Chapitre 11 : l'accident

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Le son de l'alarme se répercutait sur les murs blancs de la pièce d'évaluation. Galata se tenait sur sa chaise, tremblant comme une feuille. Elle ne sut expliquer ce qu'il lui était arrivé mais jamais de sa vie elle n'avait vécu une expérience aussi étrange. Il lui était impossible de définir si cela était agréable ou désagréable. Elle essaya de se lever mais ses jambes se dérobèrent et elle se rattrapa de justesse en s'accrochant aux accoudoirs du siège. La tête lui tourna violemment, comme si elle avait été sur un carrousel incontrôlable.

Se tenant fermement aux accoudoirs, elle attendit que le tournis s'en aille, puis, dans un effort presque surhumain, réussi à se lever doucement. Elle avait l'impression de se réveiller d’un court sommeil et son désir était de pouvoir se coucher dans son lit.

Lentement, elle regarda autour d'elle. L'appareil servant à évaluer le potentiel lumière dégageait de la fumée et une forte odeur d'électronique brûlé. Derrière elle, sur la mezzanine, une espèce de brouillard avait envahi l'espace. Le professeur, le capitaine et les jeunes aspirants se relevèrent un à un, comme s'ils avaient subi un tremblement de terre.

— Est-ce que… tout le monde va bien ? demanda Meifesto à l'ensemble du groupe.

Tous répondirent que oui. Les jeunes étaient juste un peu secoués. Le professeur, en revanche, était dépité devant l'état déplorable de son matériel, en particulier l'analyseur en contrebas qui, dans sa surchauffe, avait créé ce brouillard épais.

— Cela devient irrespirable, décréta le capitaine des Rangers. Nous allons sortir avant d'être asphyxié. Veuillez descendre par les escaliers et passer par la porte où nous sommes entrés tout à l'heure. Mademoiselle Galata, comment vous sentez-vous ?

Il avait demandé cela comme s'il s'était rappelé la présence de la jeune fille en contrebas.

— Je… je vais bien, capitaine, répondit Galata du mieux qu'elle put.

Juste après, elle sentit le sol se dérober et tomba à la renverse, en proie à un malaise.

— Mademoiselle Galata ! s'écria Meifesto en accourant vers elle.

Lorsqu'il fut près d'elle, il passa un bras sous la tête de la jeune fille pour la relever. Il toucha son pouls et sentit qu'il était irrégulier. La fumée s'épaississait et l'air était de plus en plus irrespirable.

Il fallait impérativement sortir de la salle. Il souleva Galata et invita les autres du groupe à le suivre. Une fois dans le couloir où les vitres s'étaient ouvertes par mesure d'urgence, il la déposa au sol, tandis qu'une équipe de secours arrivait, accompagné de trois pompiers équipés de casques et de packs dorsaux permettant d'éteindre les incendies. Ces derniers entrèrent dans la salle et commencèrent à inonder les appareils fumants sous le regard horrifié du professeur.

Maître Rayzen arriva en courant, suivit de l'agent Sanders. Deux infirmiers étaient penchés sur son élève pour lui mettre un masque respiratoire.

— Que s'est-il passé ? demanda-t-il au capitaine Meifesto.

— Je n'arrive pas à comprendre, répondit celui-ci. Elle était assise face à l'analyseur et pendant le test, il y a eut comme une émanation de lumière intensive et une explosion. Le choc a été si fort que la verrière de protection s'est relevée malgré les verrous de sécurité. De toute évidence, cette jeune fille a déjà reçu une cérémonie de révélation.

— Mais… ? s'étonna Syreene. Rayzen, c'est ton élève !

— Ton élève ? demanda Meifesto, surpris à son tour. Pourquoi lui avoir fait passer ce test d'évaluation si elle a déjà…

— Elle n'a pas eu de cérémonie, répondit Rayzen. Ce qu'il s'est passé est dû à une émanation d'énergie pure non-contrôlée.

— A un tel niveau ? s'étonna Syreene. Mais c'est impossible, même un commandeur ne peut pas émaner une telle concentration d'énergie !

L'un des infirmiers se releva.

— Tout va bien, dit-il. Elle est simplement vidée de son énergie. Il faut la transporter à l'infirmerie pour lui donner quelques soins de base.

— Bien, allez-y ! dit Rayzen.

Il se tourna vers Syreene et Meifesto.

— Il faut aller voir immédiatement le général, dit-il d'un air grave. Meifesto, emmène les jeunes dans l'autre salle pour continuer les tests et rejoins-nous ensuite.

— Bien.

Il emmena le groupe de jeunes dans une autre salle, tout en essayant de calmer le professeur Prisma qui s'énervait sur les pompiers après avoir inondés les appareils de gel anti-incendie.

— Comment voulez-vous que l'on éteigne l'incendie si on ne peut pas utiliser les lances ? se défendit l'un des soldats du feu.

— Je m'en moque ! répliqua Prisma. Ces appareils valent une fortune ! Dix ans de travail ! Vous comprenez ? Dix ans !

Rayzen tourna les talons et suivit les infirmiers qui emmenèrent Galata sur une civière.

— Vas-tu me dire ce qu'il se passe ? lui demanda Syreene, plus qu'intriguée.

— Tu vas bientôt le découvrir, répondit simplement le maître. Il faut que nous demandions une entrevue avec le général immédiatement. Peux-tu faire cela ?

— Oui bien sûr. Est-ce que je peux te poser une question ?

— Je t'écoute ?

— Est-ce que… cela a un rapport avec ce qui s'est passé il y a 16 ans sur la Terre ?

Rayzen baissa les yeux, l'air pensif. Bien sûr que cela avait un rapport. Tout était partit de là… où tout avait commencé.

— Il est difficile de savoir s’il y a un lien ou non. Mais après ce que j’ai vécu ce jour-là… la naissance de Galata… et tout le reste…

— Est-ce que tu peux être plus explicite ?

— Quand on sera dans le bureau du général.

— D’accord.

Elle appuya sur quelques boutons de son bracelet électronique et attendit. Un bip sonore retentit après quelques secondes.

— L'entrevue avec le général est acceptée, annonça-t-elle. Il nous attend.

— Bien. Allons-y.

L'infirmier examina les yeux de sa patiente ainsi que son pouls. Bien qu'étant encore un peu faible, celui-ci avait repris un rythme constant.

Un peu de repos et elle sera sur pied, se dit-il.

Il se retourna pour se mettre à son bureau. À peine quelques secondes ensuite, Galata se mit à remuer légèrement, ouvrant difficilement les yeux à cause de la lampe juste au-dessus d'elle et tourna la tête sur sa droite. Quelqu'un était en train d'écrire sur un bureau, un homme en blouse blanche.

Elle ne se rappelait plus ce qui s'était passé, ni pourquoi elle était là. Elle se sentait fatiguée, vidée de toute énergie, comme après un entraînement rigoureux. Après un moment passé à retrouver ses esprits, elle se releva. L'infirmier la vit et sourit.

— Vous êtes déjà réveillé ? lui demanda-t-il avec une voix bienveillante.

— Où… où est-ce que je suis ? demanda-t-elle pour toute réponse.

— Ne vous inquiétez pas, répondit l'homme en blouse blanche. Vous êtes à l'infirmerie du quartier général des Space Ranger. Il y a eu un petit incident lors de votre test d'évaluation. Une machine s'est emballée et a pris feu, dégageant beaucoup de fumée et une forte odeur, ce qui vous a causé un malaise.

Effectivement, Galata se souvint d'un brouillard de fumée et d'une odeur âcre qui avait emplit la pièce.

— Je… me suis évanouie…, marmonna-t-elle.

— Restez allongée encore un peu, vous n'êtes pas tout à fait remise. Vos poumons s'étaient remplit de fumée, ce qui a bloqué votre respiration. Mais vous n'aurez pas de séquelle.

Elle se rallongea, se sentant toute fébrile. La fatigue était telle qu’elle se rendormit aussitôt.

Pendant ce temps, dans le bureau du général des Rangers, Rayzen informa son supérieur de la situation, accompagné de Syreene et du capitaine Meifesto. Comme ces deux derniers avaient été témoins de la scène, il leur relata les faits de sa rencontre avec Galata, seize ans auparavant. Après le récit du vieux maître, le général se leva et se tourna vers la grande baie vitrée derrière son bureau.

— Ainsi, il devient difficile de contenir son potentiel, marmonna-t-il. Nous avons peut-être trop attendu…

— Il faut absolument lui faire intégrer le programme des scouts afin qu'elle suive l'entraînement des Rangers, dit Rayzen. Ce n'est que de cette façon qu'elle apprendra à se servir de sa lumière et surtout à la contrôler.

— Je le pense aussi, affirma Syreene.

— Je ne suis pas d'accord, réfuta Meifesto. Un tel potentiel peut être très dangereux. Voyez ce que cela a causé tout à l'heure !

— Il serait encore plus dangereux de la laisser sans maîtriser ses pouvoirs, répliqua Rayzen. Je vous rappelle qu'elle peut s'en servir sans avoir eu de cérémonie de révélation.

— C'est exact ! affirma le général. Nous ne pouvons laisser un tel pouvoir dans la nature. Mal utilisé, il peut se retourner contre l'être humain. La lumière est faite pour protéger les populations, non pour les détruire. La jeune Galata intégrera les scouts dès demain. Si elle est en état de commencer…

— Merci, général, remercia Rayzen. Les infirmiers ont dit qu'elle sera remise dans la journée.

— Très bien. Capitaine Meifesto ?

— Oui, général ?

— Qu'ont donné les tests d'évaluations ?

— Eh bien, les résultats sont plus que surprenants. N'ayant pu enregistrer les données des deux premiers aspirants, nous leur avons refait passer le test. Je me souviens que les premiers résultats étaient décevants, n'atteignant pas un potentiel de cent lumens. Or, les résultats du second test ont montré un potentiel dépassant les cinq cents lumens ! Et ce, pour l'ensemble des aspirants qui étaient présents lors de l'incident !

— Alors, cela veut dire…, souffla Syreene.

— … que Galata leur a insufflé de la lumière en eux, fini Rayzen.

Le général acquiesça d'un hochement de tête.

— C'est ce que je pensais, dit-il. Le phénomène est très rare, mais il arrive parfois qu'un être ayant une certaine puissance en lui puisse transmettre une partie de son pouvoir dans une autre personne. Et cela sans même perdre de sa puissance.

— Je ne l'ai pas remarqué tout de suite, dit Meifesto en regardant ses mains, mais depuis l'incident, je sens ma lumière frétiller de manière étrange en moi. Comme si un mini feu d'artifice se produisait à la surface. Je la sens également plus fluide, plus concentrée…

— Je vois…, marmonna le général. Si cette théorie se révèle exact, cette nouvelle promotion sera des plus prometteuses. Capitaine, je vous laisse retrouver les jeunes aspirants. Emmenez-les faire une visite de l'ensemble du quartier général, en attendant que mademoiselle Galata se remette de son état. Ranger Sanders, vous pouvez également disposer.

— Bien mon général, dirent ensemble Syreene et Meifesto en saluant.

— Commandeur Rayzen, j'ai encore quelques mots à vous dire.

Une fois qu'ils furent seuls, le général se rassit à son bureau. C'était un homme de haute stature, les épaules carrés et une barbe noire qui courait le long de sa mâchoire. Il était un peu à l’inverse de son prédécesseur. Il avait été le supérieur de Rayzen en tant que commandeur avant de remplacer l'ancien général. L'opportunité s'était alors ouverte pour le maître de Galata qui le remplaça dans ses fonctions de commandeur. C'était à lui que le jeune Rayzen avait remis son rapport après les événements autour de la naissance de Galata.

— Cet incident était à prévoir, souffla-t-il. Nous avons manqué de vigilance.

— Je m'en excuse, général. J'aurais dû être plus prudent avec elle.

— Vous n'y êtes pour rien, commandeur. Personne n'était préparé à cela. Et le Ciel nous a préservé de bien mauvaises surprises depuis que vous avez confié l'enfant à cette nourrice.

— Je savais qu'elle serait entre de bonnes mains avec Mama, affirma Rayzen. C'est une femme forte qui n'est pas impressionnable.

— Et cela a porté ses fruits ! Il n'y a pas à déplorer le moindre incident majeur durant ces seize années.

— Pensez-vous que nous avons eu tort de lui avoir épargné la vérité pendant tout ce temps ?

— Non, il fallait la préserver afin de lui donner une vie normale, une vie comme toutes les petites filles peuvent avoir ainsi qu’une adolescence ordinaire. Même si vous vous êtes évertué à lui donner un entraînement dès son plus jeune âge.

— Je voulais savoir ce que cette petite avait dans le ventre, dit Rayzen en s'avançant vers les portraits des anciens généraux accrochés au mur. Vérifier si elle possédait un véritable potentiel caché en elle. Et je ne m'étais pas trompé. Ce qu'elle est capable de faire dépasse toutes mes estimations. Cet incident en est la preuve.

— Il est possible que cette enfant ait un rapport avec cette prophétie retrouvée il y a cent ans sur Terre.

— "Une enfant liée à la lumière viendra affronter les êtres dépourvus de bonté et ramènera une paix perdue depuis des siècles", cita le maître en se rappelant cette phrase écrite dans un très vieux manuscrit. Rien ne nous prouve qu'il s'agisse vraiment de Galata.

— Mais vous le pensez, ajouta le général avec un sourire. Je sais que la traduction de cette prophétie est possiblement inexacte ou mal interprétée, aussi je reste prudent avec ces histoires religieuses. Cependant, je suis convaincu que votre élève sera un atout de premier ordre parmi les Rangers.

— Je le pense aussi. Elle a un don particulier pour le sport de combat. Je lui ai fait développer chez elle les meilleurs atouts possible. Galata a une facilité de compréhension et d'analyse chez ses adversaires que, même sans son potentiel de lumière, elle aurait pu intégrer une équipe professionnelle pour les jeux olympiques.

— Je vois. Un élément très prometteur… Je me pose une question cependant…

— Laquelle ?

— Vous avez perdu votre capacité à utiliser la lumière de manière stable lors de la naissance de Galata et jusqu'à présent, aucun de nos spécialistes n'ont pu expliquer cela, ni vous guérir.

— C'est exact, général.

— Or, il s'avère que votre petite protégée est capable d'insuffler de la lumière dans le corps d'un autre, les analyses de Meifesto en sont la preuve. Fait très rare, comme je l'ai expliqué tout à l'heure. Ce n'est qu'une théorie, mais il est possible qu'elle puisse faire de même avec vous, et peut-être même vous guérir. Qu'en pensez-vous, commandeur ?

— C'est possible, mais je pense que cela demanderait une parfaite maîtrise de sa lumière intérieure. Et je ne lui demanderais nullement de faire cela pour le moment.

— Cela va de soi. Mais je pense que cela mérite une étude sur le sujet. J'en parlerai au professeur Prisma à l'occasion.

— Il faudra rester discret, fit remarquer Rayzen. Prisma est du genre excentrique et vaniteux. J'ai peur qu'il n'en dise trop aux mauvaises personnes, Galata y compris.

— Ce n'est pas faux, admis le général. Je vais réfléchir à la question.

En sortant du bureau du général, Rayzen vit Syreene qui l'attendait, adossée contre le mur, les bras croisés.

— Tu es encore là ? demanda le commandeur, sans la regarder.

— Je t'attendais, répondit Syreene.

— Il y a un problème ?

— J'avais quelques questions à te poser.

Rayzen soupira.

— Je n'ai pas beaucoup de temps…

— Ça ne sera pas long. Et j'ai besoin de savoir.

— Très bien, vas-y.

— De quoi avez-vous parlé avec le général ?

— Si tu devais le savoir, il t'aurait autorisé à rester.

— Je sais, mais j'ai besoin de savoir, insista Syreene. Qu'est-ce que c'est que tout ce mystère autour de Galata ?

— Ecoute, Syreene. Il y a des choses que tu ne dois pas savoir, c'est comme ça. Il est préférable que tu restes dans l'ignorance.

— Et ben ! On peut dire que tu sais tenir ta langue…

Elle s'approcha de lui, secouant ses cheveux élégants vers l'arrière. Son visage prit un minois séducteur et, tout en lui accrochant le bras, s'approcha de son oreille pour lui susurrer :

— Allons, Rayzen… après toutes ces années passées à nous battre ensemble, pourquoi ne te révèles-tu pas à moi ? Parlons-en ce soir, autour d'un verre, chez moi vers vingt heures. Qu'en dis-tu ?

Le commandeur ne broncha pas. Ses yeux, cachés derrière son chapeau et ses mèches de cheveux gris-argenté, ne montrait aucune émotion. Après quelques secondes où il semblait réfléchir, il finit par répondre :

— Je dois effectuer une enquête sur l'attaque des sans-lumières lors du tournoi de l'autre jour. Je ne suis pas disponible.

Éberluée par une réponse aussi simple, Syreene relâcha son étreinte. Rayzen s'en alla alors, les mains dans les poches. La belle Ranger d'argent le regarda partir, les mains sur les hanches, la mine déconfite et vexée.

— Non mais alors là, vraiment… !

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