Friendship
Chris
- août 2011 - Los angeles
Vautré sur le canapé, à regarder de vieilles photos durant une bonne partie de la nuit, j'en ai oublié de me coucher dans mon lit. Une foule de souvenirs que j'ai aimés me remémorer.
Béverly. Même si j'ai accepté qu'elle ne reviendra plus, cela n'empêche pas le manque. Aussi, j'ai rompu tout lien avec mon paternel, le tenant particulièrement responsable de sa fin tragique. Écouter ses mensonges est au dessus de mes forces et j'ai passé l'âge.
******
Des coups rapprochés me tirent de ma léthargie. Il me faut bien cinq bonnes minutes pour émerger de mon coma matinal — avec un terrible mal de crâne en prime — et réaliser que c'est bien à ma porte qu'on frappe avec autant de conviction.
— J'arrive ... hurlé-je en me levant du canapé.
Jaugeant l'heure à la pendule, la nuit a glissé rapidement pour faire place au lendemain. Une bouteille de vieux bourbon à moitié pleine trône sur ma table basse, des photos éparpillées ...
J'ai la tête dans un étau. .
Somnolent, j'ai juste envie de calme et d'un café. Ça tambourine encore, au point que les gonds de ma porte vont finir par céder. Je suis curieux de découvrir quel est le bourrin qui ose me réveiller d'une telle façon. Agacé, je tire la poignée, et là, sur le seuil de ma porte, une blonde d'environ ma taille, deux billes claires fixées sur moi, de tient devant moi : June. Armée d'un sac et de son charmant sourire, ses yeux azurs m'observent à la dérobé avant qu'elle ne finisse par me sauter au cou. Je rabats automatiquement mes bras sur elle ; Elle m'avait manqué. Un mois que je ne l'ai pas vue à cause de nos obligations personnelles. Lorsqu'elle eut fini son étreinte, elle recule de quelques pas et me toise une nouvelle fois.
— Toi, t'as picolé et dormi dans tes vêtements !
— Euh ... ouais. C'est exact, dis-je un peu gêné en baissant la tête pour m'aviser de l'accoutrement désordonné.
— Et tu ferais bien de prendre une douche ! Ajoute-t-elle sans ménagement.
— ... je suis content de te voir moi aussi, June... mais qu'est-ce que tu fais là ?
— Tu as oublié qu'on devait se voir ? Je t'ai dis que je venais ce week-end...
Ma mémoire me fait défaut mais en fouillant bien au fond de mon cerveau encore comateux, je me souviens effectivement de ce détail. Mon amie soupire de dépit et pénètre fièrement dans mon appartement en me poussant légèrement sur le côté.
June est une amie d'enfance et rien ne s'est jamais passé entre nous tout simplement parce que je la considère comme une sœur et il en est de même de son côté. On veille l'un sur l'autre.
Immanquablement, j'examine une deuxième fois mon allure débraillée et mes vêtements froissés par une nuit peu confortable sur mon canapé. Effectivement, elle a raison. Puis je lève la tête vers elle. June inspecte le salon, se lamente devant une bouteille d'alcool et les vestiges d'une soirée de déprime. Ses allées et venues vers la poubelle me sortent de ma torpeur et, avant de subir ses foudres, je m'avance, mains dans les poches.
— Tu veux un café ?
— Laisse ! lance-t-elle d'un mouvement de main, je vais me débrouiller avec ton italienne. On se connaît bien, elle et moi. Toi, va te changer, pour l'amour du ciel !
— Je croyais que tu aimais les hommes débraillés, dis-je moqueur.
— Hum... mais pas qui sentent l'alcool à 10 000 km à la ronde, mime-t-elle en faisant une grimace de dégoût.
Sa mine déconfite m'arrache un rire. Alors je tente une approche en déposant un bisou sur sa joue mais elle me chasse avec révulsion. J'abandonne donc ma meilleure amie pour m'enfermer dans la salle de bain avec des vêtements propres. L'eau chaude a l'avantage de noyer mes angoisses et les laisser aux oubliettes. Du moins, quelques heures.
J'enfile mes fringues, opère un rasage approximatif et attache mes cheveux. La prochaine étape est la machine à café ; ce concentré en caféine qui a le don de réveiller n'importe quel homme sur terre. Lors de sa préparation, je guette June, assise tranquillement avec un mug de café. Le calme apparent m'incite à tenter une approche amicale. Elle étudie mon apparence et étire enfin un sourire.
Sans blague.
— Alors tu aimes les belles bagnoles à présent ? me nargue-t-elle.
— Parce qu'avant je n'aimais pas ça ? je lui demande en souriant.
— Enfin... oui ... mais j'ai juste vu ce magasine sur ta table basse, précise-t-elle, et j'adore ton parfum, continue-t-elle en m'adressant un clin d'œil.
— Ça se tient. J'aime les belles cylindrées, June, sans que ça soit une obsession non plus. Et merci, c'est toujours le même.
— Dis-moi que tu ne joues pas de l'argent, Chris! s'inquiète-t-elle en fronçant légèrement les sourcils.
— Je ne fais pas de "tuning" et déteste tout ce folklore. J'aime juste la pousser un peu fort de temps en temps, montrer ce qu'elle a sous le capot mais ça s'arrête là.
Elle soupire longuement avant d'avaler une gorgée de son cappuccino, me lance un regard désapprobateur puis admire enfin les courbures d'une mustang. Elle sait que parfois j'abuse de la vitesse et ça l'inquiète. Saisissant aussitôt mon téléphone, je lui montre la Ford cougar dont j'ai fais l'acquisition. L'azur de ses yeux dévie aussitôt vers la photo. Elle délaisse le magazine, saisit ensuite mon mobile comme s'il s'agissait d'un objet précieux, puis fait défiler les photos une à une. June me jette un regard narquois avant de plisser les yeux, sans mots dire.
— Elle est belle, en effet. Pourrais-je la conduire ? demande-t-elle avec une moue boudeuse.
— Jamais !
— Aurais-je droit de faire un tour, alors ?
— Absolument mais uniquement le soir.
— Pourquoi donc ? interroge-t-elle.
— Elle déteste les rayons du soleil et adore la nuit, réponds-je en lui adressant un clin d'œil.
Sa bouche s'ourle d'un sourire. Mon amie sait combien je suis soigneux de mes affaires et une fois nos cafés terminés, je l'emmène voir la belle dans son garage. Fier de mon véhicule, je fais découvrir aussi bien l'intérieur que le moteur en la dispensant des détails techniques, dont elle n'a que faire. La jolie blonde n'est pas une passionnée de voitures mais elle sait apprécier ce qui est beau : Le vintage n'a rien à envier au récent.
Puis ses yeux céruléens se sont posés sur moi, interrogatifs et j'ai senti que je ne pouvais pas y échapper. La question fatidique est arrivé et de fil en aiguille, elle a fini par m'interroger sur mes états d'âmes, me conduisant à lui mentir sur les démons qui animent le fond de mon cœur et sur mon état.
— Comment tu vas ?
— Très bien, un peu fatigué de mon boulot mais à part ça, tout va bien.
— Ça fait un mois que je te vois pas ! Je me contente de quelques messages par ci par là, j'ai le droit de m'inquiéter..
June me fixe si intensément et baisse les yeux comme si elle souffrait la réponse. Connaissant mon goût irrésistible pour l'introspection, mon amie se borne seulement à acquiescer doucement puis à sourire tristement. Elle sait bien que je n'avouerai rien mais en revanche, elle se chargera de le faire, au moment opportun.
J'oriente alors peu à peu la discussion vers la cylindrée de mon automobile, certain de la perdre suffisamment pour qu'elle me laisse tranquille avec mes états d'âme. L'après-midi s'égrènent rapidement au milieu des détails techniques qu'elle ne maîtrise pas mais qui ont l'air de la fasciner. Le ciel se noircit progressivement sans que nous y prêtions attention.
Après avoir sorti mon bolide du garage, nous roulons sur Highland Park et descendons sur Silver Lake. Le ronronnement de mon automobile couvre nos échanges mais nous en avons l'habitude. June fait allusion à des monceaux de souvenirs qui nous renvoient pas si loin que ça. Nous arrivons bientôt devant le Stout Burgers and Beers, proche d'Hollywood.
— Ça te dit qu'on mange là ? Ça fait une éternité que je n'y suis pas allée, me supplie-t-elle avec un petit clin d'œil.
Elle sort quelques anecdotes, de vieux dossiers oubliés, planqués quelques part au fond de ma mémoire.
June est la meilleure pour énoncer les moments inoubliables du passé et m'arracher un sourire. On traînait souvent ici avec nos amis. Et Bev en faisait partie. Y revenir, c'est comme faire ressurgir les fantômes de jadis, leur redonner vie, en quelques sorte.
L'endroit est à mi-chemin entre le pub irlandais garnis de bières en tous genre, et du snack renommé proposant des menus inédits. Les boiseries sombres ont été rénovées et les plantes s'acoquinent encore avec les poutres et les lumières du bar. L'enseigne est suffisamment visiblement pour que les gens l'ignore.
La belle blonde me précède, tandis qu'une vague de souvenirs me souffle en pleine tête. La boule au ventre, je suis ma pétulante amie. Son humeur pétillante et communicative m'avait manqué et la revoir me donne le goût d'avancer. Définitivement. La vie n'est pas faite de choses qu'on aime et les épreuves sont là pour nous faire évoluer. C'est à travers elle, que je saisis toutes ces choses. Malgré tous les obstacles qu'elle a traversés, elle trouve encore le moyen de garder le sourire. Et ce, en toute circonstance.
La commande prise, June me jauge quelques minutes ; Elle énonce mes traits tirés, mes yeux cernés et ses questions suivent, inévitablement.
— Dis-moi ce qui t'arrive ! Tu ne peux pas jouer le jeu avec moi, Christopher. Il se passe quoi ?
L'heure est grave. Quand elle prononce mon prénom en entier, cela signifie qu'elle ne plaisante pas le moins du monde. Aucune échappatoire possible ou bien le purgatoire. J'essaie le mensonge.
— Je vais bien June.
— Hum ... je n'en suis pas si sûre. A voir l'allure déplorable que tu te tenais ce matin et je passe le reste ...
Forcé de constater que je me trouve au pied du mur, je cède enfin. Il est inutile de lui mentir plus longtemps, elle est pire que la CIA et le FBI réunis. Heureusement, le serveur apporte notre commande, me laissant le temps nécessaire pour avouer la suite.
— OK. Je cogite pas mal ces derniers temps...
Un Burger végétarien et un Burger Poulet, accompagnés de frites, qui laissent la blonde perdue entre sa faim accablante et son insatiable envie de décortiquer mes pensées. Ça dure juste le temps de crocher dans son sandwich, puis elle lève les yeux vers moi :
— Tu te poses des questions sur quoi ?
— Tu le sais... on en a parlé des nuits entières...
Elle soupire longuement, semble réfléchir quelques secondes avant de s'élancer dans des représailles. En prévention, j'avale une gorgée de Guinness afin de faire illusion sur les émotions qui doivent déjà trahir sur mon visage. Et comme la blonde ne poursuis pas,
j'enchaîne sur son projet d'entrée en Ecole de danse professionnelle : sa passion pure. Elle m'explique ainsi qu'elle prépare sa prestation sur le nocturne de Chopin. Je n'ai jamais douté de ses talents en la matière et je suis content qu'elle poursuive son rêve. June est une parfaite Infirmière des Urgences au Southern California Hospital. Son idéal serait de troquer son uniforme contre une vie de danseuse professionnelle. Tout en dévorant nos menus, elle m'expose ses envies et ses doutes jusqu'à ce qu'elle se rende compte de la supercherie.
Évidemment, pendant que ses yeux brillent à la simple énonciation du mot « Danse », elle néglige son idée première qui était de me bombarder de questions jusqu'à épuisement.Échangeant un regard, nos rires prennent enfin toute la place.
— Chris, ... J'aimerais que tu passes à autres choses et ça ne veut pas dire de l'oublier. Tu comprends ?
— Je le sais, soufflè-je en serrant les dents.
Ses prunelles azurées ne me lâchent pas. Elle fait sûrement référence aux nombreuses relations non abouties ; comme à chaque fois, l'attirance que j'éprouve ne dure pas et mes sentiments s'étiolent de semaine et semaine. Je n'y peux rien. La blonde prend une intonation plus sérieuse, plongeant son regard dans le mien.
— Les soirées de déprime à faire défiler des souvenirs ne sont pas le bon remède. Si tu continues dans ce sens, tu vas replonger et je n'y tiens pas !
Son regard est aussi perçant qu'un coup de poignard et ses mots sonnent comme une lourde prophétie. Mais derrière ce flot de remontrances, se devine une inquiétude latente. Le coup d'uppercut atteint mon esprit et je rends les armes.
— OK, hier j'ai un peu bu, et j'ai eu envie de regarder certaines photos. Surtout parce que ça fera trois ans demain, j'y pense beaucoup.
— Moi aussi, j'y pense, Chris ! Et je suis comme toi, mais la vie continue.
Elle a raison mais malgré tout, je ne parviens pas à rester avec une fille. Pendant qu'elle étale la notion d'un célibat passager, j'obtempère un Mea Culpa : chercher l'irremplaçable est impossible.
Et dans ce fouillis, j'en oubli de m'enquérir de ses nouvelles. Si elle déborde de positivisme, ma meilleure amie cache des démons bien enfouis sous une épaisse couche de sourires. La connaissant, il n'est pas dit qu'elle se laisse raconter aussi volontiers. Elle est bien plus dure de caractère que je ne le suis. Et ce soir, à voir ses iris étincelants et son babillage facile, elle n'est pas prête à se livrer.
Enchaînant les bières, les vapeurs éthyliques ont raison de ma lucidité. June déborde d'allégresse et son don de ramener les choses à l'essentiel, me communique la joie de vivre qui me fait défaut. Malgré un état de gaieté avancée, je réussis à nous ramener chez moi, sain et sauf.
Sautillante, la blonde pénètre dans mon appartement, se débarrasse de son blouson pendant que je retire mes chaussures. Devant l'entrée, bras croisés je l'observe se saisir d'une bouteille de vodka sagement rangée au fond du meuble de mon salon et la disposer sur la table basse. Je récupère deux verres et m'installe à ses côtés.
J'aime ces moments à la fin d'une soirée lorsqu'on se pose pour partager encore quelques paroles et complicités. Bien que je sache où cela va me mener, je m'y laisse guider tranquillement. L'esprit embué par l'alcool, il m'est impossible de refuser quoique ce soit.
June prend la parole, me berce de mots amusants et me fixe de ses yeux rieurs. Puis vient le moment où son regard ne joue plus et où elle le plante avec autorité dans le mien.
— Chris, je sais ce que tu ressens au fond de toi... tu veux une deuxième Beverly. Tu te dis que ce sera plus facile ainsi mais je t'assure que non. Rien n'est pire que de vouloir un double qui n'existe pas...
Elle se stoppe et le silence prend toute la place. Mon regard se pose sur le goulot de ma bière, en espérant qu'elle ait pitié de moi mais ce serait mal connaître la blonde au regard de glace. Dans ces moments-là elle est vraiment comme ça.
— Une partie d'elle, vivra toujours en toi et personne ne l'oubliera. Cela ne t'empêche pas de vivre autres choses et ne la cherche en personne...
Être mis à nu aussi facilement me désespère autant que cela me gêne. Comment lui dire qu'en apparence je donne l'illusion d'aller bien mais qu'en réalité, le poison de la mélancolie me ronge et que lorsque la solitude m'entoure, je repense à elle. Dois je avouer que, oui, elle est partout, que je n'ai de cesse de la chercher dans chaque regard que je croise ? Refusant d'avouer quoique ce soit, je me plonge dans le mutisme et descends une partie de mon verre de vodka. Il irrite mon palais et anesthésie un peu plus la douleur. Insatiable, elle poursuit et n'abandonne pas son but ultime.
— prends le temps qu'il faudra mais ne t'obstine pas à avancer dans l'ombre...
C'est comme un coup de poignard qu'on reçoit en plein cœur. Une blessure qu'on voudrait oublier mais qui refait surface avec son lot de tristesse. Le silence lui répond. Et déguisant à la perfection mon ressenti, je verse un fond de vodka dans chaque verre pendant que June s'occupe de verser le jus de citron vert.
Elle m'accorde enfin un répit ; le lâcher prise. Le genre de choses dont j'ai besoin. Elle attrape son verre, l'entrechoque avec le mien puis plonge ses prunelles au fond des miennes. Un regard complice qui veut tout dire. Elle sait que j'ai compris sans en ajouter davantage.
Trois shots de vodka plus tard, la fatigue pointe le bout de son nez. Ayant prêté ma chambre à June, je me suis allongé dans mon canapé et l'alcool a fait le reste, me plongeant dans un profond sommeil.
Ayant prêté ma chambre à June, je me suis allongé dans mon canapé et l'alcool a fait le reste, me plongeant dans un profond sommeil
~Ye Ali- Dangerous ~
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