Chapitre 41 : Le choix décisif (3/3)

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Sur son atterrissage, une puissante, incomparable onde de choc se propagea. Taillada quiconque avait le malheur de batailler à directe proximité. Propulsa des dizaines de belligérants sur plusieurs mètres, qui se fracassèrent sur les limites du campement sur une douleur atroce. Même des jhorats s’écroulèrent sur un grondement, car le flux si véloce, si ubiquiste, fractura leur kolu facilement.

Derrière l’opaque écran de fumée, çà et là teinté d’ocre, il n’y avait aucune ambiguïté quant à l’identité de l’assaillant. De sombres particules dansèrent autour de ses paumes tandis qu’il contemplait son œuvre. Son sort avait impacté indifféremment, ainsi ce fut envahis de confusion que les deux camps se rivèrent vers lui. Lui, l’ennemi tout désigné, s’érigeant avec fierté au centre de son œuvre. Lui, l’indubitable symbole de puissance, se nourrissant de la détresse d’autrui.

— Il y a du charme dans la faiblesse, déclara-t-il. Et de la nocivité dans la force.

Tant de poussière balayée généra une kyrielle de quinte de toux, bien que ce fût une préoccupation minime parmi cette accumulation de souffrance et cet amoncellement de corps. En outre, poutre, toiles, râteliers et autres mobiliers avaient été éjectés sous l’impact, s’étaient pulvérisés sur des personnes déjà meurtries. Même Dehol et Julari, pourtant considérablement à l’écart, en avaient échappé de peu.

— Quel sort attend les infortunés d’aujourd’hui ? s’interrogea Nasparian. Une réunion tant attendue avec leurs divinités de préférences, pour autant qu’ils les priaient ? Une réincarnation vers une existence plus sereine ? Un plongeon vers l’oubli éternel où, paradoxalement, le temps n’a plus cours ? J’ai beau avoir expérimenté la mort et en être revenu, même moi n’ai pas privilège de connaître la réponse.

Il savourait chaque mot déclamé, quitte à appuyer sur la géhenne de tout un chacun. À force de progresser dans son discours, il s’attarda sur des cibles en particulier, jusqu’à s’arrêter la dépouille de Bisaraj. Et la contempler si longtemps que les témoins en eurent les veines glacées.

— Je suis intervenu au moment propice, dit Nasparian. Bisaraj Harana ne saura jamais qui était le meurtrier de son mari. Moi-même.

Instantanément une vague de stupeur submergea la mêlée. Une vingtaine de terekas réduisit la distance avec leur nouvel ennemi, arme enchantée au poing, dardant des yeux furibards. Ils évitèrent toutefois de trop se rapprocher, puisque son aura pernicieuse s’étendait sur un rayon considérable.

— Inutile de me dévisager ainsi, s’amusa Nasparian. Tôt ou tard, il me fallait bien dévoiler la vérité. Et il n’y en a pas qu’une méritant d’être révélée au grand jour… Quoi qu’il en soit, dissimuler mes véritables intentions était fatiguant. Maintenant que vous vous êtes assez entretués, je peux amorcer la prochaine étape de mon plan.

Elle qui avait lâché ses lames, Sharialle était tentée de les ramasser, d’enserrer derechef ses mains autour de leur poignée. Surtout quand elle remarqua Nasparian s’intéresser à Muznarie… et ses yeux se fixer sur Parza.

— Je n’ai pas mentionné la faiblesse que de manière générale…, poursuivit-il. Protectrice de l’innocence incarnée, vraiment ? Tu ne bernes personne, Muznarie. Permets-moi de mettre fin à cette fumisterie à ta place.

Sur une paume déjà saturée de flux jaillit un sort innommable. Nasparian canalisa une part conséquente de la magie environnante, par laquelle il exerça son attraction. Muznarie eut beau résister, le visage lustré et contorsionné, Parza lui échappa sur un cri d’épouvante. Il ne fallut qu’une fraction de secondes à Nasparian pour l’amener à lui, après quoi il enserra ses doigts étincelants autour de son cou.

— Enfoiré ! vociféra Daref. Rends-nous notre fille !

— Un tracas futile, riposta Nasparian, puisque tu vas la rejoindre aussitôt.

Dans la désolation résonnait l’affliction telle une mélodie. Générale et commandant, à l’alliance vacillante, s’unirent à la rescousse de leur enfant. Mais à peine Daref s’était-il élancé, tout juste avait-il levé sa hache, que son adversaire l’attira à semblable vitesse. Réduit à l’impuissance, sa destinée liée à celle de Parza, ses jambes se balançaient dans le vide. Nasparian absorbait l’énergie, annihilant toute possibilité de riposter. Sharialle hurlait, braquant son épée avec accablement, tandis que Muznarie vacillait, pantelait, pâlissait.

De surcroît, Nasparian avait invoqué un bouclier magique autour de lui, contre lequel ses opposants se jetèrent sans pouvoir l’esquinter.

— Sharialle Telunn ! interpella-t-il. La grande générale, si forte et si sage, doit être bien capable de surmonter une telle épreuve. Je suis d’avis qu’on ne peut accéder au triompher sans être prêt au sacrifice. Je sais cependant me montrer généreux, aussi vais-je te proposer le dilemme suivant : qui sauveras-tu ?

Rage, désespoir, voire une combinaison : Muznarie ignorait ce qui impulsait sa supérieure. Des gouttes écarlates perlaient sur ses bagues en obsidienne comme des détériorations entamaient son plastron. Ses phalanges blanchissaient à forcer de crisser sur son pommeau. Mais derrière cette mine ravagée, la soldate remarqua un rictus inhabituel émerger sur la figure de sa générale.

— À première vue, enchaîna Nasparian, le choix est aisé. Récemment, Daref s’est montré assez exécrable. Il voulait tuer ton amante sans sourciller ! Mais malgré tous tes reproches, tu lui dois ton statut. Alors, le choisiras-tu ? Après tout, aussi adorable soit Parza, vous vous remettrez de sa disparition. Et vous disposez d’encore assez de temps pour donner naissance à un autre enfant. Il sera facile de la remplacer !

Inopinément, un rugissement bestial retentit. Lorsqu’elle s’orienta de nouveau vers sa meneuse, Muznarie ne la reconnut plus du tout. Une expression prédatrice, déparant ses traits, avait tout supplanté. Sharialle lécha même le sang séchant sur son épée, ce qui choqua jusqu’au plus imperturbable des soldats.

— Si tu commets l’irréparable, avertit-il d’une voix glaciale, aucune barrière magique ne te protègera. Je te transpercerai jusqu’à ce que tu deviennes méconnaissable. Je découperai tes organes puis les disperserai sur un pâturage. Je te viderai de ton sang et me baignerai dedans.

— Générale ! interrompit Muznarie, blafarde comme jamais. Vous avez toutes les raisons d’être en colère, mais ça ne vous ressemble pas !

— En effet, confirma Nasparian. Ses propos sont indignes d’une militaire décorée, plutôt d’une assassin. N’ai-je pas raison, Allarie ? Je t’avoue, quand ton ami Velk Dysmidan m’a communiqué cette information capitale, j’étais dubitatif. Aussi devais-je m’assurer qu’il disait la vérité… à ma manière.

— Je t’interdis d’utiliser son vrai nom ! beugla Daref.

Sharialle campa sur sa position, se figea dans son expression de haine viscérale durant d’interminables secondes. Nul parmi les personnes sous ses ordres ne fut apte à l’extraire de sa frénésie, pas même Muznarie. Mais quand la générale croisa le regard de sa fille, laquelle la dévisageait comme si elle était une inconnue, elle s’affaissa de plus belle. Et des larmes jaillirent une fois encore.

— Relève-toi ! insista le commandant. Il ne chercha qu’à nous déstabiliser !

— Pourquoi n’as-tu pas nié, dans ce cas ? répliqua Nasparian. Car tu l’as couvert durant toutes ces années. Le sort de ses innombrables victimes n’a-t-il jamais pesé dans ta conscience ? Vaillant et vertueux que tu étais à l’époque ?

— La ferme ! Je ne sais pas ce que Velk t’a raconté, mais tu n’as certainement pas tout le contexte !

— Certes. Voilà pourquoi j’ai dû inférer. Au moment où Allarie avait été appréhendée, elle devait être à peine majeure… tout comme toi. De l’empathie mal placé, un secret bien gardé, et la voilà promue au plus haut grade de l’armée ruldinaise ! Un changement de nom et de citoyenneté a suffi pour que vous trompiez tout le monde ! L’on me prétend cruel, mais une telle reconversion relève de l’ironie, puisque la nouvelle recrue a trouvé un moyen légal d’assouvir sa soif de sang. Vous n’aviez juste pas prédit que, vingt ans après, la guilde des assassins de Parmow Dil serait reformée !

— Tu mens ! s’écria Muznarie.

— Que te dicte ton cœur ? Je le concède, il est cruel qu’une des seules personnes à s’être jamais soucié de toi ait construit sa carrière sur un mensonge. Plus tôt tu accepteras cette rude vérité et plus tôt tu…

Derrière Nasparian s’éveilla une magie ancestrale, une énergie de puissance inégalée. Des frissons le parcoururent sitôt qu’il en identifia la source. Il s’efforça de retenir ses otages, mais les vibrations s’intensifièrent tant qu’ils furent délivrés de son emprise. Des soupirs de soulagement l’importunèrent d’abord, mais il préféra se focaliser sur la responsable.

Parza et Daref atterrirent sain et sauf hors du contrôle de Nasparian. Aux pieds de Vazelya, dont le faciès s’était embelli d’un large et fier sourire.

— Tes discours s’éternisent, critiqua-t-elle. Même quelqu’un comme moi s’en lasse inévitablement.

— Vazelya Milocer ! lança Nasparian. Justement, je commençais à m’impatienter. Quel fardeau t’incombe en sachant que tu as mis autant de temps à intervenir ?

— Pendant que tu pérores, d’autres agissent.

La mécène eut à peine besoin de canaliser pour briser l’égide de son ennemi naturel. Des myriades particules voletaient autour d’elle. À chaque foulée elle se renforçait, absorbant l’énergie avec une aisance déconcertante. Pris au dépourvu, Nasparian s’en remettait à ses réflexes, toutefois Vazelya fondait sur lui trop rapidement pour qu’il ripostât à temps.

D’une main Vazelya lui saisit la gorge, de l’autre un sort d’un blanc immaculé lui aveugla sa rétine. Des orbes convergèrent, chuintèrent, impactèrent son front. Ce fut un flux sans précédent qui assaillit Nasparian, incapable de se défendre, sous le regard estomaqué de chaque témoin.

Vazelya s’érigea au centre de la dévastation une fois délestée de sa responsabilité. Avant même que sa magie ne retournât dans son environnement, elle accorda un coup d’œil empreint d’assurance à l’intention de Dehol et Julari.

— Tout s’arrête maintenant, souffla-t-elle. Une paix durable et imperturbable. Personne, pas même mes plus opiniâtres opposants, ne niera que j’aie utilisé ce sort à bon escient. À présent, Nasparian ne représente plus la moindre menace, et pourtant il respire encore. À présent…

Fût-ce un rire sardonique ou une moquerie hautaine, Vazelya n’aurait su le qualifier. Mais en s’orientant vers Nasparian, qui s’épousseta les manches avec vanité, ses yeux s’écarquillèrent outre mesure. Un éclair la fendit tandis qu’elle observait cet homme inchangé le dévisager.

— Ce fut une belle tentative, admit-il. Néanmoins, tu étais si déterminée que tu en as omis l’évident.

— Je ne comprends pas, bredouilla Vazelya, encore sous le choc. Pourquoi mon sort n’a pas fonctionné ?

— Peu importent les murailles que tu dresses, je sais lire en toi. Tu n’as jamais compris pourquoi tu as échoué à t’effacer la mémoire. Une décision qui aurait pu drastiquement affecter le cours de ton existence, puisque tout témoin de « l’incident » ne s’en serait souvenu. L’explication est fort simple… nous sommes tous deux trop puissants.

Pétrifiée, la mécène reconsidéra chacune de ses décisions. Elle demeura immobile un long moment durant lequel Nasparian aurait pu l’attaquer, pourtant il n’en fut rien. Tous se calèrent sur la vision de deux mages face à face, exerçant une mainmise sans pareille sur leur environnement. Des particules convergèrent vers leur position, s’accrurent par leur simple présence.

Une résolution nouvelle emplit alors Vazelya.

— C’était donc notre destinée…, murmura-t-elle. L’on me pardonnera cet égarement. L’on m’excusera pour supprimer une ultime vie.

— Ha oui ? s’amusa Nasparian.

Vazelya fit craquer son poing à hauteur de sa hanche, autour duquel une intense lueur germa.

— Finissons-en, déclara-t-elle.

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