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La soirée se déroula comme si de vieux amis s'étaient retrouvés. On dîna sous des récits d’anecdotes hilarantes entrecoupés de "passe-moi le sel" par-ci et "encore un peu plus de sauce" par-là.

Fanny s'était enfin détendue et discutait avec Jimmy comme s'il était un ami de longue date, argumentant sur divers thèmes avec ténacité ou donnant des conseils juridiques sur les questions de droits à l'image ou de vie privée, Jimmy l'écoutant avec attention.

Andreas lui parla de son passionnant métier et lui montra avec fierté, sur son portable, les projets auxquels il avait participé. Plus Jimmy lui montrait de l’intérêt, plus il gonflait le torse comme un coq.

Je me sentis mise à l'écart même si je participais à chaque conversation, que je rigolais à chaque anecdote. Tout tournait autour de la brillante Fanny, du talentueux Andreas ou du fascinant Jimmy.

Que pouvais-je ajouter? Que je passais ma journée clouée derrière un bureau à répondre au téléphone, réceptionner les patients impatients du cabinet ? Que la plus grande des responsabilités qu'on avait osé me confier, c'était d'aider la comptable quand elle était débordée ?

Je les regardai soudain discuter. Ma pétillante sœur parlait avec passion son bras posé sur l'épaule d'Andreas qui la regardait avec amour. J'avais l'impression de ne pas être de la même famille. Ils étaient si beaux, si brillants, si passionnants. Pourquoi étais-je si différente, si effacée? Où et quand avais-je merdé ?

J'avais rencontré mon ex-mari à l'âge de 17 ans sur les bancs du lycée. J'avais entamé avec lui les études de médecine, un peu pour le suivre et un peu pour faire plaisir à ma mère. Elle rêvait de voir ses filles médecins ou avocates. J'avais arrêté mes études assez rapidement, me rendant compte que ce n'était absolument pas ce que je voulais faire. La quête maternelle du rang social s'était évanouie avec moi. Je ne vis pas de déception sur le visage de ma mère mais plutôt un regard de mépris ; rien de bien ne pouvait venir de moi. Quelle fierté pour elle quand ma sœur passait toutes les étapes de son parcours juridique avec brio.

J'aurais peut-être dû continuer mes études. Suivre ce chemin. J'aurais peut-être été une autre personne. J'aurais peut-être brillé en société. Je n'aurais peut-être pas divorcé.


Le rire de Jimmy me sortit de mon introspection. Apparemment, Andreas avait raconté une blague et je ris à gorge déployée sans en avoir saisi la chute. Quelle idiote.

Cendrillon s'était largement transformée en citrouille quand nous décidâmes enfin d'aller nous coucher, éreintés par une journée riche en émotions.

Cette fois, Jimmy ne dormit pas dans la même chambre que moi. "Les circonstances sont différentes, à présent. Ce ne serait pas très convenable", avait-il dit en souriant. Le canapé lui avait donc été préparé et chacun monta dans sa chambre. Je n'avais pas à cacher ma déception car j'étais plutôt rassurée. Je me serais sentie mal à l'aise seule avec lui dans une chambre. Même si, pour m'aider à m'endormir, j'avais échafaudé quelques scénarios plus ou moins érotiques dont il était le héros, je le remerciais intérieurement d’avoir été si gentleman.

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