Chapitre 1

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 C’était une grande bâtisse, tout en hauteur comme côtoyant les nuages. Elle projetait dans la rue une ombre démesurée, maintenant ses voisines dans un clair-obscur inquiétant.

Pourtant, nous étions plein juillet et l’été 1980 fut chaud à Mumbai. L’air était chargé d’une moiteur qui alourdissait les corps et les esprits. Nous sortions d’un voyage éreintant de huit jours entre Glasgow et l’ouest de l’Inde : neufs mille kilomètres et quinze degrés d’écart.

Ericson se tenait bien droit sur le trottoir craquelé, un roc parmi le désordre ambiant. La foule des piétons se pressait en masse compacte, les mobylettes s’enhardissaient à grands renfort de klaxons et pétarades, les ordures et les vendeurs ambulants se mélangeaient à même le sol. Et parmi cette cacophonie, deux choses semblaient hors décor : mon ami stoïquement planté au bord de la chaussée et la maison.

Quelques gouttelettes de sueur perlaient au bout de ses moustaches gominées. A part cela, rien ne laissait entendre qu’il souffrait de la moiteur ambiante. Moi, j’étais dévasté, rouge comme les briques, ma chemise se couvraient d’auréoles jaunâtres. Pourtant, je ne me plaignis pas. En fait, je n’osais plus rien dire depuis que nous avions atteint Mumbai : Ericson était inquiet.
Et c’était suffisamment rare pour que toute cette histoire me semble soudain très sérieuse.

Une semaine plus tôt, sur un coup de téléphone lapidaire mon ami avait fait ses valises et nous avait entrainé dans ce périple. Nous avions traversé la moitié du globe sans qu’il n’ouvre plus la bouche que sur des réponses laconiques. Lui, que je connaissais si exubérant depuis plus de huit ans, était devenu taciturne et nerveux.

Et maintenant, nous y étions, devant cette maison.

C’était une demeure coloniale, début du XIXème siècle, de style gothique. D’un blanc noircit par les ans, laissée à l’abandon depuis certainement plus de vingt ans. Le bois de ses piliers était rongé par l’humidité, ses fenêtres défoncées, sa toiture éventrée et pourtant, elle était encore droite et fière, pointant vers le ciel.
Et tellement sombre dans cette vie fourmillante, comme un trou béant de noirceur.
Il y avait une aura de ténèbres autour de cette maison, un rempart d’obscurité.

Comme nous hurlant : n’approchez pas !

C’était si gentiment demandé, qu’évidemment Ericson poussa le portillon rouillé et s’engagea sur le parvis vermoulu.

 Ericson, de base, était bien plus un enquêteur de l’étrange que moi. Si j’avais tendance à glaner les histoires aux détours de mes voyages, lui avait érigé ce passetemps à un niveau frôlant le professionnel.

Au début, c’était à lui que l’on faisait appel.
Et puis, il n’avait plus été là. Et c’était peut-être pour le ramener un peu, que j’avais accepté de prendre la relève.

En pénétrant dans ce vaste hall ce jour-là, je n’avais pratiquement aucune information sur ce qu’il nous attendait. Juste quelques bribes attrapées à la volée : il était question d’enfants, d’animaux disparus et de visions de l’enfers.

Le hall était à l’image de la maison : vaste, fastueux et morcelé.
Drapé dans une désuétude accentuée par la désolation.

Les lattes au sol s’étaient disjointes, gonflées d’humidité, le plâtre des mûrs s’arrachaient par plaques et le large escalier comptait plus de trous que de marches.

A ma droite le plafond était éventré - il avait dû céder à la pression des nombreuses fuites du toit -offrant au regard l’étage supérieur plongé dans la pénombre.

Dans notre dos, il y eu un claquement sec : la porte s’était refermée, nous coupant du monde et du brouhaha de la rue. De la vie aussi.


Nous étions seuls dans le ventre de la maison.

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