Vivre
Ania entendit sonner à la porte par une fin d'après-midi de février. Qui donc cela pouvait-il bien être ?
<< Madame.
Deux hommes de l'armée étaient là, sur le seuil de sa porte. Que faisaient-ils là ? Ils n'avaient rien à faire ici.
- Messieurs. Que...
- Toutes nos condoléances.
- Quoi ?
Le plus jeune des deux lui tendit une lettre cachetée.
<< Nous avons pu sauver son corps. La plupart des familles n'ont pas cette chance. Il sera enterré demain matin. L'adresse est indiquée dans la lettre.
- Mais de qui donc parlez-vous ?
- Du soldat XV1853. Edmond... >>
Elle n'entendit pas la suite. Elle connaissait son numéro, elle savait pourquoi ils étaient là avant qu'ils ne lui disent. Il n'y avait qu'une seule raison pour que ces hommes sonnent à sa porte.
Une servante qui avait acouru lorsque la porte avait été ouverte salua les hommes, ferma la porte et installa sa maîtresse dans un fauteuil du salon. De là elle ne bougea pas, fixant un point lointain d'un regard vide.
C'est ainsi que son père la retrouva lorsqu'il revint de chez un vieil ami.
<< Ania ! Mais qu'a-t-elle ?
- Des hommes sont venus annoncer la mort de Monsieur Edmond, lui répondit la servante en désignant la lettre, toujours cachetée.
- Edmond ? Le petit Edmond...
- Ils ont dit qu'il est mort, dit enfin Ania.
- Ania, ma chérie...
- Ouvre la lettre père. Dis-moi ce qu'ils y disent.
Le père hocha fébrilement la tête, caressa sa main en une vaine tentative de réconfort et ouvrit la lettre.
- Il est mort d'une flèche ennemie en plein coeur. Il y a une semaine. Aucun effet personnel. Des vêtements durcis par la boue. Un bout de bois avec ton prénom gravé dessus. Ils... Ils l'enterrent demain à...
- Bien, dit froidement Ania.
- Ma chérie...
- Qui est responsable de sa mort ?
- Personne et tout le monde... L'archer obéissait au capitaine qui obéissait au lieutenant qui obéissait à...
- Qui doit être puni ?
- Ania. On ne peut pas punir.
- Père ! C'est Edmond ! Il est mort ! Vous l'avez envoyé sous la flèche de cet archer en l'envoyant à la guerre ! >>
Ania se leva brusquement, monta sa chambre et ferma sa porte à clé derrière elle. Elle n'en ressortit que le lendemain pour partir assister à l'enterrement de celui qu'elle aimait.
Alors que le cercueil s'enfonçait petit à petit sous terre elle repensa à quelques mots prononcés longtemps auparavant. << Sois heureuse, mon Ania chérie. >>. De la plus profonde des abîmes, son fiancé la suppliait de vivre pour eux deux.
Alors qu'elle lâchait ses fleurs sur ce corps tant aimé, alors que la terre le prenait en son sein, elle sourit. D'un sourire étrange, qui fit frissonner certains, éblouit d'autres.
Elle n'abandonnerait pas. Il l'avait supplié de vivre pour eux deux. Et elle le ferait, car à présent se retrouvaient deux vies en un corps.
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