L'envol
J’ai reçu sa lettre hier. J’ai pris le courrier dans la boîte aux lettres machinalement, comme tous les soirs. J’ai commencé à regarder chaque enveloppe une par une en montant l’escalier. Entre deux prospectus pour les hypermarchés du coin et la facture de mon téléphone portable, il y avait sa lettre. J’ai tout de suite reconnu son écriture sur l’enveloppe.
David était dans la même classe que moi au lycée, de la seconde jusqu’en terminale. Nous avions d’abord été de bons copains, on s’entendait bien, on discutait ensemble de temps en temps. Nous nous sommes rapprochés pendant les révisions du bac français, en fin de première. Nous avions révisé ensemble, nous sommes devenus amis. En terminale, il y eut des périodes où nous étions inséparables, et d’autres où nous étions en froid après des disputes banales sur des sujets sans importance.
À cette époque, je n’avais pas encore mis un nom sur ce que je ressentais pour lui, sur ce qui me poussait vers lui et parfois me le faisait haïr.
Aujourd’hui, je sais que j’étais amoureux de lui.
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J’ai relu sa lettre une bonne dizaine de fois depuis hier soir. Il dit qu’il regrette l’époque du lycée, notre amitié. Il souhaite me revoir, il voudrait me parler de quelque chose d’important.
Il m’a donné dans sa lettre plusieurs moyens de le joindre. J’ai choisi de lui écrire un mail : c’est rapide, et cela m’évite l’angoisse d’un coup de téléphone. Je lui ai dit que cela me ferait plaisir de le revoir, je lui ai donné mon numéro de portable pour qu’il m’appelle et qu’on convienne d’un rendez-vous.
J’attends sa réponse, je clique sur l’icône « envoyer / recevoir » de mon logiciel de messagerie toutes les vingt secondes pour voir s’il m’a répondu. Je vérifie que mon portable est allumé, qu’il est bien connecté au réseau. Mon cœur bat très vite, très fort.
* * * * *
Le téléphone a enfin sonné. Sa voix n’a pas vraiment changé. Nous avions rendez-vous cet après-midi dans un café du centre-ville. Il est arrivé quelques minutes après moi. Je l’ai vu arriver de loin, je l’ai reconnu aussitôt. Il est beau, c’est quelque chose que je n’avais pas vraiment remarqué au lycée. Il me plaisait, tout simplement.
Nous avons pris un café. Nous avons échangé quelques banalités, nous avons parlé des bons souvenirs que nous avons gardés du lycée. C’était il y a trois ans et beaucoup de choses ont changé pour nous depuis. Après le bac, il est allé étudier dans une ville, moi dans une autre, nous avions perdu contact.
Il me propose d’aller chez lui, ce sera plus tranquille pour discuter. Il a un appartement à cinq minutes du centre-ville.
Une heure plus tard, il m’a tout dit. Il a des maux de tête de plus en plus violents depuis plusieurs mois. Il a enfin consulté son médecin traitant il y a deux semaines. Après des examens poussés à l’hôpital, la sentence est tombée : tumeur au cerveau, inopérable. Un traitement douloureux et exigeant peut prolonger sa vie de quelques mois, il n’est pas sûr que cela en vaille la peine.
Je suis sous le choc. David propose d’aller se promener dans le quartier, pour prendre l’air. La marche est silencieuse. Je marche à côté de lui, lentement. J’ai envie de le prendre par la main. J’ai envie de le prendre dans mes bras, de lui dire tout ce que je ne lui ai pas dit au lycée.
De retour chez lui, il m’explique qu’il n’a pas eu de meilleur ami que moi depuis le lycée, qu’il espère qu’il peut compter sur moi. Les prochaines semaines, les prochains mois peut-être, seront difficiles. Je le rassure, je serai là.
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Il a pleuré ce soir. Nous avions dîné chez lui. Après le repas, il n’a pas voulu que je parte. Il pleurait, il avait peur de rester seul. Je suis resté, évidemment.
Il s’est allongé dans son lit, m’a proposé de m’allonger à ses côtés. Il s’est endormi, ma main dans la sienne, après avoir longuement évoqué des souvenirs du lycée. Je l’ai regardé dormir. Encore une fois j’avais envie de le prendre dans mes bras. J’ai osé caresser sa joue.
Je me suis endormi un peu plus tard. Il m’a réveillé ce matin, il avait préparé le petit déjeuner.
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Il a fait un malaise ce matin. Une ambulance l’a conduit à l’hôpital. Ils l’ont gardé en observation, il pourra sans doute rentrer chez lui demain.
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Il m’a dit « je t’aime » avant de s’endormir. Il dort près de vingt heures par jour. Je reste à son chevet, en alternance avec ses parents. Quand il est éveillé, il est très faible, il parle lentement et doucement. Il me parle des fous rires que nous avions en cours de biologie, en première. De la douce folie de notre professeur de mathématiques, en seconde. De notre sympathique prof d’histoire, avec qui nous discutions souvent après les cours en terminale.
Il y a quelques semaines, il m’avait dit que ce serait peut-être plus douloureux pour moi que pour lui. J’espère pour lui qu’il avait raison.
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