillette tend les bras vers lui, une moue sur le visage.
- Je veux voir… siteuplait ?
Simaõ plaque le dessin contre la table, le cachant à la vue de Sauni.
- Ce n’est pas de ton âge, réplique le garçon, agacé.
Que pourrait comprendre une gamine de trois ans après tout ? Elle est encore trop petite pour comprendre l’importance de la géographie, alors elle est trop petite pour jouer avec Layal et lui. Simaõ se lève et prend Sauni dans ses bras pour la porter hors de la pièce. Elle ne sait pas encore tourner les poignées rondes, aussi les laissera-t-elle tranquilles. Alors qu’il revient vers la table de dessin, Simaõ remarque le regard réprobateur de son frère.
- Qu’est-ce que j’ai fait ?
Il est inquiet, il ne veut pas décevoir son frère idolâtré. Layal soupire, haussant les épaules.
- Elle veut juste jouer un peu avec nous, c’est si mal que ça ?
- C’est pas mal en soi, mais elle détruit tout ce qu’elle touche, tu te souviens de notre joli bateau ?
Layal grimace au souvenir de la belle maquette que leur oncle leur avait offert, réduite en morceaux par les mains potelées de Sauni.
- Non, assène Simaõ, elle est trop petite pour jouer avec nous.
Layal n’ajoute rien, reconnaissant malgré lui que son frère a raison. L’attention des deux garçons revient vers leurs dessins quand ils sont à nouveau interrompus par l’entrée de leur gouvernante. Le temps qu’elle essuie une trace de feutre sur le visage de Simaõ et qu’elle redresse le col de Layal, les portes s’ouvrent pour laisser le passage au roi d’Almas, suivi de près par son épouse qui porte Sauni contre elle, grimaçant au plus grand plaisir de la petite.
Simaõ saute sur ses pieds en levant son dessin, tout fier de lui :
- Papa papa tu as vu ma carte ?
Un large sourire aux lèvres, le roi s’accroupit pour se mettre à son niveau et attrape au passage la feuille pour la stabiliser. Il glisse un bras autour de la taille de son fils avant d’observer de plus près son oeuvre.
- Il est très joli ton dessin Simaõ, tu as fait des grands progrès en précision !
Puis il pointe du doigt une sorte de gribouilli bleu.
- Mais par contre, pourquoi as-tu mis une vache dans ton océan ? Elle s’est perdue ?
Simaõ se tient bien droit, fier du compliment de son père, mais roule les yeux en entendant son commentaire.
- Mais c’est pas une vache papa, c’est une baleine ! Et tu vois, je lui ai ajouté des jambes à la baleine pour qu’elle puisse marcher sur l’eau !
- Eh bien elle est très belle ta baleine.
Le roi plaque un baiser sur la tempe de son fils qui laisse échapper un rire de contentement. De l’autre côté de la table, la reine s’est penchée sur le dessin de Layal, calant Sauni contre sa hanche. La petite joue avec son collier.
- Vous avez appris beaucoup de choses aujourd’hui les garçons ? demande-t-elle alors qu’elle s’assoit sur un canapé.
Elle pose Sauni à terre et l'enfant se glisse sous la table pour attraper un feutre tombé. Layal s’installe à côté de leur mère mais laisse Simaõ répondre en premier, comme il le fait toujours.
- Oui, on a appris beaucoup beaucoup de choses ! On a eu de la géographie sur le Désert Blanc dans le sud ce matin, et de la musique après manger !
- Et Madame Weyla ne nous a pas grondé une seule fois parce qu’on a été très sages, ajoute Layal.
La gouvernante, qui se fait toujours discrète lors des réunions du soir, approuve les paroles du garçon et ce dernier sourit largement. La reine le serre contre elle avant de poser de nouvelles questions, alternant entre les cours et leurs jeux.
Simaõ se sent heureux, entouré de ses parents, eux qui sont si visiblement fiers de Layal et lui. Son père a toujours un bras autour de lui, il sent bon les fleurs du jardin, et le garçon ne veut être nul part ailleurs. Sa famille est la meilleure, et comme il aime ces moments où il peut avoir l’attention de ses parents ! Ils sont très occupés par les affaires du royaume, Simaõ le sait, mais ils trouvent toujours moyen de passer deux ou trois heures avec leurs enfants le soir, pour entendre leur journée et les embrasser avant qu’ils n’aillent dormir, et le garçon attend toujours avec impatience de les avoir rien que pour lui, de ne pas avoir à les partager avec un pays tout entier.
Puis un cri perçant brise sa quiétude. Il regarde avec ébêtement son père et sa mère se redresser en panique pour aller voir ce qui ne va pas du côté de Sauni. La petite a refermé trop rapidement le feutre et un petit morceau de peau est resté coincé sous le bouchon. Elle pleure maintenant, plus effrayée par la surprise que par la douleur elle-même, qui a déjà disparu.
Simaõ baisse les épaules, défait. Comme d’habitude, il faut que Sauni gâche tout ! Il tire sur le bras de son père, quémandeur d’attention ; lui aussi il veut en recevoir !
- Viens papa, je veux te faire écouter la musique que Layal et moi on a apprise aujourd’hui !
- Pas maintenant Simaõ, tu vois bien que ta petite soeur s’est fait mal. Plus tard, d’accord ?
Déçu, Simaõ recule. Sauni, toujours Sauni. Layal glisse du canapé et prend sa main. Le garçon la serre, rassuré par la présence de son frère. Lui au moins ne l’abandonne pas ! Et il ne l’abandonnera jamais, Simaõ en est sûr.
Les deux garçons restent immobiles côte à côte alors que leur père sort de la pièce, emportant la filette dans ses bras. La reine se tourne vers ses fils, un sourire aux lèvres. Elle s’accroupit devant eux, la main sur l’épaule de Layal.
- Papa est allé coucher Sauni, il reviendra après, d’accord ?
Simaõ sait parfaitement qu’après avoir couché Sauni, qui voudra qu’il lui lise une histoire, ou peut-être même deux, son père sera à nouveau attrapé par l’un de ses conseillers pour régler une quelconque affaire urgente qui ne peut pas attendre le lendemain. Pour ce soir donc, c’est trop tard, il ne pourra pas leur donner plus de temps. Simaõ fait la moue. C’est Sauni, c’est toujours Sauni. Avant qu’elle ne naisse, Layal et lui avaient leurs parents rien que pour eux, et tout allait si bien ! Mais maintenant c’est toujours Sauni ici, Sauni par là, et ils n’ont presque plus de temps libre pour leurs fils.
Sa mère se relève et se frotte les mains.
- Bon, et si on allait écouter ton morceau Simaõ ?
Le garçon attrape la main qu’elle lui tend et la suit jusqu’au petit salon de musique, mais l’envie est partie avec son père. Ce n’est pas pareil s’il n’est pas là. Layal s’installe à côté de lui sur le large tabouret. Ils ont appris une petite mélodie à quatre mains cet après-midi, et ils se réjouissaient tant à l’idée de la jouer pour leurs parents ! Mais maintenant, il n’y a que leur mère.
Simaõ enfonce les premières touches en tentant de repousser sa déception.
Annotations
Versions