Don Finocchio et le Bedeau,

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À peine sorti du séminaire, il fut envoyé dans un petit village de Lombardie, suite au décès du curé en place depuis des décennies – d’ailleurs, mort la veille de son jubilé d'or dans la paroisse à 81 ans.

Du haut de ses 26 ans, si la population comptait lui montrer le respect dû à sa charge, les bigotes voyaient d’un mauvais œil son arrivée prochaine. Stella, la servante qui officiait depuis trois ans au presbytère était, d’après ces vieilles pies, « une dangereuse tentation pour un homme de son âge ». Monsieur le maire – qu’elles harcelaient au point de le rendre fou – n’avait pas de réponse, surtout que le délai était très court. C’est le bedeau qui – ayant de plus en plus l’idée peu catholique de trucider ces grenouilles de bénitiers – trouva une solution au conseil communal :

— Mon benjamin rentre du service militaire demain et il pourrait occuper le poste. Ceci, en attendant d’autres possibilités, calmera les furies en croisade. Après tout, d’ordonnance du colonel à la bonne tenue de la cure, il n’y a pas grande différence et il cuisine aussi bien que sa mère. Le travail aux champs continuera sans lui !

— Ok, mention votée ! clama aussitôt le maire - sans laisser le choix aux membres présents - de toutes façons, c’est ça ou je suis bon pour l’asile !

Trois jours plus tard, Flavio avait pris ses marques dans la maison curiale et Stella avait regagné la ferme parentale sans rechigner – le jeune ouvrier fraîchement embauché, peut être ! - et le train de Rome était prévu à l'heure. Que demander de plus !

Don Finocchio fut accueilli en grande pompe à sa descente du wagon. Les paroissiennes tombèrent sous le charme du serviteur de Dieu, même les mégères revêches se perdirent dans le bleu de ses yeux bienveillants. Évidemment son physique avantageux, son sourire perpétuel et sa voix, posée mais claire, de bariton lyrique, ne furent pas absents de l’équation.

Hommes et enfants l’apprécièrent très vite, les uns pour ses connaissances du monde rural – il était fils de métayer – et les autres parce qu’il n’hésita pas à participer à leurs jeux – courir derrière un ballon ne lui faisait pas peur. Même en soutane. Idem pour les non croyants – ou se déclarant comme tels – qu’il côtoyait et aidait si besoin, sans discrimination.

Bref, au bout de deux mois, il faisait partie du décor. On aurait pu le croire enfant du pays, tant il s’était bien intégré.

Flavio, lui, bien rodé dans son boulot, avait même pris une partie de la charge de son père et supportait avec le sourire les vieilles biques qui défilaient pour se plaindre de futilités, sous couvert de l’aider dans ses tâches à l’église. Elles avaient essayé de mettre leur grain de sel au presbytère déjà mais il les avait rembarrées, gentiment mais fermement, dès le début. C’était son domaine, point final !

Pour ne plus perdre de temps en allers-retours – la demeure familiale se situant à l’autre extrémité du petit bourg -, il avait été décidé que la deuxième chambre du presbytère serait mise à sa disposition. Il y emménagerait fin de semaine, son emploi ayant été officialisé par un contrat à durée indéterminée.

***

Seul dans l’église, comme chaque fin de journée, depuis mon arrivée - bientôt trois mois - je prenais un moment pour faire le point, face à l’autel.

— Seigneur, toi seul sait à quels points j’appréhendai ma prise de fonction ici, j’avais espéré une place dans l’une des sections de la Bibliothèque vaticane et ainsi approfondir mes études théologiques et philosophiques. Mais il en a été autrement, ce qui me fit peur, je l’avoue. Je ne me pensais pas encore prêt à affronter la prise en charge d’ouailles !

— Tu te mens, don Finocchio ! et tu sais très bien quelle est la vraie raison de tes craintes ! Fit une voix dans ma tête.

Je ne réfléchit pas plus avant, quelqu’un toquait à la petite porte de côté.

— Qu’est-ce que c’est ?

— Monsieur le curé, vous pouvez passer à table, le souper est servi !

— Merci Flavio, j’arrive ! … ‘il faudrait que je songe à lui demander pourquoi son humeur s’assombrit depuis qu’il habite la cure’ … Hum, l’odeur qui vient du four sent très bon. Que nous as-tu fait ce soir ?

— Une recette de ma nona, de l'osso bucco à la milanaise servi avec de la polenta !

— Tu vas me faire grossir, à force de me faire d’aussi bonnes choses, hier ton risotto de fruits de mer était déjà une tuerie. Et la veille, ton minestrone… hummmmmm, mamma mia !

La femme que tu épouseras en aura bien de la chance. Je te regretterai bientôt je suppose, beau jeune homme d’âme comme de physique, tu ne dois pas manquer de prétendantes !

Flavio se leva d'un bond et s’élança dans la cuisine comme s'il était poursuivi par le diable en personne. Je le rejoignis, inquiet, et le pris par les épaules alors qu'il me présentait son dos. Son corps frissonna.

— Laissez-moi, s’il vous plaît ! me dit-il d'une voix chevrotante.

— Pourquoi pleures-tu, j'ai dit quelque chose de mal ?

Il mit du temps à me répondre.

— Je… je peux vous parler sous le sceau de la confession, mon père ? Après … je m’en irai …

—- Tu… mais… je ne comprends rien ! Viens, retournons à table, je pense qu’un verre de Chianti nous fera le plus grand bien et la table remplacera aisément la paroi du confessionnal.

Installés devant nos verres (le second pour Flavio, ayant bu cul sec le premier) j’attendais son explication avec une certaine impatience, si pas une impatience certaine. Me rendant compte que l’annonce de son départ futur me chagrinait beaucoup plus que ce qui serait la norme.

J’allais le presser quand il prit une grande inspiration et, sans lever les yeux de son breuvage, comme y cherchant du courage, il rompit le silence.

— Je suis homosexuel, mon père ! et je suis malheureux… pas d’être qui je suis, non, mais de ne pas pouvoir maitriser mes sentiments ! Je suis amoureux … de vous et depuis que j’habite le presbytère, c’est devenu une véritable torture.

Il m'expliqua que ce qu’il pensait une simple attirance, sa présence augmentant à mes côtés, devenait plus forte au fil du temps et le faisait souffrir. Il espérait mon aide pour fournir un motif qui ne jetterait pas le déshonneur sur sa famille… Puis plus tard que c’était son colonel – sportif quadragénaire et père de famille – qui avait deviné ses penchants et, ayant son accord, n'était pas en reste pour s'accorder quelques privautés avec son subalterne. Gentille amourette à court terme. Le gradé lui apprenant les amours garçonnières sous tous les angles. Mais surtout, il avait appris à être d’une discrétion absolue… sauf qu’il n’arrivait plus à se mentir à lui-même !

Il vida son verre et osa lever ses noires prunelles humides sur moi.

J'en fus à la fois fort troublé et pourtant ... dans ce malheur, très heureux !

Ce charmant garçon qui me paraissait un agréable camarade, compétent travailleur et depuis peu, discret cohabitant, était parvenu à se rendre indispensable. En réalité, j'avais succombé à son charme, sans que je le veuille…ni m’en être rendu compte !

J'aimais les hommes, ça je le savais… mais, comme j'avais suivi le célibat tel mes confrères ecclésiastiques – en apparence, du moins, ne connaissant pas leurs secrets d’alcôve -, j'avais mis cela dans un recoin de ma tête et ce garçon avait conquis mon cœur sans même avoir rien fait pour cela, Réveillant le tout, puisqu'il venait de manifester un certain intérêt précis à ma personne. C’était le tumulte dans ma caboche.

— Pardonne-moi, Fabio ! Ne crois pas que je cherche une échappatoire… ‘ni que tu ne me plais pas, c'est plutôt et très franchement le contraire’… mais je dois d'abord en parler avec mon… "patron", dis-je, pointant mon index vers le plafond. Tu ne bouges pas d’ici, essaye de manger un peu, je reviens au plus vite !

Et, assez perturbé, je retournai dans le chœur de l’église.

— Seigneur, que dois-je faire ? Vous l’avez entendu ! Je l’apprécie énormément mais je ne peux répondre positivement à sa requête, la prêtrise et la religion me l’interdisent. Pourtant, ça me fendrait le cœur de le voir partir et en même te…

— Stop ! Je résume, don Finocchio. Il se confesse et dit t’aimer ; toi, je le sais, tu viens de t’avouer que tu l’aimes et tu ne sais pas comment le lui dire, ni s’il faut le lui dire, vu ton sacerdoce…en plus des dix commandements, te souviens-tu de : « Aimez-vous les uns les autres ; comme je vous ai aimés, vous aussi, aimez-vous les uns les autres. » ? Ce sont les hommes qui ont mis des restrictions à l’amour… pas moi ! j’ai bon dos, dans bien des cas. Peu importe la façon dont ils me nomment, ils sont capables du pire comme du meilleur, sous prétexte que c’est en Mon Nom qu’ils opèrent et certains s’étonnent de se retrouver au sous-sol plutôt qu’au ciel, après avoir fait un carnage ou eu une vie de fanatique obtus et intolérant ! Si le libre arbitre existe, ce n’est pas pour rien… sinon pourquoi l’auriez-vous eu ? Donc, si votre amour est sincère et partagé, je n’y vois pas d’inconvénient. Mais selon l’adage : pour vivre heureux vivons cachés. L’époque est loin d’être prête à la tolérance ! Maintenant ne tarde pas à rejoindre Fabio, il va s’offrir un ulcère, à force de se morfondre… Allons, don Finocchio, sauve-toi !

— Je… j’ai … Oui, Seigneur. J’y vais ! Bonne nuit, Seigneur.

la perspective de cohabiter durant mon temps ici m’enchantait, cela allait nous permettre de vivre sans doute bien des choses importantes et agréables ensemble, mais sous un autre aspect, cela m'angoissait car j'espérai tout de même retrouver mes paroissiens sans laisser paraître la moindre possibilité de soupçon, sinon... qu'allais-je devenir ? Qu’allait-il devenir ? Quel serait notre avenir ?

Mais, n’avais-je pas eu l’accord le plus important ? … L’instant n’était plus à se poser des questions et ‘IL’ m’attendais !

Je retournais auprès de l’angoissé, m’asseyant à son coté cette fois. L’air dubitatif que prit son visage alors que je lui dévoilais mon ressenti, ma nature similaire à la sienne, mon envie de partager ses connaissances spécifiques… et mon refus de sa démission !

Il était resté muet de la tournure des chose, persuadé d’être seul dans son tourment et condamné à partir. Et à mon tour, je venais de mettre ma vie entre ses mains et lui proposais mon corps en plus.

Ma main s'approcha de la sienne sur la toile cirée et nos doigts se mêlèrent.

— Tu en as envie ? lui demandai-je, étonné de ma propre audace.

Flavio me fixa, plus incrédule encore.

— Tu ne me réponds pas… tu n'en as donc pas envie ! On va en rester là, alors.

Je fis mine de me lever, il me retint aussitôt, me tirant à lui. Je lui souris, il finit par me rendre mon sourire.

L'un contre l'autre, nous nous embrassâmes partout sur les joues, le nez, le front, le cou, les lèvres. Dans mon slip c’était l’ascension.

Notre repas resta dans les plats - four éteint, évidemment. Sans nous lâcher, on migra vers sa chambre, cocon ou nous nous sommes découverts. Au sens biblique comme au sens littéral, bien sûr, d’ailleurs nos tenues d’Adam furent vite exposées et explorées…

Il nous mena progressivement à l’apprentissage de l’autre, tout en douceur et tendresse. Je voulus connaître ce qui était pour moi encore un mystère et lui laissais le champ libre vers ma petite porte, de longs et délicieux préliminaires me firent frôler l’explosion à plusieurs moments. Il avait une maîtrise certaine de la chose.. l’ex militaire !

Après m’avoir chevauché de façon paradisiaque, il inonda mon calice, les doigts crochés à ma taille, son goupillon vibrant sur ma prostate, profondément enfoncé en moi, hurlant des « mon Dieu, mon Dieu ! » à tue-tête et la bouche à cinq centimètres de mon conduit auditif, ce furent les grandes orgues. Pourtant mes oreilles apprécièrent cette divine litanie. Ma jouissance fut d’extrême onction, puisque petite mort il y eu !

Dans ma tête, ce fut comme l'illumination du sapin de Noël, je crus en défaillir !

Était-il donc possible de vivre pareille chose ? J'eus bien du mal à y croire vraiment, persuadé sur l'instant que j'étais en train de rêver. (Quand même fort poisseux, le rêve.)

Nous avions eu notre quota d’émotions fortes et c’est étroitement serrés en se donnant de doux bisous que nous avons sombré dans le sommeil, sans nous douter que cela allait devenir une habitude de longue durée.

***

Nos occupations avait repris leur cour normal. Hors de notre sanctuaire, rien d’autre qu’une saine amitié. À l’intérieur, comment dire… c’était à l’intérieur !

Un peu plus de deux mois après nos premières galipettes, repas de midi avaler, j’étais dans mon bureau à rattraper mon courrier en retard quand un démon tentateur vint me troubler l’esprit à grand renfort de patins fiévreux !

Le début d'après-midi passa à une vitesse folle bien trop pris que nous fûmes par nos occupations plus... ludiques et charnelles que spirituelles. Ce fut les coups répétés sur la porte qui nous ramenèrent au temps présent !

Fabio sauta dans un short et parti vers la porte, en criant « Un instant, j’arrive ! », réenfilant son tee-shirt.

Moi, pour faire au plus vite, j’endossai – sans rien d’autre dessous – ma soutane, la boutonnant tout en me chaussant. (c’est fou ce que l’on peut faire dans l’urgence)

Fabio avait retenu notre visiteur autant que possible et grâce à lui, ils arrivèrent au moment où je sortais innocemment de mon bureau pour me rendre à la salle à manger. Je vît l’arrivant préoccupé, alors qu’il me saluait.

— Bonjour Alejandro, veux-tu t’assoir ?

— Merci mais non, Monsieur le curé. En effet, l'affaire dont je viens vous entretenir est des plus urgentes. Vous êtes demandé au plus tôt chez la vieille Maria-Térésa, le médecin m’envoi vous chercher car il ne lui donne plus beaucoup de temps. Elle réclame votre visite avant son grand voyage !

Fabio avait déjà été récupérer la petite pochette contenant l’huile sainte et les quelques accessoires utilisés pour ce sacrement...

J’ai eu un fou rire nerveux en rentrant à la cure trois heures plus tard, personne n’avait deviné ma nudité sous ma robe mais, même aussi peu couvert, j’avais eu trèèèès chaud. Puis la tête de mon chéri qui avait découvert le reste de mes vêtements en allant dans la chambre et qui m’attendait fébrile, presque en panique, fut l’élément déclencheur. Nous en avons souvent ri par après. Mais notre vigilance redoubla.

***

Les années passèrent et notre amour perdura tant et si bien qu’aujourd’hui encore, celui-ci demeure intact dans mon cœur !

Certes, nous dûmes affronter bien des vicissitudes et quelques crises comme dans tous les couples au fil des années mais même pour tout l’or du monde je ne les échangerai pas. Évidemment, il nous fallut nous battre au quotidien pour préserver notre secret.

Ce fut mission réussie, jusqu’à son décès à la suite d’une brutale rupture d’anévrisme cérébrale, il n'avait pas 63 ans. j'écrivais mon sermon dominical, il est venu me faire un câlin pour me dire qu'il s'allongeait une demi-heure, « un léger mal de tête ! » m'avait-il dis, mais il voulait son bisou d'amour pour faire de beaux rêves... Pour moi ce jour fut un cauchemar !

À son enterrement l’église était pleine comme un œuf !

Plus encore que le jour où, une dizaine d’années plus tôt, nous avons mis en terre l’ancien bedeau, son père, qui rejoignait sa femme dans le caveau familial.

Et au cimetière sa sœur et ses deux frères, au prétexte de ma longue amitié, me firent prendre la place de tête pour recevoir les condoléances, j’ai eu l’impression que pour sa famille et une bonne partie des gens, notre histoire était un secret de Polichinelle.

Mais jamais personne n’y fit allusion.

***

Huit ans s’étaient écoulées. Mes discussions avec notre seigneur m’avait soutenu mais mon cœur souffrait toujours un peu de l’absence de mon aimé et ma santé déclinait, j’avais 77 ans à présent, je fis la demande d’un remplaçant à monseigneur. Il répondit favorablement à ma requête et un matin du printemps suivant j’accueillais le nouveau vicaire. Je resterai en poste jusqu’à l’automne, le temps qu’il prenne ses marques. À part sa blondeur, j’eu la sensation de me voir débarquer il y a… un demi-siècle !

Cet avenant jeune prêtre était une bouffée de bonne humeur permanente. Un caractère bien trempé mais diplomatie et gentillesse arrondissaient les angles sans heurts.

Lucia – la servante depuis le décès de mon amour – ayant (enfin, à 42 ans) trouvé un mari dans un village voisin, allait nous quitter fin juin et le problème se représentait : jeune curé et risque à éviter. J’en souris quand le maire vint me soumettre son souci, sachant que c’est ce qui fit le départ de ma vie avec mon irremplaçable Fabio.

La mi-juin était largement dépassée que je reçu la visite d’un postulant particulier, — je l’avais baptisé, ce grand gaillard — le petit neveu de mon Fabio, il voulait suivre l’exemple de son grand-oncle et donc quitter l’exploitation familiale. Avec le soutien du grand-père (frère ainé et maintenant patriarche), il avait convaincu ses parents qu’à 24 ans il savait ce qu’il faisait. « s’il vous plaît, don Finocchio, tant que vous êtes là, vous pourriez me guider, laissez-moi essayer ! » termina-t-il sa demande.

***

Le douze septembre je quittais le presbytère, laissant ma chambre au nouveau servant et futur bedeau, puisqu’il avait été conforté dans sa fonction. Mon successeur avait apprécié les efforts fournit par l’arrivant et semblait être en bonne entente avec lui.

Ho ! vous ai-je dis que ce beau jeune homme se prénommait Fabio ?

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