Chapitre 1.0: Premier Contact

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Natali Lonskaïa :

Toute cette paperasse commençait à devenir infernale. J’étais enfermée dans mon bureau, une pièce sobrement blanche où seul mon bureau trônait en son centre, entouré de deux piles de documents de chaque côté. Un fauteuil moderne dans le coin me permettait de me reposer après de longues journées de travail. Un café tiède entre les mains, je parcourais encore les pages qui s’empilaient, tandis qu’un chariot plein de nouvelles requêtes attendait d’être traité.

Entre les demandes incessantes de rapatriement, les menaces à peine voilées et les réclamations concernant la technologie du Liberty, je sentais la fatigue peser lourdement sur mes épaules. Le Président avait beau me répéter que nous devions soutenir Jérémy, je ne comprenais toujours pas pourquoi. À cause de cela, nous nous retrouvions en porte-à-faux avec plusieurs grandes puissances, chacune réclamant sa part du gâteau.

Heureusement, nos voisins frontaliers continuaient de nous soutenir. Sans cela, une armée serait probablement déjà aux portes pour exiger le rapatriement de Jérémy par la force.

J'avais passé en revue de nombreux rapports rédigés par nos espions dispersés à travers le monde. Certaines nations ne savaient même plus comment réagir face à cette situation inédite. Et je les comprenais. Depuis l’explosion de la première bombe nucléaire, rien n'avait provoqué un tel chaos diplomatique. Et maintenant, un inconscient défiait l’ordre mondial, ridiculisant des armées entières avec un vaisseau construit dans un garage. Comme si cela ne suffisait pas, il avait en plus le culot d’être le premier homme à fouler le sol de Mars.

Raah… je n’en pouvais plus de tout ça.

Toc toc. Quelqu'un frappa à la porte de mon bureau, et une nouvelle terrible allait probablement encore m’être annoncée.

"Entrez," dis-je à haute voix, lasse.

Un jeune militaire en uniforme pénétra dans la pièce, l’air grave mais déterminé.

"Madame, comme vous l’aviez ordonné, le sujet s’est réveillé."

"Enfin… La belle au bois dormant a décidé de sortir de son sommeil," soupirai-je. "Retournez auprès de lui et surveillez ses faits et gestes de près."

"Bien, Madame," répondit-il avant de se retirer promptement.

Il est vrai que depuis leur retour dans le vaisseau, on les avait retrouvés dans un état pitoyable. Vinogradov Pavel était encore conscient et avait partiellement expliqué la situation avant d’être pris en charge médicalement. Il lui avait tout de même fallu six jours pour se remettre de l’apesanteur après son long voyage dans l’espace. Il avait encore du mal à marcher et suivait une rééducation régulière. Il m’a été rapporté qu’il passait souvent devant la chambre de Jérémy Chapi pour prendre de ses nouvelles. Serait-il devenu son ami ? Cela ne m’étonnerait pas, après avoir lu le rapport de mission rédigé par Pavel, qui s’était révélé fort instructif pour en apprendre davantage sur cet homme mystérieux, sorti de nulle part.

Je ne savais toujours pas quoi penser en consultant le dossier de Jérémy. Le service d'espionnage l'avait récupéré en France, juste avant que tous ses documents ne soient discrètement effacés du registre public, comme si quelqu'un cherchait à enterrer tout ce qui le concernait. Il y avait une volonté claire de dissimuler les événements qui entouraient cet homme.

À première vue, il n’était qu’un simple civil, né en 1988, un homme au passé tragique qui avait survécu à une épreuve déchirante : la perte de ses parents et de sa petite sœur dans un accident d’avion en 2001. Il avait été élevé par ses grands-parents jusqu'à leur décès en 2010, morts de vieillesse. Aujourd'hui, il ne restait plus personne de sa famille en vie.

Ce que nous savions, c’est qu’il travaillait dans une petite tôlerie en tant que technicien de maintenance, avant de démissionner il y a moins d'un an. Cela expliquait déjà comment il avait pu assembler une partie de son vaisseau, ayant eu accès à certains outils industriels, comme des découpeuses laser et des presses de pliage.

Ses anciens collègues le décrivaient comme une personne joviale, impliquée dans la vie de l'entreprise. Cela rendait d'autant plus surprenant son départ soudain, qui avait laissé tout le monde perplexe. Il n’avait montré aucun signe de mécontentement, ni donné d’explications à son départ, comme s'il préparait Installé dans l’ancienne grange de ses grands-parents depuis une décennie, il avait transformé ce lieu modeste en quelque chose de plus. Ce qui semblait être un bâtiment abandonné était, en réalité, devenu un atelier clandestin où il avait conçu son projet. Maintenant, tout ce qui restait de cet espace était des ruines à peine perceptibles, des traces effacées d’un plan qui avait longtemps échappé à nos radars.

Après avoir lu une fois de plus son dossier, je le transmis au président Atlas, en ajoutant une note succincte : « Sujet réveillé. Préparatifs en cours pour la première entrevue. » En me levant, j’ajustai la mallette à côté de mon bureau, un objet que l'on m'avait expressément ordonné de garder à tout prix.

Je traversai les longs couloirs immaculés de notre centre, un bâtiment où chaque mouvement était surveillé. L’aile médicale ne faisait pas exception. Des soldats montaient la garde à chaque intersection, tandis que les médecins s’activaient en silence. On m’avait préparée pour cette entrevue. Ils avaient fait des rapports : "Il est encore faible, mais conscient." Ces détails cliniques ne m'intéressaient que peu. J'avais d'autres priorités.

Je n’étais pas ici pour le ménager. J’avais des questions, et Jérémy Chapi allait devoir y répondre, qu’il Le veuille ou non, il avait échappé trop longtemps à notre contrôle, mais cette fois, il n'y aurait plus d’échappatoire.

En entrant dans la chambre, je découvris un homme blond, affalé sur son lit, le regard perdu dans le vide et les traits marqués par la fatigue. À mon arrivée, il tourna lentement la tête vers moi et déclara avec une pointe d'ironie :

« Bonjour, vous parlez ma langue ? »

« Oui, je parle parfaitement le français, et bien d'autres encore. Je m'appelle Lonskaïa Natali. »

Il esquissa un sourire, comme s'il s'était attendu à ma visite.

« Et moi, Jérémy Chapi. Excusez-moi, mais depuis combien de temps suis-je ici ? »

« Cela va faire deux semaines depuis votre atterrissage. »

« Deux semaines déjà... Je suppose que vous êtes là pour me questionner, car vos collègues précédents n'ont même pas cherché à entamer une conversation. »

Sa nonchalance ne me fit ni chaud ni froid.

« En effet. J'espère que vous réalisez dans quel embarras vous avez plongé notre pays. Une compensation de votre part serait... appréciée. »

Il soupira, amusé, avant de répliquer :

« Malheureusement, je n’ai pas d’argent à offrir. Mais je pense savoir ce qui vous intéresse... Ce sont les technologies que nous avons développées, n'est-ce pas ? »

Je ne pris pas la peine de nier.

« Comme toutes les grandes puissances, notre intérêt pour votre technologie est évident. » Je sortis la mallette, la plaçant ouvertement devant lui. À l'intérieur, le générateur, petit bijou d'innovation, reposait sous son regard.

« Adamai ! » s’écria-t-il en tentant maladroitement de l’attraper, ses gestes ralentis par la fatigue.

D'un geste calculé, je saisis le générateur, le tenant devant lui, le faisant osciller comme un pendule, juste hors de portée.

« C’est fascinant, n'est-ce pas ? » dis-je d'un ton neutre. « Selon les explications de Vinogradov Pavel et nos propres analyses, cette petite merveille vous aurait permis de voler jusqu'à Mars et de tirer ce fameux faisceau. Vous comprenez, bien sûr, l’intérêt que cela suscite. »

Il me lança un regard suppliant, ses yeux verts se teintant de détresse.

« S'il vous plaît, rendez-le-moi. »

Je le lui tendis, mais je ne lâchai pas prise lorsqu'il essaya de le récupérer. Le jeu de forces se transforma en un léger bras de fer, nos regards croisés dans une impasse silencieuse.

« Nous pourrions peut-être conclure un marché, qu’en dites-vous ? » lançai-je calmement, mes doigts toujours fermement agrippés au générateur.

« Je ne peux pas... » répondit-il en tirant plus fort. « Qui sait ce que vous pourriez en faire. »

Finalement, je lâchai prise, le laissant récupérer son bien, qu'il serra dans ses bras comme pour s'assurer que je ne pourrais plus le lui reprendre.

« Nous ne sommes pas vos ennemis, sachez-le. » Je le pointai du doigt, ma voix calme mais ferme. « Notre président vous tient en haute estime, pour une raison qui m’échappe encore. Mais comprenez bien que nous ne pouvons vous accorder l'asile sans rien en retour. »

Il hocha la tête, son expression grave, mais une lueur de défi persistait dans son regard.

« Je comprends... mais pouvez-vous me garantir que vous ne ferez pas d’armes avec ? » demanda-t-il, tout en se grattant nerveusement le bras gauche, au point de laisser des marques visibles. Ses gestes trahissaient une certaine anxiété. Était-il en train de céder sous la pression ?

Je souris intérieurement, voyant que mes mots faisaient effet.

« Cela, » dis-je en le regardant froidement, « dépendra uniquement de vous, et de ce que vous êtes prêt à nous offrir. »

Il acquiesça une nouvelle fois, fixant son générateur avec une intensité nouvelle, comme s’il prenait une décision cruciale.

« De l’énergie. » lâcha-t-il enfin, avec une détermination soudaine.

Je haussai un sourcil, intriguée.

« Que voulez-vous dire par là ? Expliquez-vous. Quelle quantité exactement ? »

Il releva les yeux vers moi, un éclat de défi dans le regard.

« Suffisamment pour alimenter un continent entier. »

Son ton ne laissait aucun doute sur la véracité de ses propos. Je le scrutai un instant, cherchant une trace d’exagération ou de mensonge, mais tout dans son attitude indiquait qu’il ne plaisantait pas.

« Cela pourrait effectivement être un premier pas, » répondis-je en feignant l'indifférence. « Et cela couvrirait vos frais d'hospitalisation. »

« Vous poussez un peu, là, non ? Et je veux vraiment que vous me promettiez de ne pas transformer ça en arme. » Jérémy parlait sur un ton léger, mais je pouvais sentir une tension sous-jacente.

Je gardai mon calme et répliquai, glaciale :

« Ça, ce sera au président Atlas de décider. Et d’ailleurs, il ne vous reste plus que ce générateur et un vaisseau que vous avez en partie saboté. »

Un sourire en coin apparut sur son visage.

« C’est ce que vous croyez. »

Je fronçai légèrement les sourcils. Quelque chose dans son attitude me déplaisait.

« Comment ça ? » demandai-je, mesurant chaque mot. « Au cas où vous ne seriez pas au courant, votre grange a pris feu. Il n’en reste que des cendres. »

Son sourire disparut instantanément. Son regard se durcit.

« En êtes-vous bien sûre ? Qu’ont-ils trouvé exactement là-bas ? » Cette fois, sa voix était plus grave, marquant une soudaine inquiétude.

Je pris un moment pour observer ses réactions avant de répondre, jouant avec la tension.

« Le dernier rapport mentionne des papiers brûlés, des débris de votre canon – le Tombo Giri, je crois que c’est comme ça que vous l’appelez – ainsi que l’unité centrale qui se trouvait à l’intérieur. »

J’évitai délibérément de mentionner l'IA. D’après ce que j’avais lu dans les rapports, il semblait étrangement attaché à elle. Le fait qu’elle soit définitivement hors service aurait pu le déstabiliser davantage, mais il valait mieux garder cette carte en réserve.

Il m'observa en silence, son regard vert se faisant plus perçant. Après un moment de réflexion, il parla d'une voix plus posée, presque résignée :

« Je suis prêt à vous fournir, dans la limite de mes conditions, les technologies et bien plus encore... des choses que vous ne pouvez même pas imaginer. Mais en échange, vous devrez me rendre un service, s'il vous plaît. »

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