Le grain de beauté 1ére partie
"Hop ! Attrape-le !" dit-il en lançant brusquement le ballon vers moi.
J’eus le réflexe de lancer ma main sur sa trajectoire et, au moment ou des ricanements s’amorçaient, la chance me souriant, je le tins fermement à bout de bras. Les ricanements se transformèrent aussitôt en raclements de gorge et moi, faisant mine de n’avoir rien remarqué, l’air parfaitement détaché, je le fis rebondir sur le sol une ou deux fois avant de le renvoyer nonchalamment au lanceur.
« Bon réflexe le parigot ! » me dit Jean… et les ricaneurs d’applaudir… sportivement !
« Allez, on reprend ! », fit Jean en frappant dans ses mains, « dimanche, c’est dans deux jours, faudra être fin prêt, du nerf les gars, tirez dessus, n’ayez pas peur, vous la casserez pas la corde ! »
Nous étions en vacances en Normandie, dans une famille d’agriculteurs dont le père de famille était maire du village. Un village de 180 habitants comprenant le bourg, une vingtaine de maisons, l’église, la mairie avec l’école, l’épicerie bar tabac, la boulangerie, la poste et un vaste bâtiment abritant un atelier de réparation de machines agricoles, un garage et une pompe à essence, et tout autour des fermes et des champs, des bois et des ruisseaux.
Je partais souvent, seul, me promener dans la campagne, attiré par les fleurs, les insectes ou les petits rongeurs furtifs, impressionné par la prodigalité de la nature, notamment dans et autour d’un petit étang grouillant de vie, dans lequel j’avais attrapé à main nue des têtards et des petits poissons, des insectes d’eau ou des scarabées, des rainettes miniatures et des nénuphars gigantesques et un affreux petit crapaud gris vert et plein de pustules qui me contemplait l’air hautain et dédaigneux depuis le creux de ma main, tellement tranquille que j’en arrivais à me demander si ce n’était pas lui qui m’avait capturé… pour m’observer de plus près… Je le reposai délicatement dans l’herbe. Il émit alors une sorte de borborygme et s’éloigna sans hâte, sans se retourner, fier et indifférent…comme le prince qu’il était… peut-être… !
« Dis donc mon gars ! Faudra pas être dans la lune dimanche ! »
Je devais avoir l’air ahuri et Jean me regardait mi-souriant, mi-fâché, « sinon, pas de cadeaux ! » Et il partit d’un grand rire avant d’aller expliquer aux plus jeunes la technique de la course en sac.
« Psst ! Viens voir ! » me fit Gérard, le fils du boulanger.
Il tenait une sorte de gros scarabée noir dans sa main, un insecte fabuleux doté d’une paire de pinces impressionnante longues d’environ le tiers de sa taille. Il remplissait la paume de Gérard et devait bien mesurer six centimètres de long.
« T’en as déjà vu des comme ça ? » Et, levant sa main vers mes yeux, « C’est un cerf-volant, il est vachement gros non ? »
« Fais voir cette bestiole ! » lui demanda Hélène, une petite brune aux grands yeux bleu nuit, en lui tirant le bras. La bestiole en question qui remuait ses antennes et ses mandibules dans tous les sens ouvrit tout à coup ses élytres et dépliant ses ailes s’envola lourdement sous son nez lui tirant un cri d’effroi.
« C’est malin ! » dit Gérard d’un ton excédé. « Tu lui as fait peur ! » Et il partit en bougonnant.
« C’était quoi ? » m’interrogea Hélène.
« Un insecte, seulement un insecte ! » répondis-je d’un ton que j’eusse aimé ironique, mais qui ne fût que suffisant.
« Oh ça va ! » me dit elle légèrement vexée et elle s’éloigna, boudeuse, vers les maisons.
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