23.Sarah

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Avril 2004, la maison de mon ex-cellule familiale. Cela faisait trois mois que mes filles étaient sans nouvelles de moi.

  • Noooon, je veux pas !
  • Sarah ! Viens ici tout de suite !
  • Non, non et non !
  • Sarah ! 

Valériane courait après Sarah depuis plus de dix minutes dans toute la maison. Pourtant, elle n'en avait pas vraiment le temps. Son train devait l'emmener à Paris pour assister un congrès une heure plus tard. Elle avait demandé à sa mère, que les enfants surnommait affectueusement Biancamina, de venir s'occuper des filles en son absence. Mais Sarah en avait décidé autrement. Elle s'enferma dans la chambre et refusa d'ouvrir à qui que ce soit. Morgane tambourina à son tour à la porte, sans plus de succès que sa mère.

  • Sarah, reprit Valériane, Biancamina va arriver d'un instant à l'autre. Sors de cette chambre immédiatement !
  • Non, je veux pas voir Biancamina...
  • Sarah, tu sais que j'ai un train à prendre ; tu sais que je n'ai pas le choix. On en a parlé toutes les trois, vous étiez d'accord pour que Biancamina vienne vous garder...
  • Je veux mon papa !
  • Tu sais très bien que ce n'est pas possible, ma chérie. Ouvre-moi la porte, s'il te plait.
  • Je veux mon papaaaaa ! hurla la fillette.
  • Sarah, si tu n'ouvres pas cette porte, je vais me vraiment me fâcher !

Valériane s'agaçait. Le ton montait imperceptiblement. Sarah reprochait à sa mère de l'empêcher de me voir. Morgane s'en fichait, elle avait tiré un trait sur moi. Pas Sarah. Devant le refus de mon ex-femme, elle se mit à tout casser dans la chambre et à crier sa rage de plus belle. Morgane se réfugia dans les jupons de Valériane, devenue blême et désemparée face à la situation. L'arrivée de Biancamina ne résolut rien. Valériane dut se rendre à l'évidence : elle avait besoin de moi.

 

9 heures du matin. La sonnerie de mon téléphone portable m'extirpa d'un sommeil profond. Elsa et moi-même nous étions couchés tard la veille. Nous profitions du week-end pour faire une grasse matinée que l'on pouvait imaginer coquine entre deux réveils câlins. Je pris le combiné entre les mains et observa l'affichage de l'écran : "portable Val". Je soupirai mais décrochai le téléphone malgré tout :

  • Valériane ? Que me vaut l'honneur de cet appel matinal ?
  • Patrick, il faut que tu me rendes un service?
  • Quoi ? Attends, tu te fous de moi là !
  • Non, je t'assure que je suis très sérieuse...
  • Ca fait des mois que tu m'ignores, que tu ne réponds ni à mes coups de fil ni à mes mails, et tu voudrais que je te rende un service, moi ? Tu peux toujours aller te faire mettre...

Ma petite provocation n'eut pas l'effet escompté.

  • Avec Sarah, je ne sais plus comment faire...

Sa voix s'était brisée. Valériane était à bout. Elle reprit :

  •  J'ai un congrès à Paris ce week-end, et je vais rater mon train si je ne trouve pas une solution dans la demi-heure.
  • Val, calme-toi, je ne comprends rien de ce que tu dis.
  • Ta fille refuse d'être gardée par quelqu'un d'autre que toi, elle te réclame, et je ne peux pas laisser Biancamina gérer la crise toute seule.
  • Qu'attends-tu de moi ?
  • Que tu viennes chercher Sarah et que tu t'en occupes jusqu'à dimanche soir.
  • Ca ne m'arrange pas. J'avais prévu un week-end coquin avec ma dulcinée.Tu aurais pu me prévenir avant afin que je m'organise...
  • Tu n'as pas changé, tu ne penses qu'à tes galipettes avec cette traînée ! Figure-toi que j'étais à mille lieues d'imaginer que Sarah allait me faire ce genre de caprice...
  • Tu ne récoltes que ce que tu as semé, Valériane...
  • Cesse de faire de l'esprit ! Je peux compter sur toi ou pas ?
  • Oui, tu peux. J'arrive dans une heure...
  • Une heure ? Tu ne peux te libérer avant ?
  • Non. Je suis à poil. Il faut donc que je me douche, je m'habille. Et comme je bande au réveil, je vais honorer Elsa avant de ne plus pouvoir le faire du week-end.
  • Tu n'es vraiment qu'un pervers ! Je me demande si c'est une bonne idée de te confier ma fille...
  • Tu n'as pas vraiment le choix ! répondis-je, narquois.
  • De toute façon, nous ne nous verrons pas, et ce n'est pas plus mal, puisque j'ai un train à prendre. Biancamina t'accueillera et c'est elle qui récupérera Sarah dimanche soir.
  • Dame Blanche ! Non, pas question ! 

Dame Blanche était le surnom dont j'avais affublé ma belle-mère en raison de ses tenues toujours impeccablement immaculées, de son attitude très hautaine et de sa préférence pour ce dessert glacé. Glacées, telles étaient nos relations depuis le jour où j'avais jeté mon dévolu sur sa fille. D'ailleurs, aucun prétendant n'aurait jamais été assez bien à ses yeux... Valériane poursuivit:

  • Patrick, je ne vais pas épiloguer. Biancamina assurera l'intérim. Et Sarah a besoin de toi...
  • Ca te coûte de me dire ça, non ?
  • Franchement oui !
  • En un sens, je suis plutôt content. Tu n'as réussi à détourner qu' une seule de mes filles, pas Sarah. On ne manipule pas les enfants comme des marionnettes, elles ne sont pas des jouets, les instruments de ta vengeance ratée. On ne peut pas gagner à tous les coups Val. 

Valériane raccrocha, probablement vexée de ma demi-victoire. J'arborai un sourire de satisfaction, puis me blottis contre le corps chaud d'Elsa, manifestant ainsi mes intentions. Elle se laissa faire, entre soumission résignée et demi-sommeil.

 

Après m'être douché et habillé en hâte, je roulai à vive allure vers mon ancienne demeure. Quelques minutes plus tard, je sonnai à la porte d'un pavillon qui m'était familier mais dont je n'avais plus les clés. Dame Blanche m'ouvrit la porte d'entrée et m'invita à entrer.

  • Où est Sarah ?
  • Dans sa chambre, elle refuse de m'ouvrir...
  • Ce n'est pas vraiment étonnant, Dame Blanche...
  • Dis-moi, toi le père si parfait, pourquoi ne vas-tu pas embrasser Morgane dans le salon ? Elle est aussi ta fille il me semble !
  • Elle ne veut pas me voir...
  • Tu n'as rien fait pour peut-être ?
  • Ecoutez-moi bien, Dame Blanche, je suis là pour résoudre un problème. Si vous vous sentez apte à lui faire face en solitaire, libre à vous. Je rentre chez moi...
  • Arrêtons nos chamailleries de gamins, Patrick, Sarah ne va pas bien. Votre séparation lui pèse. Elle a besoin de toi.
  • J'y vais. 

Je longeai le couloir jusqu'à la chambre de mes filles. J'entendis les sanglots étouffés de Sarah. Je frappai à la porte :

  •  Sarah, c'est papa ; ouvre-moi ma chérie.

Les petits pas résonnèrent sur le parquet ciré de la pièce, la poignée de porte s'abaissa et ma fille apparut dans le chambranle. Les larmes coulaient toujours sur ses joues, mais ses pleurs étaient devenus silencieux. Je m'agenouillai devant elle et ouvris mes bras pour qu'elle s'y blottisse. Le câlin fut intense, comme pour rattraper le temps perdu. Nous quittâmes la maison main dans la main sans mot dire. Morgane et Dame Blanche restèrent sous le choc.

 

A peine arrivés dans mon appartement, Sarah courut dans toutes les pièces pour s'approprier mon univers. Dans ma chambre, elle s'arrêta net en découvrant Elsa paressant nue dans mon lit :

  • Qui c'est, elle ?
  • Bonjour, je m'appelle Elsa, et toi tu dois être Sarah.
  • Papa, qu'est-ce qu'elle fait dans ton lit à la place de maman ?
  • Sarah, Elsa est désormais mon amoureuse. Maman et moi, nous sommes séparés, tu le sais.
  • Je veux qu'elle s'en aille, et vite !
  • Sarah !
  • Non, ce n'est rien, Patrick. Sa réaction est normale. Je vais vous laisser. Juste le temps de prendre une douche et de sauter dans des vêtements, et je m'en vais.
  • Non, je veux qu'elle s'en aille tout de suite !
  • Sarah!
  • C'est bon, Patrick, t'inquiète. Je ne veux pas contrarier ta fille. 

Elsa enfila promptement string, soutien-gorge, jean et chemisier. Elle tenta d'embrasser Sarah sur la joue, mais ma fille se déroba. Elle eut davantage de succès avec moi, puis claqua la porte, me laissant seul avec mon petit démon.

  • Tu n'as pas été très gentille avec Elsa, dis-moi...
  • Et alors ? Elle n'est pas ma mère ! Je n'ai pas à la supporter ! Tu n'as qu'à la voir quand je ne suis pas là...
  • Tu vas me jouer ton sale caractère pendant longtemps ? Je te signale qu'on a deux jours à passer ensemble !
  • Ouais, et ça c'est trop bien ! Tu m'emmènes au Mac-Do ? Allez, s'il te plaît, dis oui...

Malgré ses caprices, nos moments de complicité père-fille passèrent à une vitesse vertigineuse. Je faisais tout pour qu'elle ne s'ennuie pas une seule seconde. Je la ramenai le dimanche soir, non sans avoir essuyé une nouvelle crise de larmes. Mes rapports avec Dame Blanche et Valériane étaient toujours aussi froids. Néanmoins, cette dernière me remercia de m'être occupé de Sarah. Avant de reprendre le volant, j'essayai de joindre Elsa, en vain. Je craignais que les propos de Sarah n'aient durablement blessés ma dulcinée.

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