Chapitre 27 :
Je crois que c’est normal de ne pas faire totalement confiance à quelqu’un. Quand j’observe Karima, j’ai l’impression qu’elle est prête à sacrifier n’importe quel concitoyen pour obtenir ce qu’elle souhaite. Mais que veut-elle exactement ? On entre dans une cahute. Ce n’est pas là où habite Karima. Il n’y a pas de lit, ni de cuisine… juste une table avec une énorme carte. Je m’approche pour voir un peu plus. Nathanaël est derrière moi. Je le sens tendu, il n’est pas serein. Gérard reste silencieux. J’examine la carte, mais je ne comprends rien à ce qu’elle représente et je relève la tête vers Karima qui dit à ses gardes de sortir. Elle n’a apparemment pas peur qu’on l’attaque alors qu’elle n’a rien pour se défendre. Césars débarque à son tour avec Sarah. Si elle congédie Sarah, elle laisse Césars en prétextant qu’elle a besoin de lui. Je lui lance un regard interrogateur mais le jeune homme n’a pas l’air d’en savoir plus que moi.
— C’est quoi cette carte ? Qu’est-ce que vous attendez de nous ? Pensez-vous vraiment que nous allons vous aider ?
— Vous êtes en minorité. Vous n’avez pas vraiment d’autre choix que de m’aider, ma communauté et moi, affirme Karima avec un sourire cruel.
— Vous avez tué mon ami, crie Gérard en s’approchant si près d’elle que je pense un instant qu’il allait l’étrangler. Je ne vous aiderai pas.
— Toi non. Mais tes deux acolytes ont des capacités. Ils peuvent être utiles.
— Ouais, bah d’abord répondez à nos questions sinon je vous jure que je vous colle une migraine pendant plus d’une semaine. Ni vous ni moi avons envie de cela donc parlez, déclaré-je sèchement.
Je ne me rends pas vraiment compte que c’est une menace que je viens de faire. J’utilise mes capacités pour obtenir des informations… est-ce mal ? Ai-je réellement le choix ? Puis, c’est surtout du bluff, je ne maîtrise pas suffisamment ma capacité pour faire mal consciemment pendant autant de temps. Néanmoins, ça fait de l’effet puisque Karima se recule et demande à Césars d’expliquer à sa place. Il n’a pas vraiment le choix. Il contourne la table pour être en face de nous et pose son doigt sur un petit cercle rouge.
— Nous, on est ici. On est une des communautés les plus éloignées et les plus petites de notre peuple. On est rattaché à cette grande ville, commence-t-il en faisant déplacer son doigt sur la carte vers le nord jusqu’à un cercle rouge trois fois plus grand. Les dirigeants y vivent. Plus tu habites près, plus ton statut est « élevé », mieux on est perçu et respecté.
— Donc vous ne l’êtes pas vraiment, assène Nathanaël ce qui fait grincer des dents à Karima qui semble vivre mal cette infériorité.
Césars explique que pour gagner en statut, il faut faire quelque chose d’utile à la population tout entière. Ils peinent donc à survivre. Il m’apprend aussi que les points blancs répertoriés sur la carte sont les bunkers. J’en déduis facilement l’emplacement de notre bunker par rapport à où nous sommes situés.
Césars continue d’expliquer que les communautés sont éloignées car même si les habitants de la surface ont des capacités, les hommes des bunkers ont des armes à feu beaucoup plus dangereuses pour eux donc ils se séparent pour que ce soit plus compliqué pour les capturer. Cela ne m’étonne pas que les personnes des bunkers aient ordonné de les attraper, mais je trouve cela affligeant.
— Cela ne nous explique toujours pas ce que vous voulez de nous, prononce Nathanaël en fixant Karima avec mépris.
— Pour améliorer notre situation. Vous allez nous aider à attraper les dirigeants de votre bunker pour que l’on puisse les livrer à notre dirigeant à nous. Avec de la chance, il ne s’en prendra pas à vous, expose Karima en se relevant.
Gérard s’éloigne un peu, semblant étudier l’offre. Je serre les poings. Son marché ne me dit rien de bon. Et je lance un regard à Nathanaël qui pense comme moi. Je le sais, il fait difficilement confiance aux gens, donc c’est inenvisageable de passer un accord avec des gens de la surface. Encore moins pour faire plonger les nôtres. Certes je ne les apprécie pas, mais il y a mon père, ma sœur, Mathilde, Damien… hors de question qu’ils se fassent tuer juste parce qu’on ne veut pas mourir. Non, cela ne fonctionne pas comme cela.
— On a quoi en échange si on fait cela ? demande Gérard.
— Vous êtes des prisonniers. Vous n’avez qu’à accepter et rien d’autre. Vous n’êtes pas en position décliner l’offre.
— Je peux détruire votre village, lance Nathanaël sûr de lui. Constance pourrait sûrement vous forcer à vous suicider. Alors oui, là, tout de suite, on est en mesure de marchander.
Gérard et Césars le regardent, impressionnés. Je souris, car cela ne m’étonne pas de lui. Mon ami n’est pas du genre à se laisser faire. Il aime quand tout fonctionne comme il veut, et même si ce n’est pas le cas, il aime trouver un moyen pour que son avis soit pris en compte. Un peu comme moi d’ailleurs. Il peut former une faille détruisant tout le village, et je peux piquer toutes les informations que je veux dans la tête de Karima. De plus, elle est en position de faiblesse. Pourquoi ne le faisons-nous pas directement ? Dans un élan je veux m’approcher d’elle mais Gérard me retient. Apparemment, il veut tenter une manière plus pacifique, en attendant la réponse de Karima.
— Jamais, je ne ferai de faveurs à des habitants des bunkers, exilés, ou non. Jamais.
— Ne tente rien contre nous Césars, ordonne Nathanaël alors que Gérard me lâche doucement en me poussant vers elle.
— Vous venez de faire une grave erreur Karima. Nous ne sommes pas n’importe qui, et encore moins vos esclaves, affirmé-je en m’approchant d’elle. Vous allez le regretter.
Un peu violemment, je m’empare de sa tête et serre fort. Je ferme les yeux et me glisse par la faille une nouvelle fois et je chute libre dans son esprit, toujours entourée par son tourbillon de souvenirs. Pour une fois, j’ai encore conscience de l’extérieure et de ce qui peut se passer : peut-être qu’en allant de plus en plus loin, mes sensations deviennent de plus en plus encrées. Mais je sens la terre bougée et Nathanaël a dû faire une faille pour empêcher des gens de venir. J’entends Gérard crier même si je ne distingue pas les mots. Malheureusement, je ne perçois pas Césars. Je me focalise sur moi, dans l’esprit de Karima, pour ne pas me retrouver expulsée de son esprit. SORS DE LÀ ! Je l’ignore et je me demande ce que je pourrais chercher dans sa mémoire. Comment pourrai-je même entreprendre des recherches ? Qu’est-ce qui pourrait déclencher une sélection ? Je me laisse aspirer par un souvenir.
Je tombe sur le sol. Je suis dans un bâtiment je crois. Oui, je suis même à un étage très élevé du bâtiment. Il y a un homme en face. Je reconnais Karima qui lui parle. Cet homme, hyper pâle, assis sur une chaise semble inoffensif. Pourtant, quand il se lève, je ressens comme une crainte. L’ancienne Karima aussi même si elle ne le voit pas avancer, elle l’a entendu. L’homme lui prend le bras et elle hurle de douleur. Elle tombe à terre en criant. Lui, ricane, j’en ai presque la nausée et je comprends rapidement d’où vient la douleur que Karima ressent : c’est lui qui la lui influx, c’est sa capacité. C’est effrayant.
Je tente de faire abstraction des souvenirs qui voltigent autour de moi. Les cris de douleur de Karima me martèlent l’esprit et je voudrais bien qu’ils s’en aillent car je sens que la migraine risque d’arriver incessamment sous peu. Pourquoi voulez-vous être bien vue alors que vous le détestez ? Je suis tentée par d’autres souvenirs mais j’ai bien l’impression d’avoir eu mon compte pour aujourd’hui. Les cris collent à la tête. Pour mieux me venger et le renverser. À cause de la surprise, je ne fais pas attention et me laisse une nouvelle fois absorbée par un souvenir. Mais je comprends que c’est Karima qui l’a décidé pour me montrer quelque chose.
Elle est dans cette cahute. Avec des hommes qui fixent la carte, imperturbables. Elle paraît déjà être cheffe de tout ça à l’époque.
— Nous devons trouver un moyen de contrer le grand chef. Il utilise les hommes des bunkers pour ses propres plaisirs à lui, mais ne récolte aucune réponse. Nous avons besoin de réponses, assure Karima.
— Nous devons arrêter ce qu’ils nous font ! Ils nous enlèvent et nous tuent.
— Ils n’ont aucun droit sur nous, termine Karima en s’asseyant. Ils doivent rester dans leur bunker jusqu’à en crever. Ils ne méritent pas la surface.
— Que fait-on ?
— On va prendre le contrôle de la population et dégager le chef.
Cette fois, je suis expulsée pour de bon de l’esprit de Karima. Je tombe sur les fesses et la douleur se concentre encore une fois dans ma tête. Mais elle est moins forte, je peux me lever, je peux regarder ce qui se passe. Nathanaël a créé des failles pour empêcher les habitants de la surface de nous attaquer. Césars tient fermement Karima et me fait un clin d’œil. Il nous a aidés en la maintenant assez pour que je puisse fouiller son esprit. Je lui souris en le remerciant et Karima grogne avant de demander ce qui se passe. Césars lui explique la situation et elle rouspète de plus belle. Elle m’aurait lancé un regard assassin si elle le pouvait.
— Ne les attaquez pas ! Et vous, ne prenez pas trop de temps pour choisir vos contreparties, annonce-t-elle en se levant avant de tanguer.
— Je reste avec eux, souffle Gérard. Éloignez-vous un peu pour parler.
Nathanaël se concentre pour refermer les failles et me prend la main pour m’éloigner de toute la communauté qui vient entourer leur cheffe. On pourrait très bien s’enfuir à ce moment-là, mais on ne le fait pas. Puis Gérard n’est même pas avec nous. Je m’accroche à la main de Nathanaël et on se pose sur un banc fragile en bois.
— Que penses-tu de sa proposition ? se renseigne Nathanaël en évitant soigneusement mon regard.
— Je n’apprécie pas les hauts-dirigeants donc je m’en fous de ce qu’ils deviennent. Je m’en fous s’ils les tuent, commencé-je. Mais je ne veux pas qu’ils fassent de mal aux autres… mon père, Mathilde…
— Damien, renchérit Nathanaël sans expression.
— Ouais. Mais ce choix ne se concentre pas autour de moi. C’est ton père qui est haut-dirigeant. Qu’est-ce que tu en penses toi ?
— Sérieusement ? Mon père est une ordure, crache Nathanaël en se crispant. Je ne peux même pas le considérer comme mon père puisqu’il ne me considère pas comme son fils. Un père c’est… c’est un homme comme ton père. Un homme qui ne t’enferme pas de lui-même, un homme qui est fier de toi, un homme qui te supporte et qui est là pour son enfant. Mon père est l’opposé de cela, murmure-t-il. Qu’il soit vivant ou mort, je n’aurai aucune réaction.
— Trop de rancœur envers lui, deviné-je en le prenant dans mes bras.
Il ne dit rien, il ne fait rien, mais je sais que c’est vrai car c’est ce que je ressens envers ma mère. Ma propre mère. Je devrais avoir honte, je devrais la comprendre. Mais je ne peux pas. Quel genre de mère ou quel genre de père renie son enfant ? Je ne sais pas si je pourrai ne serait-ce que comprendre ma mère. Juste car je suis différente, elle m’a lâché, comme si je n’étais rien. Je ne peux pas faire comme si je le vis bien. Nathanaël non plus ne peut pas faire comme s’il le vit bien.
— Alors que fait-on ? On accepte sa proposition ? relancé-je en me détachant de lui.
— Ouais… en négociant pour protéger ceux qu’on aime, assure Nathanaël. Cela ne doit pas être un massacre. Puis après, on pourra tous vivre à la surface.
— Penses-tu qu’on en sera capable ?
— Non, mais je l’espère.
Il m’embrasse le front et je le tire pour qu’on puisse parler à Karima. Le pauvre a l’air complètement épuisé. Quoique ma tête ne doit pas être mieux. On a utilisé nos pouvoirs, Philippe est mort et on ne sait pas vraiment où on va… seule Karima doit avoir une idée de ce que nous réserve la suite. Peut-être que je peux trouver un moyen de voir tout ce qu’elle voit du futur…
Annotations
Versions