Mathilde à la Ferme
Mathilde s’arrêtait chaque jour devant la boîte à livres avec entrain, exaltation : elle qui, par peur de la rumeur, évitait d’aller à la bibliothèque, trouvait à cette petite boîte sans fond un goût d’infini.
Chaque livre l’émerveillait, parce qu’il était livre, suite de mots, de possibilités ; elle y voyait une mathématique pleine de surprises. Des additions pour une addiction. Souvent, elle en prenait un, sans préjugés aucun et, sur la montée raide qui la menait chez elle, s’imaginait, des étoiles plein les yeux, son contenu. Elle le feuilletait au soir venu dans l’intimité de sa chambre, puis s’endormait dans les parfums d’une autre vie.
Elle rêvait du jour où elle pourrait quitter ses parents, lire les livres qu’elle souhaitait découvrir selon ses envies, son plaisir, des livres qu’elle aurait acheté, elle, avec son argent. De l’argent, elle n’en a jamais eu, même à ses anniversaires. Elle n’en recevait pas de son stage à la mairie.
Mathilde refusait d’accomplir son destin ; elle ne voulait pas reprendre l’exploitation familiale. Elle ne désirait pas travailler la terre, mais la lire. Quand elle trouva dans la boîte à malices La Terre d’Emile Zélé, elle se sentit pousser des ailes à tel point qu’elle voulut en partager des extraits à ses parents. Ainsi, elle pourrait leur montrer l’utilité du livre et de l’écriture, qui peut être un témoignage, miroir des vies de ceux qui n’écrivent pas. Quoi de mieux que le naturalisme pour cela ?
Cette pensée la taraudait chaque matin, alors qu’elle ressentait une évidence : entre ses mains, elle ne tenait pas un livre, mais le pont entre la fiction et la réalité, le documentaire et l’imagination, de quoi les convaincre enfin, de quoi, peut-être, changer sa vie.
Quand elle acheva de lire La Terre, elle ne le reposa pas dans la boîte à livres comme à son habitude, pour qu’une autre Mathilde le découvre. Elle le déposa sous son oreiller puis, mue par mouvement de pensée étrange, elle s’empara d’un stylo, et, portée par une force obscure, mais délicieuse, se mit à écrire.
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