La mort comme héroïne
Je n’en peux plus de cette souffrance, de devoir acquiescer encore et encore, toujours subir et sourire, se soumettre et promettre, gémir et pleurer. Je ne veux plus voir ce visage infernal d’un homme qui prend son pied à l’intérieur de mon corps, qui fouille mes entrailles et pénètre toujours un peu plus fort ce vide qui me caractérise et me handicape. Il y a cette lame qui me reflète. Et si je disais non ?
C’est impossible. Il faut être forte. Il faut satisfaire, s’endurcir, tenir juste une seconde de plus jusqu’à sa jouissance et jouir avec lui. Il faut accepter l’impossible, s’aggriper à sa peau pour ne pas crier, lui faire des marques pour son égo. Il y a cette arme qui m’attire. Et si je partais ?
C’est impossible. Il faut rester, plaire, tenir les éclats plus qu’il ne faut en tomber, murmurer son plaisir. Il faut jouer son rôle, être dans la peau du personnage et vivre ses malheurs. Mais pourquoi s’acharner ? Il faudrait mourir, mourir et mourir, ne plus vivre et mourir, je veux mourir. Il faudrait ne plus rien dire et s’endormir, ne jamais se réveiller et ne plus subir. Il faudrait ne plus rire, ne plus gémir, ne plus souffler. Adieu les soupirs et les sous-entendus que l’on n’entend jamais. Adieu les nausées, les tremblements et les frissons incessants. Adieu cette vie qui ne m’aime guère et qui me hante et qui me désarme et me harcèle. Adieu le monde et vive la mort, vive la fin. Vive le rien, et ce couteau qui me fait de l’oeil depuis tout-à-l’heure. Et si je m’en emparais ?
Ma main se referme sur son manche et en saisit pleinement la douceur du métal. Elle se lève difficilement et se prépare au pire : elle en sourit, pleine de tourbillons dans le ventre. Elle éclate bientôt en sanglots car la fin est proche, la fin se prosterne devant elle, la fin est là. Le voilà qui accélère, qui frappe de plus en plus fort, de plus en plus vite, et moi qui souffre de plus en plus et qui meurt à chaque coup et qui renaît à chaque suivant. Il s’aggripe à ma peau et me tire les cheveux, alors je lui tranche la gorge à ce violeur, à cet assassin, ce monstre de chair qui vient de jouir en moi. Son sang gicle dans mon œil et coule en abondance dans ma bouche, sur mon corps nu. Je lui crache dessus et je plante la lame dans son dos pour lui faire mal encore une fois, pour l’entendre crier et cracher son propre sang, pour le voir s’écrouler sur moi avec cet air effrayé et consterné. Et pourquoi je n’ai rien dit ?
Il tombe sur moi, s’appuie de tout son poids. Les draps vermeils sont d’une beauté inégalable et je me complais dans cette mare douloureuse, cette mare qui me sauve et me venge, cette mare dans laquelle je nage et qui m’apaise. Il est mort, et bientôt moi aussi.
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