Le récit de James Corvus
Je suis assise dans l'une des pièces de l'arbre principal de la cité des elfes. Le roi Almach a en effet accepté de nous héberger pour cette nuit, mais il a déclaré que nous devrions repartir demain matin.
Seul Azur, allongé sur mes genoux, me tient compagnie. Je caresse ses écailles vertes en regardant par la fenêtre. Je repense à Chiara, à sa bonté et à son courage. Son corps a été enterré dans la forêt. Une pierre tombale a été érigée, sur laquelle est inscrit : "Ci-git Chiara, la plus courageuse et aimable des louves-garous." Arwen a décoré cette pierre tombale de jolis perce-neige et nous nous sommes promis d'aller nous recueillir sur sa tombe à chaque pleine lune.
La porte s'ouvre et mon tuteur entre dans la pièce. Il avance jusqu'à moi, avant de s'asseoir à mes côtés, en silence. Après plusieurs secondes, il prend enfin la parole :
- Je ne voulais pas vous révéler la vérité parce que je craignais que cela ne vous pousse à commettre une bêtise, mais en fin de compte, c'est mon refus de vous en parler qui a engendré des problèmes. Est-ce que vous êtes prête à savoir ?
Je hoche calmement la tête. Il commence donc son récit :
- J'ai un frère jumeau. Il s'appelle John. Nous avons grandi ensemble et, lorsque nous avons atteint l'âge nécessaire, nous sommes entrés ensemble à l'école de sorcellerie de la ville des sorciers. C'est là-bas que j'ai rencontré mon meilleur ami, William Superbum. John, quant à lui, ne s'est pas fait d'amis. Cela ne l'intéressait pas. Il préférait s'entrainer encore et encore à la maitrise de la sorcellerie. En grandissant, il se révoltait de plus en plus contre certaines lois de notre monde qui ne lui plaisaient pas. Il disait sans cesse qu'un jour, il changerait tout cela. Au début, je pensais naïvement que ses intentions étaient bonnes et qu'il avait simplement pour but de créer un monde plus juste, alors je l'encourageais. Cependant, j'ai fini par remarquer qu'il s'intéressait aussi à la magie noire. Je l'ai averti de sa dangerosité et du fait qu'il n'avait pas besoin de s'en servir pour réaliser son objectif, mais il ne m'écoutait pas et me reprochait de ne pas le soutenir dans son projet alors que j'étais son frère. Je ne voulais pas croire que John puisse être une mauvaise personne alors je me disais sans cesse que ce n'était qu'une phase de sa rébellion adolescente et qu'il laissera rapidement tomber tout cela, mais je me suis lourdement trompé . . . Les années sont passées et mon ami William s'est marié. Il a épousé une sorcière qu'il a rencontré dans l'école de sorcellerie. Elle s'appelait Éléna et descendait du clan du Basilic. Ce nom a été donné à cette famille en raison du pouvoir hypnotisant de leurs yeux. La légende raconte qu'ils l'auraient hérité du Basilic lui-même. En raison de ce pouvoir, les membres de ce clan sont craints par certains, détestés par d'autres ou encore respectés et admirés par le reste, mais Éléna, par sa bonté et sa gentillesse, a su gagner l'affection et le respect de la majorité des élèves de l'école. Seule une minorité s'en prenait à elle, mais elle était défendue par ceux dont elle a su gagner l'amitié, en particulier William. Ils se sont donc mariés peu de temps après avoir fini leurs études et l'annonce de la grossesse n'a pas tardé. Un jour, peu de temps avant la naissance de l'enfant, mon ami est venu me voir pour me parler de John. Il le soupçonnait de convoiter le pouvoir de son épouse et craignait pour elle et l'enfant à venir. Aveuglé par l'affection que je portais à mon jumeau, je n'ai pas voulu croire aux paroles de William et je lui ai aussitôt rétorqué qu'il se faisait du souci pour rien car John n'était pas un monstre et ne ferait jamais de mal à personne. Mon ami, qui avait une entière confiance en moi, m'a cru et est reparti sereinement. Le jour de la naissance de l'enfant est arrivé. C'était une jolie petite fille. Elle a hérité de la chevelure dorée de son père et des yeux couleur émeraude de sa mère. Nous savions donc qu'elle possédait le pouvoir héréditaire du clan du Basilic. William et Éléna étaient au comble du bonheur et je partageais leur joie. Hélas, le soir-même, j'ai été réveillé par un terrible cauchemar dans lequel j'entendais les pleurs d'un enfant et la voix de mon ami qui m'appelait. Cela m'a aussitôt empli d'un mauvais pressentiment et j'ai accouru à leur maison pour m'assurer de leur état. La porte était entrouverte et des cris féminins, mélangés aux pleurs d'un nourrisson, accompagnaient les bruits d'un combat acharné. Je me suis précipité dans le logement et, en bas des escaliers, j'ai trouvé le corps sans vie de mon ami William. J'étais sous le choc, mais les bruits provenant de l'étage m'ont ramené à la réalité et j'ai monté les escaliers aussi vite que possible, mais ce n'était pas assez. Lorsque je suis arrivé en haut, j'ai assisté à un terrible spectacle. J'ai vu mon frère pointer sa baguette sur Éléna, qui était tombée au sol, et lancer le sortilège interdit de la mort. Elle a poussé un horrible cri avant de s'immobiliser. Ses pupilles étaient dilatées et ses yeux, grands ouverts, fixaient un point invisible. Elle était morte. Je me souviens avoir levé des yeux pleins d'incrédulité et d'horreur vers mon frère, mais ce dernier ne m'a même pas regardé. Il s'est contenté de soupirer :
- Enfin.
Puis il s'est dirigé vers le berceau où le nourrisson pleurait toujours à chaudes larmes. Au moment où il a pointé sa baguette sur l'enfant, je me suis dépêché de sortir la mienne pour le désarmer. Il m'a regardé avec des yeux pleins de colère et m'a crié :
- Ne te mets pas en travers de ma route ! Sinon, je te tuerai aussi !
- Qu'est-ce qui te prend, bon sang ? ! Est-ce que tu te rends compte de ce que tu viens de faire ? !
- Oui, je m'en rends parfaitement compte.
- Alors pourquoi ? !
- Ces yeux, dit-il en pointant du doigt l'enfant, sont la clé pour atteindre enfin mon but ultime. Leur pouvoir est inestimable et en m'en emparant, je pourrais enfin faire naitre le monde dont je rêve.
- Je ne te laisserai pas faire, pauvre fou !
- Alors prépare-toi à mourir !
Un combat sans merci s'est engagé entre nous deux. Je n'aurai jamais imaginé pouvoir affronter mon frère un jour, mais j'étais poussé par la rage que je ressentais envers celui qui venait de me trahir et tuer mes amis. John, quant à lui, était certes puissant, mais déjà bien affaibli par le combat qu'il a dû mener contre William et son épouse, qui, comme vous vous en doutez, ne se sont pas laissé tuer aussi facilement. Il fatiguait à vue d'oeil et, au moment, où j'allais lancer le sortilège qui devait mettre fin à ce combat, il a disparu dans un nuage de fumée. Il s'était enfui.
Je me suis laissé tomber au sol, mais je n'avais pas le temps de pleurer la mort de mes amis. Il fallait que je réflechisse à ce que je devais faire. J'ai d'abord décidé de détruire le corps d'Éléna, afin que John ne puisse pas revenir s'emparer de ses yeux et, après avoir enterré le corps de William, j'ai pris l'enfant et l'ai emmené dans le monde rationnel. Je me suis dit que John ne penserait pas tout de suite à la chercher là-bas et qu'elle serait donc en sécurité pendant un petit moment. Je l'ai laissée devant les portes d'un orphelinat londonnien et je suis reparti d'où j'étais venu, en me promettant que, le moment venu, je reviendrai la chercher. Savez-vous comment s'appelle cette enfant ?
- Emma Superbum, dis-je dans un souffle.
James Corvus acquiesce.
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