Chapitre 20 : Prétendu bienfaiteur (2/2)
De prompts préparatifs précédèrent leur envol. Suivant les indications de Nasrik, Kavel alourdit son sac d’une douzaine d’ouvrages, puis partagea le reste avec ses compagnons. Tous abandonnèrent l’édifice une quinzaine de minutes après l’avoir décidé.
Et plongèrent vers les horizons inexplorés des terres émergées.
Le réseau d’îles se concrétisa bientôt à la descente des krizacles. Quand s’atténua la perception de vertige, les frissons s’amplifièrent de plus belle. Ils s’engouffrèrent dans un puits de flux magique que même les plus insensibles pouvaient sentir. Où des étincelles parcouraient leur peau et se cumulaient à la caresse d’un vent modéré.
Nasrik eut à peine besoin de guider sa monture, qui mena ses homologues en direction du nord-est. Ils survolèrent plusieurs îles, tantôt de havres retirés, tantôt de riches panoramas dont le relief peinait à rivaliser avec la hauteur de bâtisses. Entre sylves rutilantes et mornes landes s’insinuèrent des traces de vie, fussent-elles représentées par une faune endémique ou des explorateurs isolés. Dans d’autres circonstances, le groupe se serait davantage perdu en contemplations, mais seule Muznarie s’y consacrait. Les autres voyaient les heures défiler sur les palpitations de leur organe vital. Les autres s’immergeaient malgré eux dans cet environnement, s’enfermaient dans leurs pensées, s’imaginaient à quoi pouvait ressembler Thusred.
Un rivage sinueux se matérialisa au summum de leur captivation. Nasrik dut alors s’accrocher à la créature, épaulée par Kavel, tant les souvenirs l’assaillirent. Celle d’un lieu séparé des autres îles par des dizaines de kilomètres. Celle d’une terre dominée d’un vert luisant, quoiqu’opposé par les feuilles cramoisies suspendues à certains arbres. Celle d’une mélodie sans parole, celle d’une magie enfermée dans un dôme indécelable.
— Il était grand temps, déclara l’inconnu.
Lorsque les krizacles passèrent au-dessus de la cime, l’objectif se déploya dans son entièreté. Établi sur l’escarpement d’une colline moutonnante, au nord d’une forêt vibrant d’un envoûtant enchantement, s’achevant sur une éminence délimitée par une crique. Une œuvre façonnée tout en courbure en symétrie, où fezura et vônli s’alternaient harmonieusement, s’élevant sur des dizaines de mètres. Aussi surannées apparussent-elles, les fondations n’en demeuraient pas moins solides. Elles s’étendaient sur des kilomètres, visibles dans leur intégralité uniquement car la compagnie les admirait d’assez haut. De leurs interstices transperçaient des piliers soutenant leurs murs latéraux. Même si des tons sombres dominaient, quelques charpentes iridescentes détonnaient dans l’infrastructure, fendant bastions et courtines dans toute leur épaisseur.
Muznarie avait le souffle si soupé qu’elle manqua de perdre l’équilibre, rattrapée de justesse par Nasrik. Elle se confondit en remerciements avant de la lorgner d’un air fasciné.
— Un seul bâtiment ! s’exclama-t-elle. Tu es certaine que nous sommes au bon endroit ?
— La stase a perturbé mes souvenirs, admit Nasrik, mais je m’y fie encore. Un seul bâtiment, oui, mais immense. Nous isoler de l’extérieur était censé nous préparer à la stase… Une solution temporaire, bien sûr. Rester dans l’obscurité aurait détérioré notre corps comme notre esprit.
La militaire réfléchit aux implications de ces propos. S’y attarda tant que les krizacles qu’elle fut pris de court au moment où les krizacles amorcèrent leur atterrissage, sans lui laisser le temps de transmettre le message à ses camarades.
Des grésillements accompagnèrent la fin de leur trajet. À peine s’étaient-ils fixés sur la devanture tavelée d’ocre que des filaments éclairèrent les fentes pour mieux rejoindre le soubassement. Ils s’approchèrent de la géante porte ébrasée, dont les battants étaient marbrés de symboles torsadés. Chaque symbole était prétexte à l’immortalisation, mais même si Nasrik voulait lui laisser le temps, elle s’empressa de pousser le vantail.
Rien ne se produisit.
— Thusred est condamné ? s’affola Nasrik, une goutte de sueur glissant sur sa tempe.
— Bien sûr que non, répondit l’inconnu. Il s’agit là d’une mesure de protection contre les intrus. D’innombrables explorateurs piétinent ce territoire sans en saisir leur portée.
— Nasparian s’exprimait de la même manière.
— Et là est notre unique ressemblance. Cessons à présent les comparaisons inexactes. Je ne souhaitais pas que n’importe qui s’aventure dans mon foyer. Vous, vous en êtes dignes.
Nasrik eut beau insister, ses mots se perdirent dans le vide. Toutefois les battants se déployèrent sur un vrombissement, dévoilant un couloir où ténèbres et lumières occupaient une part égale. Une onde d’angoisse parcourut Nasrik au moment de poser le pied, mais l’entrain relatif de ses compagnons l’encouragea à les mener. Ils s’élancèrent sur des incertitudes tout juste intériorisées.
Et tremblèrent dès que claquement de la porte les coupa du monde extérieur.
— Est-ce là une vision rassurante ? interrogea Kavel. Une demeure en bonne et due forme ? Même moi qui aime souvent me cloîtrer à l’intérieur, je ne me sens pas à l’aise. Il faut de l’air, de la lumière naturelle.
Nasrik enroula sa main autour de son épaule avant même que Muznarie eût tout rapporté. Il y eut un cordial échange de sourire, grâce auquel l’historien frôla l’apaisement. Il y eut un instant de suspension, où toute découverte était retardée.
— Notre maison d’antan était loin d’être idéale, concéda Nasrik. Nous avions l’idée de bâtir une ville recluse, où le temps n’aurait plus cours. La construction a pris un temps considérable. J’étais enfant quand mes parents ont fait ce choix… et adulte quand nous avons laissé cette demeure pour une autre. Pourquoi se priver des bienfaits de la nature, surtout si notre sommeil devait durer des siècles ? Des siècles, oui…
À son tour Kavel soutint Nasrik dès qu’il vit ses traits s’obscurcit. Pas après pas, elle s’aventurait dans ses souvenirs de jeunesse. Ses chaussures ripaient sur un pavé vétuste mais intacte, fort d’une magie manifeste par ses stridulations. Tous cheminèrent prudemment, suspendus aux paroles de Nasrik, laquelle sondait son environnement en profondeur. Étonnée mais satisfaisaite, elle s’enfonça avec enthousiasme le long de l’allée.
— Tout n’a pas été en vain ! lança-t-elle. Thusred a survécu même si nous avons été absents beaucoup, beaucoup plus longtemps que prévu. Nous l’avions imprégné d’une puissante magie, mais tout de même !
— Votre destinée reposait entre leurs mains, rapporta l’inconnu. Chaque gardienne, chaque gardien a laissé son empreinte en Thusred. Il n’y a donc guère lieu d’être sidéré que leur héritage résiste à la traversée des âges. Ma propre contribution ne doit pas être négligée.
— Ça a l’air si banal pour vous… Mais pour tant d’entre nous, les millénaires sont difficiles à appréhender.
— Pour l’instant, retiens juste une chose : nous avons été meilleurs pour préserver notre œuvre.
Des doutes envahissaient Nasrik, entravaient sa progression, ce malgré les interpellations de Kavel et Muznarie. Cette dernière endossait la délicate tâche de traduire une moitié de conversation, d’autant plus ardue que l’attention se portait ailleurs. Vers les orbes scintillant faiblement en-deçà des murs eux-mêmes veinés de magie. De part et d’autre d’un large passage, illuminé par ces halos blafards, se déroulait une multitude de portes enfoncées sur une devanture courbée. Nasrik avisait ces habitations de jadis avec nostalgie. Plissait ses lèvres chaque fois qu’un écriteau dévoilait un nom désormais effacé de l’histoire.
Morosité et fascination s’affrontèrent durant cette traversée. Puis ils arrivèrent au bout du couloir.
Au centre d’une salle circulaire s’élevait un socle où des motifs abscons s’enchevêtraient. Entourés d’épaisses colonnes grises, des dizaines de sépultures frappèrent la compagnie. Toutes étaient surmontées d’un acrotère et marbrée de plinthes, gravures ternies par les époques. Contrairement au reste de l’édifice, aucune apparente magie ne régnait dans les environs, pourtant nul ne douta de leur authenticité.
Nasrik plaqua sa main contre sa poitrine comme son visage se décomposa.
— Ce sont…, murmura-t-elle. Ce sont eux ?
— La plupart, confirma l’inconnu. Malgré mes confirmations précédentes, une part de moi voulait encore espérer ?
— Peut-être. Il n’est jamais facile de dire adieu. Quand nous nous sommes séparés…
— Prends ton temps. Je voulais que vous vous rendiez ici en premier lieu pour pouvoir que tu puisses faire mieux faire ton deuil.
— Merci. Ils ont accompli un énorme sacrifice.
— Qui aura été vain si nous retombons dans nos pires instincts. Ils ont œuvré jusqu’à l’inévitable déclin. Ils sont morts pour un avenir qu’ils ne verront jamais. Qu’auraient-ils pensé du monde dans lequel leur peuple s’est réveillé ?
— J’imagine que votre mission est de les honorer.
— Pas exactement. Ils étaient douloureusement imparfaits, le propre d’une vie intelligente. J’avais moult désaccords avec les homologues de ma génération, et néanmoins je nourrissais l’espoir de mieux avancer avec eux. S’ils m’avaient écouté, je ne serais pas le seul à converser avec toi en ce moment.
— Qu’insinuez-vous par là ?
— Que mon esprit s’est ouvert vers des horizons s’inimaginables, là où le leur s’est enfermé sous le poids des millénaires.
Nasrik se rua vers la tombe la plus proche. Mobilisant ses forces, elle déplaça le socle pour mieux révéler le corps à l’intérieur. Tout ce qu’elle trouva se résuma cependant à une jarre remplie de cendres et couvert de poussière.
Le choc fut tel qu’elle dut être rattrapée par Kavel.
— À quoi rime ceci ? tonna-t-elle.
— Je concède que c’est une vision déconcertante, dit l’inconnu. À tes yeux, néanmoins. Tu as grandi dans une culture qui inhume ses morts. Mais dans leurs ultimes instants, gardiennes et gardiens ont été suffisamment judicieux pour opter pour l’incinération.
— Pour quelle raison ?
— Kavel ne t’a pas expliqué son escapade dans le temple de Therzondel ? À jamais la mémoire de Delcaria a été souillée. Libérés de leur enveloppe charnelle, privés de leurs ossements, tes protecteurs ne subiront pas ce même triste sort.
— Qui est Delcaria ? Ce passage ici était censé assembler les fragments manquants !
Son interlocuteur ne le gratifia d’aucune réponse malgré ses appels. Désemparée, Nasrik devait compter sur le soutien de Kavel et Muznarie. Ils la stabilisaient tant bien que mal, rongés par l’inquiétude, perdus en consolations à moitié prononcée. Rien ne rassérénait pourtant leur amie. Elle s’ébranlait davantage chaque fois qu’une sépulture supplémentaire hantait sa vision. Elle exsudait outre mesure chaque fois que ses échos s’éteignaient dans le vide.
Autour d’elle, seule Yazden se mouvait. Elle alla d’une tombe à l’autre, les yeux révulsés par ce qu’elle y découvrait, et ne put dresser que le morne constat. Celui d’âmes volatilisées, dont les restes se méprenaient à une poignée d’escarbilles. Celui d’un silence dont la durée dépassait toute conception.
Malgré la promptitude de sa garde du corps, Guvinor demeurait à l’écart. D’où qu’il détaillait la scène, son estomac ne cessait de se nouer alors que son corps vacillait. Il comprenait plus que jamais cette sensation de déséquilibre. Comme si ses forces le quittaient, et qu’il en était réduit à ses parties fondamentales, une armature proche de chavirer.
— Est-ce que Thusred était lui aussi sous les eaux ? demanda-t-il.
— Jamais il ne le fut, clarifia l’inconnu. L’on pourrait considérer les abysses comme l’habitat naturel d’un volcan, mais la tour du savoir et cette cité devaient tous les deux rester à la surface pour contrôler la stase.
— Mais alors, comment se fait-il que nous n’ayons jamais aperçu Thusred au cours de nos précédentes explorations ?
— Tu te heurtes à ton arrogance, Guvinor. Enfin tu rencontres quelqu’un connaissant mieux ces lieux que toi. Tu t’es contenté d’y abandonner ton frère avant de détaler. Ce qui, accordons-nous, n’est pas propice à la découverte.
— Vous parlez comme lui !
— Parce que ses intentions sont néfastes, il n’y a rien de vrai dans ses dires ? Oh, Guvinor. Il est plus que temps que nous nous entretenions. Seul à seul.
Tout à coup Guvinor se mit à léviter légèrement au-dessus du sol. De fines lueurs le transpercèrent de part et d’autre sous l’affolement de ses camarades. Avant qu’ils ne pussent intervenir, Yazden plongeant à brûle-pourpoint, il se volatilisa.
Des hurlements perturbèrent la sérénité des lieux. Des pleurs se déversèrent sur le pavé. Puisque la voix se fracassait encore sur ses tympans, Yazden dut se relever. Une colère noire motivait chacun de ses gestes qu’elle ne pouvait diriger contre un ennemi. Sous ses sillons se lisait le désespoir, que l’intervention de ses camarades échoua à atténuer.
— Pourquoi une telle rage ? demanda l’inconnu. Tout est méticuleusement calculé.
— Vous avez intérêt à nous fournir de solides explications ! attaqua Yazden. Vous vous targuez d’être notre allié, vous exigez de nous une confiance absolue. Je ne puis m’y résoudre dans de telles conditions.
— Tu es bien éloquente, pour une garde, aussi comprendras-tu mes motivations. Bientôt vous me rencontrerez. Je ne puis toutefois tout vous révéler sans que vous ne cherchiez à comprendre par vous-même. Ici tu apprendras quel rôle a joué Onjuril Seran de son vivant.
— Donc nous sommes censés vous remercier ? Vous saluer pour votre infini savoir et omettre vos méthodes douteuses ?
Yazden fit craquer son poing comme ses traits se déformaient.
— Où étiez-vous auparavant ? accusa-t-elle. Où étiez-vous quand Nasparian sévissait ? Où étiez-vous quand il massacrait les armées du Nirelas et du Ruldin ? Plus je prête mes oreilles, et plus je devine qu’une part de lâcheté vous entrave !
— Tes préjugés ne m’offensent pas, rétorqua le protecteur, car ils se basent sur une méconnaissance partielle des enjeux. Je suis juste surpris que tu tiennes autant à Guvinor, après que tu te sois sentie trahie il y a tout juste plusieurs heures.
— Mon serment reste identique. Et pour l’instant, rien ne m’indique que vous êtes celui que vous prétendez être.
— Cela ne m’enchante pas, mais nulle alternative n’est envisageable. Guvinor détient les clés de notre victoire, enfouies en lui. Je me dois de les découvrir avec lui, et seulement après je me dévoilerai à vous.
— Ainsi nous sommes prisonniers de votre volonté. Condamnés à suivre votre parole.
— Votre dévotion sera récompensée. Maintenant, Yazden, laisse ton ressentiment de côté et change temporairement ton allégeance. Nasrik vous guidera dans cette pénombre.
Les appels eurent beau se multiplier, cette invisible magie déclina. Il ne restait qu’une garde interloquée, astreinte à s’orienter ailleurs. Elle ne put trouver nul réconfort auprès de compagnons aussi déboussolés qu’elle, figures perdues dans la vastitude la cité.
Nasrik dut s’armer de courage pour les mener.
*****
Guvinor ignora combien de temps il était resté dans l’inconscience.
Que la caresse du flux ou les rafales nocturnes l’eussent réveillé, il n’en savait rien. Tout ce qu’il perçut fut cette voûte constellée d’étoiles face à laquelle une silhouette s’était rivée. Il se tenait à proximité du précipice, par-delà les voussures, mains jointes derrière le dos.
— Magnifique, n’est-ce pas ? commenta-t-il.
Guvinor était étalé sur le froid dallage, aux interstices parcourues de plantes grimpantes. De modestes sphères étincelaient autour de lui sans égaler la coruscation stellaire. Il s’en servit comme repère au moment de découvrir ses alentours, et malgré tout il resta déboussolé, déséquilibré.
— Enfin nous nous rencontrons. Contrairement à ma discussion avec Nasrik, tout est tangible, tu peux vérifier. Et je suis bien physiquement présent.
Non sans peine, Guvinor se redressa. Arrêta d’explorer ses environs. Se focalisa au centre de sa vision, où reposait le cœur de ses tourmentes. Un individu vêtu d’un ample chemisier opalin et d’un sombre pantalon que séparaient une épaisse ceinture grise. Un individu mince et de grande taille, doté d’une longue chevelure argentée qui miroitait les reflets de la sorgue. Il se retourna aussi lentement que possible.
Ébloui, paralysé. Guvinor l’observa de longues secondes pour confirmer que ses sens ne le trompaient pas. Jamais n’avait-il rencontré de ludrams à la peau aussi noire que la nuit, parsemées d’éclats semblables aux étoiles, renforcés par la simplicité de ses traits. Même ses yeux luisaient en permanence, guère de la même étincelle qu’un ressuscité, plutôt d’une lumière unique.
Il tendit la main à Guvinor avant que ce dernier ne pût se remettre de cette vision.
— Je m’appelle Zargian, dévoila-t-il. Autrefois gardien, j’endosse aujourd’hui un rôle bien plus complexe.
Le parlementaire refusa d’abord le saluer. Toute entrée était condamnée, toute sortie le précipitait vers une chute inexorable. Guvinor se résigna à lui serrer la main, à se heurter à un sourire indéchiffrable.
— Ton angoisse transparaît, remarqua Zargian. Si j’ai pu semer le doute par le passé, sache que tu n’as rien à craindre de moi.
— Vos pouvoirs n’ont pas à rougir face à ceux de Nasparian ! rétorqua Guvinor.
— Il s’agit de les utiliser à bon escient. Jamais je ne les ai employés à des fins violentes et jamais je ne trahirais ce principe.
— Même si cela devient nécessaire ?
Zargian se fendit d’un court rire auquel succéda la réprobation.
— Les civilisations périclitent à cause de ce type de pensées, marmonna-t-il. La magie est un don précieux. Qui nous l’a donné ? J’aimerais le savoir, mais en attendant, il convient de ne pas gaspiller ce pouvoir. Ne nous reposons pas sur un soi-disant détenteur exceptionnel qui, sous prétexte d’endiguer une force destructrice, causera davantage de dégâts.
— Comment empêcher Nasparian de sévir, dans ce cas ? demanda Guvinor.
— Intéressant que tu ne l’appelles pas par son véritable prénom.
— J’ai cru qu’une part de lui subsistait en Nasparian… J’ai changé d’avis après qu’il ait tué Akhème.
— Est-ce que le chagrin t’aveugle ou, au contraire, l’émotion te submergeait trop avant cette perte tragique ? Toujours est-il qu’il nous sera impossible de terrasser Nasparian par des moyens conventionnels. Sinon, il y aura davantage de victimes.
— Désolé, mais si vous comptiez sur moi pour trouver une solution… Je ne peux pas vous aider.
— J’en doute. Tes erreurs passées ont engendré les menaces du présent. Tu as toi-même souffert des répercussions de tes actes. Pourtant, opiniâtre comme tu es, tu refuses d’admettre cette part sombre en toi.
— J’ai changé !
— Mais à quel prix ? Assez pour jouir d’une bonne réputation auprès des tiens. L’essentiel ne se situe plus là, car le péril immédiat sévit ici ! Tu as engendré un monstre, Guvinor. Un obstacle contre mes ambitions.
— Donc il s’agit de vous avant tout, Zargian. Même si vous enjolivez par votre prétendu altruisme.
Zargian se vexa tant qu’il fit volte-face derechef. Derrière lui, Guvinor gardait une distance raisonnable, mais une coercition s’exerçait sur lui, l’empêchait de s’éloigner. De quoi percer à travers son apparente impavidité.
— Tu ne m’as pas posé la question évident, dit Zargian. Par la manière dont tu as réagi, tu n’as jamais vu un ludram tel que moi.
— En effet, répondit le politicien. J’ignore même comment c’est possible.
— Il va falloir t’y accoutumer. Pendant des siècles, que dis-je, des millénaires, des mages prétendument brillants se sont bornés à manier des sorts simplistes, ignorant les vastes possibilités de la magie. Devons-nous être victimes de notre environnement ?
— Vous touchez à un sujet complexe. Ma complexion grise reflète mes origines comme membre de la tribu Kothan, par exemple. Ainsi sont les choses pour nous, ludrams.
— Nous aurons tout le temps de nous intéresser à tes origines… Quant aux miennes, c’est fort simple. J’ai conquis mon environnement pour mieux rapprocher du cosmos.
Guvinor se cala à ses propos, sa bouche s’entrouvrit, mais ses mots moururent dans sa gorge. Amusé, Zargian ne lui consacra qu’un coup d’œil de biais.
— Encore pantois ? lança-t-il. Là où les badauds se cantonnent à la contemplation, cette immense toile méritait de profondes investigations. Mais même aves les instruments les plus avancés de notre époque, les astronomes n’obtiennent qu’une compréhension limitée de notre univers.
— Notre… univers ? Zargian, je suis perdu. Il reste encore tant à savoir sur notre propre monde.
— D’où l’impérieuse nécessité de tout comprendre ! Ainsi nous pourrons nous orienter vers cet objectif crucial. Et nous allons commencer par toi, Guvinor.
Dès que leurs regards se croisèrent de nouveau, ce fut comme si la foudre s’abattit sur le parlementaire, menaçant de le rompre. Une faible douleur lui taillada le crâne pendant que Zargian le dévisageait intensément. Le flux environnant eut beau tenter de l’accueillir, Guvinor ne pouvait que frissonner face à cette figure encore voilée de mystère.
— Découvrons qui se dissimule derrière la légende, déclara Zargian. Qui tu t’évertues à refouler, même s’il a contribué aux horreurs de notre époque.
Annotations
Versions