Pleine lune

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Elle se réveilla. L'appartement était plongé dans une douce lueur orangée : par la porte du balcon, on voyait le soleil se coucher par dessus les toits gris. Elle fixa la lumière jusqu'à ce qu'elle disparaisse, remplacée par la nuit. Elle regarda autour d'elle : l'appartement semblait endormi, plongé dans les ténèbres.

Elle frissonna. Un courant d'air se frayait un chemin dans le noir : la porte du balcon était entrouverte. Elle sortit timidement : la nuit lui avait toujours fait peur. C'était pour elle l'inconnu, l'innatendu, on ne pouvait pas savoir ce qui se passait sans lumière. Elle sursauta quand la porte grinça, poussée par son corps frêle. Elle ressentit sous ses pas un changement : le carrelage glissant de l'appartement était remplacé par du béton dur et solide. Elle plongea son regard perçant entre les barres de métal. L'ambiance était encore bruyante : de nombreuses personnes parlaient, se dirigeant vers des boîtes de nuit ou des restaurants. Au balcon en face, une femme fumait. Sa cigarette brillait d'un point rouge et incandescent dans le noir.

L'air était celui, chaud et immobile, d'une nuit d'été parisienne. Elle leva la tête et son cou se redressa, ses pupilles se rétractèrent. En haut, il semblait y avoir plus de lumière. Avec hésitation et maladresse, elle se hissa sur le toit. La fumeuse la remarqua à peine. Là, la lune, pleine, blanche et brillante, perçait les ténèbres, trop basse encore pour être vue de la rue. Elle se redressa, rassurée, et fit quelques pas élégants sur l'ardoise, comme pour prendre possession de ce nouveau territoire. Puis elle s'assit et fixa la nuit.

Ce fut lui qui la vit en premier. Son regard vif fut attiré par une lueur. Il crut que c'était la lune, mais non. C'était elle, sa fourrure blanche brillant autant que l'astre qui la faisait scintiller. Elle devait appartenir à une famille aisée : rien que cette fourrure en témoignait. Il se figea comme hypnotisé, et son pas habitué à fouler les toits se fit hésitant lorsqu'il alla vers elle.

Elle entendit un bruit, se redressa, le vit, gris au loin, tandis qu'il se rapprochait d'un pas hésitant, elle distingua un individu grand, roux et sale avec des yeux verts brillant sous l'astre lunaire. Il ne devait pas beaucoup se laver et il n'avait sûrement pas de toit.

Elle paraissait si loin, inaccessible. Lorsqu'elle se retourna, il vit ses yeux mauve, doux comme une caresse, et, quand elle se dirigea vers lui, il remarqua son pas élégant et feutré.

Un air de jazz monta de la rue.

Elle plongea son regard dans le sien, et ce fut comme si un orage s'était déclaré et que la foudre s'était abattue sur eux. Leurs cœurs faisaient le tonnerre.

Ils restèrent un moment comme ça, regards emmêlés, un mélange harmonieux et intense de vert et mauve habitant cet instant nocturne, cohabitant avec un air de jazz. Quand celui-ci prit fin, ses sonorités ne moururent pas immédiatement, résonnant encore sur le plafond de la nuit.

Il l'emmena sur les toits, retrouvant son pas léger et souple, lui faisant visiter son royaume perché et nocturne. Il sautait de toit en toit, habitué à ses acrobaties, lui à rendre ses sauts moins peureux, moins maladroits, moins hésitants, plus assurés, à prendre confiance en la nuit. Il lui montra les plus beaux endroits, l'effet si fantastique de la lune se troublant dans les eaux noires de la Seine, l'éblouissante tour Eiffel dans son pyjama d'or, un avion se découpant sur la lune.

Ils perdirent le fil du temps, la lune avançant à pas de vieux loup sur la route étoilée devint le plus rapide et discret des guépards. Le silence se faisait, chassant voitures et humains dans le sommeil, éteignant les restaurants. Seuls restaient les lampadaires, les maisons parisiennes se dressant tels des fantômes, et la lune, témoin silencieux de l'idylle qui se jouait.

Mais toute chose a sa fin, et celle de la lune annonce celle de la nuit. Le soleil répandit ses voiles roses et gris sur la ville endormie, sous leurs yeux éblouis par tant de merveilles. Elle sentit qu'il fallait rentrer, ou l'on s'apercevrait de son absence. Il la raccompagna et la regarda sauter sur son balcon avec aisance, puis il s'en alla dormir. Il n'avait pas de toits sur sa tête, mais en dessous. Avant de sombrer dans le sommeil, il songea à un proverbe humain. Ce n'était pas vrai. La nuit, tous les chats ne sont pas gris. Elle, elle était blanche comme la lune.

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