« Madame la Mairesse !

- Oui ? Je vous ai stipulé de ne pas me déranger !

- On a encore reçu une lettre à propos de la boîte à livres !

- Que vous ai-je dit à propos de la boîte à livres ? Est-ce trop difficile de répondre au téléphone, aux courriers et de ne me faire part que des questions qui concernent l’argent ?

- Mais Madame…

- Il n’y a pas de Madame qui tienne ! Ouste ! Du balai ! »

Mathilde, qui angoissait pour son rapport de stage, essuya à nouveau ce regard noir qui mollarda dans sa direction. Penaude, la péquenaude se dirigea vers le cagibi où elle officiait seule, sur une chaise en rotin instable, devant un bureau qui ne contenait rien qu’un tiroir et de quoi écrire. Elle relut la lettre et sentit au plus profond d’elle qu’il fallait se mobiliser. Les tags se multipliaient ces temps-ci. La boîte à livres lui semblait être un symbole évident de cette déchéance qu’elle observait depuis quelques années.

Elle prenait cela pour une affaire personnelle car, jeune paysanne comme il en existe peu, elle aurait aimé parcourir à loisir des livres, qu’on lui lise des histoires pour qu’elle s’endorme et rêve. Ses géniteurs ne lui offraient guère que des lapins, avant de les sacrifier en l’honneur du Dieu porcelaine… Non, ses parents refusaient qu’elle se contamine avec ces billevesées perverses : enfant, ils la vissaient devant des dessins animés vicieux, lorsqu’elle ronchonnait.

« Les livres, ça sert à rien, martelait sa mère. Lire, ça sert juste à comprendre les factures et les courriers juridiques !

- Les bouquins, sifflait son oncle entre ses chicots, ça te pourrit le cerveau avec des mensonges. La seule chose qui compte, c’est la terre…

- Et le pinard, et le vin ! enchérissait son père. »

Turlupinée, Mathilde alla voir l’autre stagiaire, l’unique personne qui travaillait dans les locaux avec elle et la Mairesse : l’agent d’accueil Sylvain, un dégingandé maladroit qui accueillait si bien qu’il résolvait tous les problèmes à sa façon - les gens ne revenaient pas ! La Mairesse l’adorait pour ses capacités à faire le ménage ! Excitée par ses longs doigts de pianiste glabres et son teint anémié, elle minaudait dès qu’elle l’apercevait, posé sur sa chaise avec une attitude de sphinx.

« Sylvain, j’aimerais te parler d’un truc. »

Elle lui expliqua de A jusqu’à Z le destin de cette boîte à livres qu’elle visitait chaque jour et dans laquelle elle se servait, pour rattraper son retard.

« T’en penses quoi ? demanda-t-elle.

- Rien… On dirait que la boîte perturbe l’ordre public. Il faut l’enlever, comme ça plus de tags.

- Ouais, mais ça veut dire plus de livres.

- Il va falloir communiquer sur la bibliothèque. Tu distribueras des tracts, ça te fera sortir un peu de ton cagibi.

- Oui, sauf que mes parents veulent pas que j’aille à la bibliothèque. Et tu oublies un problème : les tags sur les murs ?

- Il faut enlever les murs… Sinon, c’est sans fin.

- Et les crottes de chien.

- Il faut interdire les chiens…

- T’es génial, Sylvain !

- Je sais ! Je vais écrire un mot à la Mairesse, elle m’écoute. En plus elle m’a promis un travail si je fais ce qu’elle dit.

- Je sais pas si c’est une chance.

- À Miniville, il faut savoir saisir toutes les opportunités, sinon, tu finis emporté par les gens du voyage. Ils viennent une fois par an chercher les cassos…

- C’est pas faux ! Je te laisse, j’ai encore une centaine de lettres à lire. J’espère qu’un jour on aura internet dans cette mairie.

- Ne rêve pas ! On devrait s’estimer heureux d’avoir de l’électricité et de l’eau courante, vu les restrictions budgétaires. »