Quand l’horizon se cantonnait aux murs d’une chambre d’auberge, les perspectives étaient limitées également. Si souvent elle s’était étendue sur ce grand lit moelleux, dont les draps en lin mordorés susurraient les promesses d’un agréable repos. Fut une époque où elle était si exténuée qu’un sommeil sans rêve l’emportait sitôt qu’elle enveloppait son corps sous une couverture.

Elle n’avait plus cette chance depuis son premier séjour dans les ruines de Dargath.

Cette nuit-là, Héliandri peinait à fermer les yeux. Pourtant percevait-elle à peine les derniers chants nocturnes, tout comme les querelles de soûlauds perdus dans les faubourgs de Parmow Dil. Réduite à fixer le plafond où s’entrelaçaient des lattes laquées, restreinte à étendre ses jambes sur la largeur de son matelas, l’aventurière déplora une transpiration malvenue.

Ses respirations se hachèrent par surcroît.

Héliandri se résigna alors, aussi lourdes fussent ses paupières. Naguère, un simple coup d’œil latéral l’aurait décontractée. Même si ses craintes s’intensifiaient, il lui aurait suffi de glisser sur le plancher crissant et, d’une chambre à l’autre, apprécier l’étreinte et les consolations de Wixa.

Seuls les chuchotements de jadis lui procuraient une once d’accalmie, désormais.

— Tu n’es pas si loin, murmura-t-elle. As-tu vraiment ta propre quête à mener ? Ne pourrons-nous plus jamais voyager ensemble ?

Cette pensée glaça les veines de l’aventurière, dont les membres furent lancinés de frissons. Bien qu’elle s’évertuât à combattre le froid, l’image avait déjà apposé sa marque aux tréfonds de son âme, et ne l’abandonnerait pas de sitôt. Plus ses inspirations ralentissaient et plus profond devenait son mal-être.

Elle se hissa hors du confort d’un rapide saut, manquant de buter sur le sommier avant. Haletante, elle négligea la désagréable sensation de ses pieds nus sur le plancher, ainsi que ses mèches pendant inélégamment contre sa chemise de nuit. Elle observa ses mains moites, épouvantée, désorientée. Rien ne lui prodigua de la stabilité au sein d’une chambre pourtant dépourvue de toute altération.

Des secousses ébranlèrent les parages. Assez puissantes pour être pleinement ressenties, guère pour lézarder le mobilier autour d’elle. Ni une, ni deux, Héliandri se dégrouilla pourtant vers la fenêtre adjacente, et tira ses rideaux céruléens d’un coup sec.

Dehors régnait une fausse accalmie. Moult citadins avaient ouvert leurs volets et s’étaient enquis de leurs environs depuis leur balustrade. La cheffe des gardes locaux, brandissant une lanterne, avait hélé ses subordonnés qui patrouillaient diligemment dans les allées. Davantage de frayeurs que de douleur se propageaient. Aucune lésion n’entamait les pavés, aucune fissure ne condamnait les fondations.

Tous les témoins étaient pourtant frappés de confusion.

Héliandri s’extirpa de cette lugubre quiétude. Nulle lueur ne la tenaillerait à travers ses tentures. Mais lorsqu’elle se retourna, quand elle ignora le bruit dehors pour mieux s’endormir, l’éblouissement l’impacta de plus belle.

Il ne s’agissait pas d’une lumière tangible. Étalée sur son lit malgré elle, l’aventurière ne trouva pas délivrance en fermant les yeux. Fût-ce un bref flash ou une interminable illumination, elle ne sut l’affirmer, tant le temps se distordait sous le poids de la vision.

Malgré tout, Héliandri finit par accepter ce qui lui avait été assénée. Comme si son flux intérieur, dont elle n’avait jamais exploité le potentiel, avait réclamé ce moment des décennies durant. Une colonne ambrée, d’une pureté inégalée, liait ciel et océan au nord. Dominant si longtemps son environnement, aux grésillements presque musicaux, la coruscation se grava avec une efficacité inégalée.

Et ne s’éteignit qu’au moment où l’aventurière sombra finalement dans le sommeil.