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Stéphanie

Miami — un an plus tôt —12 Juillet 2010

Assise sur le ponton en bois, face à la mer, mon regard se perd sur cette immensité où les reflets du soleil ondoient et scintillent joliment en cette fin d'après-midi. Une légère brise transporte quelques mèches de mes cheveux, tandis que, écouteurs vissés aux oreilles sur du Metallica, mon esprit divague. Une eau turquoise à perte de vue, une sublime odeur de monoï flotte dans l'air et me voilà déjà au paradis.

En apparence.

Cela fait trois mois que je bosse en tant que serveuse au Memphis, un bar lounge situé sur South Beach. Ed, le patron du bar, un Français tout comme moi, a accepté de m'embaucher et cela m'a valu l'obtention d'un visa E2. Le genre de laisser-passer qui me laisse le temps de préparer mon projet : celui d'exercer mon métier
d'Infirmière aux États Unis. Évidemment, il ne suffit pas de brandir fièrement mon diplôme pour exiger illico une place au sein du plus prestigieux Hôpital de Miami. Surtout lorsqu'on est une expatriée Française, comme moi. De nombreuses formalités — à m'en donner le tournis — m'attendent. Non seulement rien n'est simple, dans ce pays, mais en plus, l'improbable complique le possible.

Pff.

Mais c'est le prix à payer lorsqu'on souhaite vivre aux States.

Ma rêverie terminée, je constate tristement que l'heure de reprendre le boulot a sonné. Blasée, je ramasse mes affaires, arpentant le chemin du retour, le sac en toile frottant mes jambes nues.

*****

En voiture, vitre légèrement baissée, je fonce sur l'autoroute en direction de Miami Beach, ville insulaire. Roulant à vitesse modérée, le trafic est dense mais je parviens à rejoindre les lieux en trois quarts d'heure. Ce qui est un exploit. Triturant mes ongles laqués de noir, je patiente quelques minutes, à la sortie d'autoroute. L'anxiété me ronge l'esprit et la peur d'arriver à la bourre prend le dessus.

Mais avance !

Agacée, je m'insurge contre un individu qui, manifestement, ne sait pas conduire une voiture avec 400 chevaux sous le capot. Réduite à le suivre, je peste ouvertement lorsque, soulagée, il s'engage enfin sur la droite.

C'est pas trop tôt.

Traversant la longue avenue, je repère enfin un parking et m'y engouffre dans l'espoir exceptionnel de trouver une place. Me rongeant les doigts, je déniche enfin une place parfaite dédiée à mon Alfa Romeo. Aucun risque que l'idiot à la civic à côté, donne des coups de portière. Les places sont suffisamment spacieuses pour pouvoir sortir librement de sa voiture sans se contorsionner, outrageusement.

Cet endroit longe une immense plage de sable blanc, paradis idyllique des surfeurs en cette saison. Les palmiers en bordure de route trompent mon esprit avec leurs avant-goûts de villégiature. Me voilà à quelques mètres de mon lieu de travail et mon cœur ne cesse de tambouriner. Continuant de dévorer mon ongle, envahie par l'anxiété, je compte les minutes qui me sépare de ma destination.

Je me rapproche d'Ocean Drive, une rue typique de Miami Beach regorgeant de restaurants, boutiques et bar à thème. Le Memphis, dont les lettres lumineuses apparaissent déjà du bout de la longue avenue, est entouré de lieux à l'apparence parfaite et où le maître mot est « distinction ». Il parvient à attirer des clients à la popularité édifiante et réussit à se faire une place au milieu de cette opulence de richesses : des Camaro, en passant par des mustang, mais aussi des Rolls Royce longent la grande rue laissant descendre des personnalités à l'apparence étudiée : stars, ambassadeurs...

À côté d'eux, j'ai presque l'air d'une plouc avec mon jean used et mon teeshirt trop moulant.

La foule devient oppressante mais je parviens à me frayer un chemin. Des regards se promènent vers moi, me faisant presque regretter mon identité. Nullement intéressée, je choisis d'incarner la personne que je suis, sans artifice aucun. Malgré ça, je me sens toute petite, engoncée dans cette simplicité qui est la mienne. N'ayant pas pour habitude de croiser des gens bourrés de fric, je me sens tout à coup étouffée par tant de masquerade. Leur côté factice me met fortement mal à l'aise et m'agace.

Que l'on me regarde de haut me pince le cœur.

Essayant de paraître hermétique à tous regards désobligeants, je longe le pas et aperçois les abords du Memphis, avec sa terrasse bondée de monde. Je râle contre celui qui me bouscule délibérément, peste contre l'un qui manque de m'assommer et insulte l'autre qui me piétine et retire ma chaussure. Au bord du gouffre, j'atteins mes limites. La terrasse éblouissante du Memphis se dresse enfin sous mes yeux. Mon anxiété grandissante diminue à mesure que je m'en rapproche. Ici, les horaires sont respectés scrupuleusement et le moindre faux pas, pourrait conduire tous mes efforts à néant. Je tiens à garder ce job.

Soulagée, je pénètre dans l'enceinte du bar et récupère mon calme en félicitant intérieurement pour ma ponctualité. Les guirlandes lumineuses déjà éclairées courent sur ses charpentes en bois, offrant une ambiance à la fois accueillante et intimiste. Donnant sur la plage d'Océan Drive, le bar réunit une clientèle à la fois jeune et plus âgée affalée sur des banquettes tressées recouvertes de coussins moelleux. Le côté épurée et raffinée des lieux popularise l'établissement, régulièrement fréquenté. Néanmoins, il se démarque des coins select qui l'entourent par son côté non conventionnel. Et je m'y sens vraiment à mon aise.

A peine entrée, l'inquiétude m'abandonne et je rejoins promptement le comptoir d'un pas léger. L'ambiance des lieux y est pour quelque chose : un éclairage tamisé par des photophores, un air de Miles Davis, en sourdine, et la magie opère sur moi. Le patron, Ed, est un passionné de Jazz, détient une collection impressionnante de musiques. Cet endroit est devenu mon passeport assuré pour les États Unis dès l'instant où il a accepté de m'embaucher. Une occasion unique et c'est pour cette raison que je tiens à y rester.

Contournant les tables, face à la scène, je remarque un groupe en train de préparer leur prestation. Parfois, Ed se plaît à casser la tradition en invitant des groupes Indé en pleine ascension. C'est précisément cet effet de surprise qu'aiment les clients.

Enchaînant les cocktails, James, un homme de 25 ans, fait voler les verres avec agilité. Sous ses airs languides, il se démène aux côtés du patron, un grand homme, la trentaine, brun aux yeux marrons. Tous deux ont l'habitude de servir au comptoir. Sous ses airs cool et détendu, Ed tient à préserver une équipe soudée et efficace. Soudain, deux paires d'yeux me repèrent, interrompant mon examen :

— Hey... c'est sympa que tu aies pu venir en avance, me lance Ed en souriant.
— Je me suis souvenue qu'un concert se déroule ce soir et je voulais aider à la mise en place.
— C'est cool de ta part miss ! Vous êtes 3 serveuses ce soir, et avec nous deux au bar, ça devrait le faire !

Le pied en feu, je me faufile en directions des vestiaires, en boitant légèrement. Si un énergumène ne m'avait pas outrageusement écrasé le pied, je ne m'en plaindrai pas. En dépit de cela, je desserre mes lacets et emprunte le chemin du comptoir. Mes nombreux aller retour vont me faire souffrir et je dois m'armer de courage.

Je scanne la salle du regard, évaluant les derniers préparatifs à réaliser et rejoins mon équipe. Leur
accueil chaleureux me touche vraiment. Bien que mes échanges avec eux soient parfois encore compliqués du fait que je ne maîtrise pas totalement la langue Anglaise, je fais de mon mieux pour me mêler à leur groupe. J'ai encore quelques difficultés à comprendre les blagues et le langage familier mais ils m'aident beaucoup. Malgré cela, j'ai eu envie de baisser les bras plus d'une fois mais j'ai toujours su persévérer, soutenue par ma famille et mes collègues. Cela fait trois mois que je bosse au sein de l'établissement et commence lentement à m'y faire.

Les préparatifs touchant à leur fin, les premiers essais micro se font entendre et une nuée de monde se précipite à l'intérieur, occupants aussi bien le comptoir que les places assises. Les lumières douces du bar diminuent enfin faisant place aux faisceaux lumineux tantôt violets et tantôt bleutés qui éclairent le plateau.

Armée de mon carnet, j'arpente les allées, note les commandes et les transmet aux barmans. En sueur et exténuée, je m'accorde une pause et jette un regard furtif du côté du groupe composé d'un chanteur, un guitariste, un batteur et un bassiste. Leurs essais étant terminés, l'endroit est plongé dans le noir et seule la scène est illuminée. Signe distinctif du début du concert, Miles Davis a cessé de tourner en boucle.

Les premières notes jouées plongent la salle dans un silence presque parfait. Laissant les membres du groupe s'échauffer d'abord avec la première chanson, le regard des clients reste braqué sur la scène. Progressivement et au fil du concert, les sourires et les compliments fusent de tous côtés. L'enthousiasme se fait sentir et l'ambiance se réchauffe.

Les clients ne cessent de consommer, applaudissant le groupe. Leur style rock indé est assez attrayant et l'engouement récolté, leur permet une notoriété qui n'est pas négligeable. Les verres défilent sur le zinc, nous obligeant à sillonner la salle de tous côtés. La chaleur est telle que le jean colle à ma peau et l'air en de devient suffocant. Mélangé à une bonne dose de fumée de cigarettes, on obtient un cocktail détonnant. C'est l'asphyxie assurée.

Mon pied frotte contre ma chaussure et, indubitablement, je peine à rejoindre les quelques mètres qui me sépare du bar. Cesser toute activité reviendrait à renoncer à mon boulot, alors je poursuis sans relâche et oublie la cloque qui est en train de se former dans ma godasse.

A la fin de leur prestation, les acclamations jaillissent de tous côtés. Quelques personnes se pressent à leur rencontre pendant que les plus hardis revendiquent des autographes. Les membres échangent également avec Ed et après les remerciements, commencent à démonter leur matériel puis à le charger dans une grosse camionnette. Miles Davis reprend la place qui est sienne, occupant tout l'espace.

Le groupe finit par s'installer à une table privatisée, partageant quelques bières. Ce n'est que vers une heure du matin qu'ils quittent l'enceinte du lounge pendant que le service se poursuit. Vers trois heures, les derniers clients ayant quittés les lieux, nous commençons à ranger.

Avant de rentrer, nous avons l'habitude de boire une bière au bord de la plage afin de debriefer sur la soirée et résoudre les problèmes. Assise depuis quelques minutes, je décroche discrètement ma chaussure et me masse le pied doucement. Si je me tords de douleur, face à eux, je montre une attitude décontractée. Les plus audacieux prennent un bain de mer, les autres profitent de se détendre. Je finis par leur fausser compagnie et prendre le chemin du retour, épuisée.

Enfonçant mes pieds dans le sable, mes jambes ne me tiennent plus, mais je réussis à regagner mon véhicule.

Arrivée dans ma chambre, j'ingurgite plusieurs verre d'eau fraîche, ôte mes baskets et me plonge dans mon lit. Après plusieurs minutes immobiles, le matelas s'enfonce et m'entoure d'une douceur cotonneuse.

Mon esprit fatigué continue de gamberger au sujet de mon avenir, étalant les nombreuses démarches à accomplir afin d'exercer le métier d'Infirmière aux États Unis. Sur la route de la réussite, se dresse l'administration et ses papiers à n'en plus finir, une motivation sans faille, sans compter les revers que je risque de prendre en pleine face. Au sein d'une nation qui ne paie pas les gens à se tourner les pouces, je me dois de foncer avec acharnement vers mes ambitions.
Consciente que mes progrès en Anglais joueront un rôle primordial, mais pas seulement, je sais aussi que tout peut s'arrêter du jour au lendemain.

Sur ce point, Kate s'est proposée de m'aider en ne parlant exclusivement qu'en Anglais. Pas entièrement, assurément, puisque mon père ne parle que Français. Il bredouille quelques mots et formules de politesse mais rien de plus. Kate étant adjointe du maire de Miami, elle s'occupe aussi du tourisme et parle cinq langues dont la mienne.

Un mois que je découvre la vie Américaine et ses revers ; si les personnes sont extrêmement sociables avec les étrangers et les expatriés, il est nécessaire de se faire une place parmi eux.

~ Nenei : Dangerous woman

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