Chapitre 7 :
Je me lève après que mes parents soient partis. Je ne les verrais que pendant le repas de midi. Cela m’arrange car j’imagine facilement la tension entre nous, et surtout entre moi et mon père. Bien évidemment que j’ai envie de savoir pourquoi il a fait cela, mais je vais attendre patiemment jusqu’à ce soir. Je vérifie les pages de papier sur le bureau. Quelquefois, nous discutons comme cela avec mon père lorsque l’on ne veut pas se faire entendre de ma mère. Sauf que cette fois, il ne l’a pas fait, cela veut donc dire que ma mère a été mise au courant de ce qu’il me fait… je me demande si c’est pour le mieux. Cela ne la concerne pas vraiment, peut-être que cette information n’a pas besoin d’être en sa connaissance. Apparemment, cela avait semblé être important pour mon père qu’elle sache, mais pas que moi je sache…
Je soupire et me prépare avant d’aller dans la cantine. Je m’installe encore une fois face aux autres adolescents qui discutent entre eux. Certains redoutent la troisième salle comme moi alors que d’autres sont soulagés de s’y être frottés les jours d’avant. D’autres encore, passent les épreuves écrites, qui seront corrigées dans l’après-midi. Je mets du sucre dans mon chocolat chaud et un plateau se pose en face de moi et j’observe le jeune homme blond qui m’accompagne dans les tests s’asseoir face à moi. Bien-sûr que je suis gênée : aucun adolescent daigne me calculer.
— Je m’appelle Damien, m’annonce-t-il en me lançant un petit regard. On a passé nos journées de tests ensemble… donc je me suis dit que je pouvais essayer de te parler un peu.
— Je suis Constance, soufflé-je. Tout le monde m’ignore depuis petite… tu ne m’avais jamais vu avant pour ne pas me parler ?
— Je me souviens de chaque visage des personnes de ma classe, avoue Damien. Tu n’étais pas dans la mienne, et je rentrais directement dans mon dortoir dès la fin des cours. À part te croiser brièvement peut-être, je n’aurais pas pu te connaître.
— Tu ne devais pas avoir beaucoup d’amis, remarqué-je.
— Toi non plus à ce que je vois.
Il a raison. Je lui demande s’il sait quelque chose sur la fameuse troisième salle, mais il n’en sait pas plus que moi. Il avait tenté de parler à des personnes qui y avaient déjà été, mais apparemment, chaque personne n’en parle pas, comme s’il n’y avait aucune raison pour s’interroger. Je ne suis pas la seule à me questionner sur cette salle, alors je ne me sens pas différente pour une fois. Je fixe mon bol et mon croissant : lequel des deux contient la dose de calmants ? Ou alors, cela sera-t-il dans le prochain repas ? Peut-être que mon père en a conclu de m’en donner plus aujourd’hui car je serais à cran. Qu’est-ce que j’en sais ! Pas grand-chose puisqu’il me cache plus de choses que je n’aurais pu penser. Au final, je me sens toujours trahie. Est-ce que cela avait un avantage finalement d’être un gamin en pleine crise identitaire car il ne connaît pas ses parents ? J’aurais dû naître comme cela, sans parents qui assument de l’être. Au final, je ne mérite sûrement pas d’être privilégiée, comme toutes les autres personnes privilégiées dans ce monde. On l’est de naissance, pas par choix. Si cela avait été un choix, je ne l’aurais pas fait.
Damien claque des doigts devant mon visage pour me faire revenir à la réalité. On doit bientôt se rendre dans l’aile des analyses et des tests. Je commence à ressentir les courbatures à cause de la veille depuis que le jeune homme me parle des siennes. Lui non plus n’est pas sportif ! Je croise une nouvelle fois Henry en sortant même si j’avais dit à mon père d’arrêter de me faire surveiller !
— Bonne chance pour la troisième salle, Constance ! souhaite le chef en m’adressant un signe de la main. Si tu as besoin de parler, n’hésite pas à venir me voir ! Je serais dans le sous-sol en train de surveiller les abatteurs ! Si tu veux discuter avec ton père…
Il tente sûrement de m’inciter à renouer le dialogue avec mon père. Je le remercie et suis Damien qui se montre curieux. On s’assoit à côté dans la salle blanche et il me demande comme cela se passe dans le quartier pour adultes. Il a sûrement envie de savoir à quoi il doit s’attendre. Je ne peux que lui dire comment ma sœur l’a vécu. La partie des familles est différente de celle où il n’y a que des adultes, je ne peux donc pas lui garantir un récit totalement vrai de ce qui va nous attendre là-bas. Il appréhende peut-être de ne plus être en communauté. Moi, je suis habituée.
On continue de parler jusqu’à ce que la porte s’ouvre et qu’un analysateur en blouse blanche nous appelle tous les deux. On le rejoint et on entre dans une salle sombre où je peux quand même apercevoir deux portes. Des salles dans des salles… mais qu’inventent-ils ? Si dans les autres salles les adultes parlent, pas ici visiblement. Ils sont froids et ne nous adressent pas un seul regard. Ils serrent des sortes de bracelets sur nos poignets, reliés avec des fils à une machine, apparemment, c’est pour prendre notre pouls ou je ne sais pas quoi d’autre. On nous fait rentrer dans une salle noire. Lorsque la lumière s’allume, je repère les caméras, sûrement faites pour nous filmer. Il y a des sièges et l’analysateur nous dit qu’il faudra nous asseoir que quand on en aura besoin. Pourquoi en aurait-on besoin ? Je ressens le stress et j’essaye de me canaliser assez pour ne pas bouger dans tous les sens. La salle se retrouve une nouvelle fois dans le noir. Moi et Damien enfermés dedans. Était-ce cela le teste ? Rester enfermés dans une pièce sans lumière et filmés ? Qu’attendaient-ils qu’on fasse? Je pense que qu’aucun de nous deux compte faire quelque chose, en tout cas, je ne ferais rien de mon plein gréer.
Je n’ai pas de montre comme les adultes, donc je ne sais pas combien de temps on reste sans parler, sans bouger mais debout dans la pénombre de la pièce. Cela me paraît très long, mais peut-être que ce n’est pas le cas. Puis, on sursaute lorsque l’écran s’allume. Sa lumière nous agresse à tel point qu’on s’y habitue très difficilement. Il y a un son strident fort puis un bruit d’explosion. Je vois des flammes, un feu qui se propage partout à grande vitesse. Je suis horrifiée de voir des personnes brûlées vifs totalement. Qui peut filmer cela sans vouloir aider ? C’est inhumain.
L’écran redevient noir puis montre un nouveau clip. La surface totalement ravagée. Le cameraman ne montre pas des cadavres mais des ossements… des personnes sont donc sorties du bunker. Ils ont fait cela, sans en parler plus tôt ! Pourquoi est-ce que je suis en colère ? On a le droit de savoir, pourquoi a dix-sept ans ? Je suis énervée sur le coup. J’entends Damien pester quelque chose et l’écran redevient noir.
Et une nouvelle fois il y a un nouveau clip. Damien s’assoit sur une chaise en regardant. Il y a du sang partout, un homme attaché à une table d’opération qui se débat et hurle de douleurs. On l’ouvre de partout, n’importe quel membre, mais surtout la tête. J’ai envie de vomir. Plusieurs scènes comme cela apparaissent et je suis toujours debout même si je commence un peu à trembler malgré tout. L’écran passe du noir à une nouvelle scène. Le premier homme qui était attaché se fait taper, brûler, électrocuter. Je tombe à genou comme si c’est moi à sa place. Je me bouche les oreilles et je tourne la tête pour constater que mon camarade a vomi tout son repas.
Ils nous laissent au moins une heure dans la salle. Les images ne s’effacent pas de mon esprit, et Damien est appuyé par terre contre le mur : il n’est plus en position fœtale. Je me relève et me colle contre la porte dans l’espoir d’entendre quelque chose.
— Elle n’est pas comme les autres, déclare un homme.
Parle-t-il de moi ? J’en ai bien peur. Je le sais déjà que je ne suis pas comme tout le monde, mais ce dont j’ai peur, c’est que cela me porte préjudice. Je ne peux que percevoir un « elle est faite pour l’être » puis plus rien. Je m’installe à côté de Damien même si je ne le vois pas.
— C’était quoi cela ? demande-t-il.
— Je n'en sais rien, avoué-je. Mais c’est horrible, cruel et inhumain.
Mais qu’est-ce que ses images et ce test cachent-ils réellement ?
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