Je crée une nouvelle adresse mail puis je rentre les quelques informations que le site me demande. Pour la photo de profil, je poste un cliché de moi en maillot de bain mais j'ai préféré couper mon visage par sécurité. Je poste un message implicite afin de montrer ce que j'attends de ce site.

Félicitations Léa vous êtes inscrite en tant que Sugar Baby ! Nous vous souhaitons de trouver ce que vous cherchez.

Maintenant les dés sont jetés, il ne me reste plus qu'à attendre. Je ferme la page du site avec une part de honte puis je vais me coucher.

***

La pluie se déverse en trombe sur les fenêtres de la bibliothèque. Sarah et moi sommes habituées au mauvais temps que nous offre régulièrement Paris.

- Parfois j'aimerais aller au Liban plus souvent, soupire mon amie.

- Et moi j'aimerais quitter Paris pour de bon, je rajoute en m'énervant.

Mon smartphone est assez vieux et pour cause il n'arrête pas de ramer.

- Pourquoi tu t'énerves ?

- Si seulement je pouvais me payer un nouveau téléphone, je souffle en le jetant dans mon sac.

- Ne t'inquiète pas Alicia, c'est une mauvaise période à passer.

- Vous ne pouvez pas arrêter de parler ? gronde un étudiant à la table à côté.

Sarah lui lance un regard noir avant de se replonger dans son ordinateur. Discrètement, j'ouvre le site MySugarDaddy.com. A mon grand étonnement j'ai reçu des dizaines de messages de rencontre en moins de 24 heures. Je regarde d'un peu plus près car je sais qu'il y a beaucoup d'arnaques.

Certaines personnes me proposent des dizaines de milliers d'euros mais l'offre qui a retenu mon attention est celle d'un quadragénaire. Il a répondu hier soir vers minuit et me propose 150 000 euros pour ma virginité. J'accepte son offre après beaucoup d'hésitation. J'ai du mal à croire que ce que je viens de faire est réel.

- Il faudrait qu'on y aille Alicia, m'informe Sarah en se levant. Notre cours va bientôt commencer.

Je ferme tout avant de la suivre vers les salles de classes. C'est reparti pour deux heures de cours d'anglais.

Vers la fin du cours, je sors mon téléphone portable et télécharge l'application car ce sera plus facile pour parler avec ces hommes. Mon interlocuteur a répondu à mon message.

Je te donne rendez-vous au restaurant de l'hôtel Hilton Paris Opéra ce soir à 21 heures, table 12.

J'ai à peine de temps de confirmer que les étudiants commencent déjà à quitter la salle.

- Qu'est-ce que tu me caches ? demande Sarah suspicieuse.

- Absolument rien, je dois régler quelques formalités avec ma banque.

Je ne lui ai pas parlé du fait que j'étais ruinée. Elle sait juste que j'ai des problèmes d'argent et de loyer. Cependant je suis sûre que mon amie se doute de quelque chose.

Quelques heures ont passé et je suis prête à aller à mon rendez-vous. Alors que je prends le métro habillée et maquillée comme une fille de bonne famille, le stress me gagne et une boule se forme dans mon ventre.

Je marche à travers les rues puis j'aperçois l'hôtel Hilton et je me fige. Tout à coup, tout ce que j'ai fait sur le site depuis hier devient vraiment réel. Je sens la sueur perler dans mon dos malgré le froid glacial de l'hiver. Je me force à penser à l'argent pour me donner le courage d'avancer. Je ne respecte pas du tout les consignes du docteur mais je n'ai pas le choix.

Le hall de l'hôtel est vaste et luxueux mais je ne m'attarde pas sur ce décor d'aristocrates. Je demande d'une voix peu assurée la table numéro 12. Une hôtesse en uniforme me conduit à une table vide.

J'essaye de calmer ma respiration et de penser à des choses joyeuses lorsqu'une voix d'homme teintée d'un accent allemand, m'interrompt dans mes pensées.

- Bonsoir, excuse-moi pour le retard.

Un homme d'une quarantaine d'année s'assied en face de moi. Il est plutôt bel homme mais ses yeux bleus glacés ne me donnent pas confiance.

- Je m'appelle Karl et vous devez être Léa ? continue-t-il. J'ai commandé à boire pour commencer.

- Oui je suis Léa, je confirme, un sourire crispé aux lèvres.

- Je ne m'attendais pas à une femme aussi jolie. Parle-moi de toi, ordonne-t-il.

- Comme l'indique le site, j'ai vingt ans et je suis en troisième année en commerce, je mens en évitant son regard.

- Et tu as des problèmes d'argent, sinon tu ne serais pas là, rajoute Karl. Tu comptes sur moi pour subvenir à tes besoins.

- Ce n'est pas exactement ça...

Je voyais les coups d'œil de certains clients du restaurant comme s'ils étaient au courant de ce que je m'apprêtais à faire.

- J'espère que tu es au courant que les Sugar Babies du site accepte de l'argent tous les mois de la part de leurs bienfaiteurs ?

Mon stress commence à se faire sentir et j'ai de plus en plus de mal à me contrôler.

- Je vais prendre soin de toi, affirme-t-il en posant sa main sur mon genou.

C'est trop pour moi.

- Je ne peux pas faire ça, je m'emporte en me levant.

Je m'enfuis en courant. Dans la rue je n'entends rien d'autre que le claquement de mes talons. Les regards des curieux m'importent peu. Tout ce qui compte c'est que je rentre chez moi. Je ne veux plus jamais entendre parler de ce site. Je ne sens presque pas les larmes couler sur mes joues. Il aura suffi de deux clics pour faire de moi une prostituée. Dans les films ça avait l'air plus facile de coucher avec ce genre d'hommes.

***

Lors du déjeuner de mercredi, je me force à parler avec Sarah afin de ne pas paraître bizarre à ses yeux. Mon amie est de nature curieuse et si elle sent que quelque chose ne va pas, elle fera tout pour me faire cracher le morceau. Ça ne fait que quelques mois que nous sommes amies mais elle me connait bien.

Je culpabilise toujours pour l'incident d'hier mais ça ne change pas ma situation. Je me retrouve dans une impasse encore une fois. Je n'ai toujours pas de solutions à mon problème d'argent.

- Est-ce que ça va Alicia ? demande Sarah. Tu n'as pas l'air de m'écouter.

- Oui tout va bien, je suis juste un peu fatiguée, je mens en évitant son regard.

Elle m'observe quelques secondes les yeux plissés comme pour essayer de lire dans mes pensées.

- Si tu le dis, soupire-t-elle enfin.

Alors que mon amie se lève pour aller chercher des serviettes en papier, je sors mon smartphone. Je veux supprimer mon compte et toutes les conversations auxquelles je n'ai pas répondu. Cependant, mon regard est attiré par un nouveau message envoyé hier, à la même heure que mon rendez-vous à l'hôtel Hilton.

Un homme me propose 300 000 euros ! Je ne pensais pas que des personnes étaient prêtes à se battre pour ça. Je regarde le profil du mystérieux RC mais il n'y a aucune information : juste une photo à moitié coupée où je ne vois que le bas de son visage. Il doit avoir une trentaine d'années et semble assez beau.

Mais qu'est-ce que je fabrique encore ! Je dois supprimer mon compte. Au lieu de ça, je regarde la proposition d'un inconnu.

La somme d'argent est tout de même importante et ne peut être négligée. Finalement, je vais accepter sa proposition. De toute façon si notre rencontre se passe mal, je peux rentrer chez moi sans problème. Il faut se dire que je suis maître de la situation. Je lis la suite du message.

Si cela vous convient, j'aimerais discuter d'un accord avant tout engagement. Rejoignez moi mercredi à 20 heures au restaurant de l'hôtel Lancaster près des Champs Élysées. Annoncez votre prénom à l'accueil.

Cette personne me semble moins pressée dans ces démarches que la précédente. Je vais tenter une dernière fois et si je ne m'engage pas, j'arrête tout. J'accepte sa proposition dès que je vois Sarah revenir. Je ne pensais pas que les rendez-vous étaient proposés si rapidement sur ses sites.

- Il n'y avait plus de serviettes en papier, j'ai dû patienter, explique-t-elle.

- Ne t'inquiète pas, j'étais sur mon téléphone en t'attendant.

- En parlant de ça, je trouve que tu lui portes beaucoup d'attention ces derniers jours, constate-t-elle.

Je la vois venir et je sais ce qu'elle va me demander. Je préfère lui mentir car elle ne comprendrait pas mes intentions. Et si je ne dis rien, elle va continuer à me titiller.

- J'ai rencontré quelqu'un, je lui confie timidement.

- C'est génial Alicia ! s'esclaffe-t-elle. Raconte-moi toute l'histoire.

- Il y a quelques jours un jeune avocat est venu me parler sur les réseaux, j'invente en essayant de paraître crédible. Il m'a invité à dîner ce soir.

- Tu as raison de choisir un homme qui travaille, ils sont plus matures, commente Sarah.

Ça me rappelle le slogan du site où je suis inscrite. Je suis contente que mon amie ne semble pas avoir de soupçons quelconques à mon égard.

- Je vais t'aider à te préparer pour ce soir !

Mon Dieu Sarah si tu savais !

Certains étudiants se retournent face à l'enthousiasme contagieux de Sarah. Je ne l'embarquerais pas plus loin dans mon histoire. Je veux la protéger de cette vie que je risque de mener même si je suis presque sûre que ce sera un échec.