Chapitre 8 : Rencontre
Une petite boule enflammée s'échappa des doigts du roi et partit se déposer sur chaque mèche de bougie pour diffuser une lumière mouvante sur les murs de la pièce. Le roi ne boudât pas ce petit plaisir : voir la jalousie s'inscrire dans l'iris O'Roc. Eux maîtrisaient la terre et certains auraient rêvé dompter le feu, d'où l'approvisionnement en minerai à flammes qui leur permettrait de générer des étincelles pour faciliter l'allumage.
Kamal écoutait d'une oreille distraite les échanges. Cela devrait suffire pour sauver les apparences auprès de son père qui ne manquerait pas de l'interroger sur la posture à tenir et les arguments exposés. En parallèle, il relisait le récit de l'invasion des Terres d'Osany.
Dans sa prime enfance, son père avait engagé une conquête d'envergure pour soumettre le peuple des Naïadiennes. Suite au décès de son épouse Eflamme, il avait sollicité un mariage avec la souveraine du Peuple de l’Eau qui l’avait purement et simplement éconduit. Le désir de vengeance avait enflammé sa haine. À cela s'ajoutait l'opportunité de faire main basse sur d'abondantes sources en eau potable. De part et d'autre, les morts furent nombreux, les Élémentaires d'eau défendant férocement leur territoire. Cependant, une attaque surprise des Eflammes à l'encontre de la dirigeante aquatique avait renversé le cours des choses. Afin de lui éviter une fin tragique ainsi qu'à sa famille, le Peuple de l'Eau s'était soumis, non sans quelques révoltes à mater dans le sang. La pauvre reine avait été tant malmenée par le roi des Eflammes qu'elle avait péri des privations et des violences de ce dernier. Cet incident avait permis au Peuple du Feu d'écraser tout esprit de rébellion. En outre, il était désormais interdit au Peuple de l'Eau d'user de sa magie sous peine de décapitation pour soi et tous ses proches.
Arrivé au passage du décès de la reine des Naïadiennes, Kamal fut stoppé par la formule de courtoisie annonçant la fin de l'entrevue. Il ferma mentalement son ouvrage et enregistra les conclusions : le contrat prendrait effet sous une quinzaine de solaris avec un approvisionnement, toutes les dizaines, d'une tonne de minerai, le roi Eflamme s'engageait à leur offrir un prix d'un tiers inférieur qui incluait le transport jusqu'en Terre d'Urca. Le souverain prélèverait une dizaine de Naïadiennes pour rejoindre la cour du Peuple de la Terre sous une soixantaine de solaris. Kamal fut choqué du prix dérisoire d'une vie, seulement quelques pièces en or.
À sa grande surprise, le prince ne fut pas contraint de résumer l'entrevue au sortir de la délégation O'roc. Il s’en alla donc après avoir effectué le salut de circonstance et se dirigea vers ses appartements. Kamal tournait dans le couloir menant à sa chambre lorsqu'il percuta violemment quelqu'un. Il baissa les yeux pour découvrir une Naïadienne très légèrement vêtue, affalée sur le sol dans une grimace de douleur.
Le jeune Eflamme s'apprêtait à s'excuser.
— Pardonnez ma maladresse, mon Prince, le devança-t-elle.
Il lui tendit la main, qu'elle saisit pour se relever.
— Merci mon Prince, et veuillez de nouveau accepter mes excuses.
Elle s'inclina, ce qui exposa largement sa poitrine retenue par un léger bustier. Kamal trouvait malaisant de se dévoiler ainsi, même s'il supposait que la demande émanait plus probablement de son père que de la propriétaire du corsage.
— Avez-vous mal quelque part ?s s'enquit Kamal.
— Je...
Hésitante, la Naïadienne attrapa le bras de Kamal dans un tintement mélodieux et pressa son buste contre le corps du prince.
— Je ne crois pas. Merci de votre sollicitude.
Elle commençait à l'ennuyer. Son père l'aurait déjà certainement prise ici même, mais le jeune Eflamme ne ressentait aucun attrait pour la gent féminine, et encore moins pour ces tentatives peu subtiles d'aguicher un homme. Il chercha à dégager son bras mais la créature s'y accrocha davantage, le visage crispé.
— Aïe ! Je crois m'être foulée la cheville. Je suis navrée de ne pas l'avoir senti plus tôt.
— Je vous accompagne, proposa-t-il, contrarié de cette perte de temps.
Elle hocha de la tête.
Kamal avorta ses brèves tentatives pour entamer un dialogue. Ils marchèrent en silence à travers les couloirs jusqu'aux portes des appartements du roi.
— Comment vous remercier de tant de prévenance ?
Cette fois, la Naïadienne collait entièrement son corps, ses lèvres à quelques centimètres de celles de Kamal. Il sentait l'effluve iodé qui émanait de la bouche de la jeune femme. Elle ne pouvait le mettre en position plus inconfortable.
— En étant plus attentive.
Kamal ne s'attarda pas davantage et repartit vers ses appartements, repensant à la soirée de la veille. Soudain, il réalisa qu'il s'agissait de la danseuse découverte à cette occasion. Sans doute la favorite de son père. Ce dernier devait s'octroyer un moment de détente avant de mener la conversation lors du banquet d'aurevoir offert aux O'rocs. Ils formaient un beau duo, la séductrice et l'impétueux souverain.
Le prince ne s'attarda pas plus longtemps sur cette pensée à laquelle il n'accordait que peu d'intérêt et repartit plutôt dans ses rêveries littéraires.
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