LADY AND THE DONKEY
Lady and the donkey¹ - 1ère partie
En entrouvrant à peine les paupières, entre mes cils, la lumière aveuglante du soleil dessinait des motifs rouges et noirs, violents et étincelants sur l’écran doré formé par ma rétine. C’était une belle journée d’été, ensoleillée sans être étouffante. J’étais allongé sur le gazon à côté de ma tante Juliette somnolant sur sa chaise longue, dans le jardin situé derrière le manoir où nous passions un mois de vacances en Angleterre. Quelques nuages d’un blanc éclatant parcouraient le ciel à faible allure, prenant en se déplaçant toutes sortes de formes que ma fertile imagination interprétait ensuite comme une tête de cheval, un chapeau de cow-boy, Gargantua en train de dîner ou un ours féroce …
J’allais avoir douze ans dans trois mois et à cet âge là, on s’ennuie vite à ne rien faire. Au bout de vingt minutes, je me levai et fis les cent pas autour de la chaise longue, interrogeant ma tante sur le programme de l’après-midi.
Nous devions nous rendre en ville pour des achats, du moins était-ce le projet de la veille au soir, mais pour d’obscures raisons qu’elle ne prit pas la peine de préciser, c’était reporté au lendemain. N’ayant rien de mieux à faire, je parcourus la cinquantaine de mètres jusqu’à l’autre extrémité du jardin, délimité par des arbustes taillés. Il côtoyait une vaste prairie herbeuse entourée d’arbres. Un âne paissait tranquillement dans ce champ sans se préoccuper des deux jeunes filles en train de seller un cheval de petite taille à une douzaine de mètres de lui près d’un bouquet d'arbres.
Je m’approchais d’elles sans me faire voir, dissimulé derrière la haie, afin de les observer. Elles avaient à peu près mon âge, l’une était brune avec de longs cheveux retenus par un bandeau, un short bleu marine et un pull bariolé, l’autre avait des cheveux courts, blonds cendrés, coiffés à la garçonne, elle portait un pantalon d’équitation de couleur verte, des bottes, une chemise blanche à manches bouffantes et tenait à la main une bombe et une cravache.
Elles parlaient beaucoup et par moment riaient à gorge déployée, sans aucune retenue, se croyant seules. Je ne comprenais pas un traître mot de leur conversation, mais j’avais entendu la brune appeler « Liz », la blonde aux cheveux courts.
Quand sa monture fut sellée, Liz se coiffa de la bombe, dit encore quelque chose de drôle car la brune s’esclaffa, puis se hissa sur son cheval qui avança de trois ou quatre pas. Elle tira sur les rênes pour le ramener au niveau de son amie. C’est alors qu’elle m’aperçut, derrière les arbustes, affectant de m’intéresser aux insectes sur les feuilles ou à je ne sais quoi, en tout cas pas à elles. J’avais presque réussi à faire demi-tour, mine de rien et m’apprêtais à suivre le vol délicat d’un superbe papillon en direction du château quand elle m’interpella d’une voix autoritaire :
« Hey ! You over there ! »[2]
Je m’arrêtais et me retournais vers elle, prenant un air surpris et interrogatif. Elle se pencha sur le côté s’adressant à l’autre fille :
« C’mon Pru, I’ve caught a peeping Tom! »[3]
Etant quand même bien dérouté, n’ayant rien compris à ce qu’elle disait, je tentais une sortie maladroite en disant en français :
« Excusez-moi, je ne comprends pas ce que vous me dites ! »
La brune, Pru, qui me regardait à travers la haie, les mains croisées dans le dos, dit soudain, l’air étonné :
« He’s a foreigner, isn’t he ? A Frenchie I believe! »[4]
« Sure Pru and that frog-eater’s trying to take French leaves! »[5]
Disant cela, elle éclata de rire, puis s’adressant à moi dans un français laborieux, déformé par un terrible accent rendant sa compréhension délicate, mais en tout état de cause, bien meilleur que mon anglais :
« Qui vous êtes ? Quoi faites ici ? »
Je lui expliquais alors, dans un anglais plus qu’approximatif, que j’étais en vacances avec ma tante dans le château voisin, qu’aujourd’hui nous n’avions rien prévu de spécial et que je me promenais dans le parc au moment où je les ai aperçues. Cette explication dura bien dix minutes pendant lesquelles je m’étais approché de la haie. Je finis par me présenter, mais les deux moqueuses éclatèrent à nouveau de rire quand je leur dis m’appeler Jacques. « Djak » persistaient-elles à prononcer et la blonde se retournant vers l’âne lui dit en riant :
« Come here, Ponie, we’ve found your Jack! »[6] Et elles rirent de plus belle.
Nous discutâmes ainsi un bon moment au cours duquel elles ne cessèrent pas de rire et, je m’en rendais bien compte, de se moquer ouvertement de moi. Ce n’était pas grave, je ne comprenais pas un traître mot de leurs moqueries alors… !
Finalement, Liz remonta sur son cheval et elles s’éloignèrent en me promettant que nous nous reverrions plus tard. L’âne se mit à braire et leurs rires se mêlèrent alors aux hi-hans.
Pensif, je les regardais s’éloigner un bon moment mais à l’autre bout du jardin, les braiements tonitruants avaient dû réveiller ma tante car elle m’appela d’une voix impatiente et aiguë, formant contrepoint avec les cris de l’âne. J’étais soudain d’une humeur massacrante.
La journée passa rapidement à lire et faire quelques devoirs de vacances, prétexte au voyage en Angleterre, puis nous fîmes une courte promenade dans les environs au hasard des rues, en attendant l’heure du dîner et, enfin, nous rentrâmes. Ma tante ayant prévu de faire des achats le lendemain matin, nous nous couchâmes tôt.
Notes :
[1] Mademoiselle et l’âne
[2] Hé ! Vous là-bas !
[3] Viens voir Pru, j’ai attrapé un mateur !
[4] C’est un étranger non ? Un français je crois !
[5] C’est certain Pru, et ce bouffeur de grenouille essaie de filer à l’anglaise ! (littéralement : prendre congé à la française !).
[6] Viens voir, Ponie, on a trouvé ton mâle !
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