Le miroir aux alouettes
A bien des égards, Lourdes s’avéra être une source de changements, Anton ne savait juste pas à quel point.
Emma et lui s’étaient enfin retrouvés sur l’essentiel ; bien sûr, elle n’était pas devenue une mère exemplaire mais elle y prenait du plaisir. La gouvernante l’assistait dans toutes ses tâches ménagères et Franck, son artiste fétiche avait de nouveau besoin de ses talents d’agent pour se faire connaître à Los Angeles.
Anton avait signé un gros contrat à Albuquerque avec Justin Galloway, il avait été promu directeur général de sa filiale puis de toutes celles basées sur le continent américain. Ses nouveaux bureaux étaient désormais à New-York au siège de Toekom Energy. Une nouvelle vie attendait la famille Dravitch.
Après cet épisode douloureux, Anton promit à Emma d’être plus présent pour elle et de contribuer comme il pourrait à l’ouverture de sa galerie d’art. Pressée par ses ambitions, Emma ne l’avait pas attendu, tout était si facile ici à New-York pour les dirigeants de Toekom Energy. Leur couple était invité à tous les évènements qui comptaient pour la jet set new-yorkaise, tout le monde se connaissait plus ou moins, s’invitait dans les Hamptons , se donnait rdv dans les salons de yacht club ou de clubs de sport pour VIP. D’une certaine façon, tout était VIP dans ce monde, la gastronomie, le schopping, les soirées, les conversations, les rdv…et l’argent n’était jamais un problème. Pour la plupart d’entre eux, 10000 dollars pesait aussi lourd dans leur poche que 100 dollars, tout paraissait si facile et son rêve si accessible.
Emma avait vite compris et adopté les codes de ce monde pour privilégiés, elle s’était rendue « irrésistible » auprès de certaines épouses dont le pouvoir semblait aller bien au-delà du rôle d’épouse fortunée et l’une d’entre elle, une certaine Janeith Ruthford l’avait prise sous son aile, lui distillant quelques savants conseils pour s’attirer les bonnes grâces de telle ou telle personne. Ainsi, de fil en aiguille par l’entremise de Margaret, Emma fut présentée à Meredith Hartcliff, amatrice d’art et épouse d’un directeur d’un fonds de pension. Un homme riche s’il en fut.
Meredith était une femme d’une cinquantaine d’année, élégante et séduisante. Elle proposa à Emma de venir passer un week end dans leur maison des Hamptons pour participer à leur traditionnelle soirée des premiers jours de l’été. Tenue correcte et blanche exigée.
Anton préféra passer le week-end avec Tommy, il en profiterait pour régler quantité de choses avec Timo, son bras droit.
Soirée des premiers jours d’été dans la résidence des Hartcliff. Juillet 2019.
Emma est accueillie comme une VIP sur le perron de leur résidence par Meredith et son époux, un homme à l’image de Meredith tout à fait charmant.
Emma se mit à faire ce qu’elle considérait comme un don chez elle. Séduire. Elle se rendit vite compte qu’au sein de ce monde, l’habit faisait toujours le moine surtout quand on était jolie et elle l’était. Elle buvait, papillonnait, éclatait de rires ici et là, se montrait parfaitement insouciante, légère, drôle, espiègle et incroyablement cultivée comme on pouvait l’attendre d’une femme versée dans l’art avec grand A, du moins dans l’esprit de ces gens-là.
Au détour, d’un couloir menant à un petit salon aux couleurs estivales sobres, mobilier blanc, rideaux beige et tapis couleur taupe, Emma s’arrêta net devant un tableau. Elle ne rêvait pas, c’était bien l’un des tableaux de Franck. Comment est-ce possible se dit-elle ?
— « Joli tableau, n’est-ce pas » s’exclama Harry.
— Oserais-je dire que vous avez un goût sûr et un sens de l’art bien au-dessus de la moyenne.
Harry sourit.
— Je dois bien vous reconnaître une certaine audace pour vous tenir là devant moi et me traiter de béotien éclairé.
— Vous me taquinez. Comment avez-vous su pour cet artiste et moi ?
— Je sais toujours un tas de choses sur les personnes qui approchent ma femme de près ou de loin…un genre de déformation professionnelle liée au monde des affaires.
Apparemment, vous avez conquis ma femme, réputée pourtant difficile à charmer. Elle m’a parlé de votre projet il y a déjà plusieurs semaines avec beaucoup d’enthousiasme et je lui ai répondu que je ne voulais plus financer ce genre de projet qui se solde une fois sur deux par un échec retentissant. Et puis, elle m’a ramené ce tableau de Los Angeles la semaine dernière et je me suis dit : je devine le peintre, voyons à quoi ressemble sa muse. Et vous voilà.
— Ai-je réussi mon examen ?
— En vous voyant, je me suis dit qu’une femme capable de dénicher un tel potentiel est plus qu’une exposante de tableaux ou d’objets artistiques, l’art doit couler dans ses veines, l’art est une partie d’elle-même.
— Depuis jeune, j’ai cette passion en moi. Jusqu’à présent, la vie ne m’a pas facilité les choses mais si c’était à refaire, je n’hésiterais pas une nanoseconde..
— Une nanoseconde…ou un temps infini, quelle différence cela fait-il ? Nous n’avons pas la capacité de nous en rendre compte, ces deux notions échappent totalement à notre conscience...
— C’est un peu comme la particule de Dieu et le champ de Higgs..
— Un champ d’énergie invisible imprégnant tout l’univers.
— Un peu comme Dieu.
— Ou le Diable c’est selon… les forces du mal, Lucifer..peu importe le nom qu’on leur donne. Croyez-vous en Dieu Emma ?
— Je crois en certains concepts, le bien et le mal, la lumière et l’obscurité…ce genre de choses.
— Vous êtes surprenante Emma et vous m’intriguez de plus en plus.
— Pourquoi ? si c’est lié au fait que je sois capable de vous parler de la particule de Dieu, permettez-moi de vous dire que vous avez une vision obsolète des femmes.
— C’est la deuxième fois de la soirée que vous me taclez Emma, je me rends. Je ne suis pas de taille. »
Ils eurent tous les deux un léger sourire. Elle avait brisé la glace.
— Et si nous parlions affaire maintenant que les présentations sont faites, me laisserez-vous l’emporter ce coup-ci ?
Bien volontiers répondit Emma, je ne suis pas femme à enfoncer un homme dont la tête est déjà sous l’eau. «
Elle rit de bon cœur et lui aussi.
— De combien avez- vous besoin ?
— 200 000 dollars. J’ai vu une boutique de meubles facilement reconvertible en espace d’exposition. Le propriétaire demande un an de loyer d’avance soit 36000 dollars. Les travaux de rénovation s’élèveront à 50000 dollars plus les charges diverses liées au fonctionnement d’une telle boutique en plein centre de Manhattan, je dirais que 100 000 dollars devrait suffire à couvrir les frais courants de la première année. Les 100 000 restants me permettront de dénicher et d’aider des artistes à haut potentiel.
— Je vois que vous avez pensé à tout. Je me fais encore battre à plat de couture. Que puis-je vous dire que vous ne sachiez déjà ?
— Je vois bien quelque chose qui ne dépend que de vous seul Harry.
— Dites-moi tout.
— J’aimerais que soit stipulé dans le contrat que le remboursement de ma dette se fera dans les deux ans à compter de la date de la signature.
— Qui a parlé de remboursement ?
— Je vous arrête tout de suite Harry, je ne fais pas l’aumône.
— Je n’ai jamais dit non plus que ce service serait gratuit.
— Qu’attendez-vous de moi dans ce cas ?
— J’ai besoin de retrouver une jeune femme spécialiste dans les écritures anciennes.
— Là c’est vous qui m’intriguez.
— Aucun mystère, rassurez-vous. Mon fils est passionné de théologie et surtout de textes sacrés, il prêche dans tous les dimanches en l’Eglise des lumières renaissantes. Il est féru de manuscrits anciens, il est persuadé que ces derniers renferment des secrets révélés uniquement à certains humains, les élus comme ils les appellent.
— Votre fils est pasteur ?
— Non pas vraiment. Il anime des groupes de réflexion et parfois on lui demande de prêcher.
— J’ai bien des cordes à mon arc mais là je sèche. Je ne vois vraiment pas en quoi je pourrais vous être utile.
— Son diplôme de fin d’étude exige la production d’un mémoire. Il a choisi l’étude de plusieurs textes anciens dont il veut proposer une nouvelle analyse, il est persuadé que ces textes recèlent des vérités réservées aux initiés mais il est au point mort et il aurait besoin d’aide.
Je sais que votre mari Anton compte parmi ses connaissances une certaine Marje. Je sais aussi de source sûre qu’elle est devenue une référence dans ce domaine.
— Anton a déjà mentionné son nom devant moi mais je ne l’ai jamais rencontrée.
— Contentez-vous d’en parler à votre mari.
— Mais comment ça ?
— C’est lui qui détient cette information, il est donc logique que vous lui en parliez non !
— Oui mais je ne sais pas, je ne vois pas par quel bout commencer.
— C’est votre mari Emma, vous saurez le convaincre.
— Je crois que je préfère vous rembourser, même dans un an s’il le faut.
— D’accord Emma mais les traites de remboursement seront élevées car je ne vous ferais aucun cadeau sur le taux d’intérêt.
— Mais je ne vous en demande pas plus. Avons-nous un deal Harry ?
— Très certainement Emma. Serrons-nous la main, demain mon secrétaire vous fera porter le contrat définitif.
Harry sortit du bureau et s’arrêta de nouveau devant le tableau de Franck baptisé « Enfer et Paradis ».
Sur cette toile, deux allégories de l’Enfer et du Paradis étaient embarquées sur un même radeau sous un temps menaçant et tourmenté.
Emma le suivit de près, s’arrêta un instant devant le tableau puis se dirigea vers la porte d’entrée. Harry l’attendait dehors devant l’une des quatre colonnes qui annonçait l’entrée majestueuse de leur demeure. Comment a-t-il pu faire aussi vite se demanda-t-elle.
Elle commença à descendre les escaliers pour se diriger vers sa voiture quand Harry l’interpela.
— Emma, une dernière chose encore ! une décision n’est bonne que lorsqu’elle est prise, mais il y a toujours un prix à payer. Souvenez-vous en !
Emma rentra à Manhattan le cœur léger, l’esprit serein. Elle tenait désormais son destin entre les mains et elle ne le devait qu’à elle seule. Elle avait hâte de relater son week -end extraordinaire à Anton. Ce qu’elle fit sans tarder le lundi matin au petit déjeuner. Anton l’écouta en silence, la félicita pour son audace couronnée de succès et retourna à ses pensées professionnelles du moment. Toekom Energy.
Le mardi suivant, Emma reçut une enveloppe, une petite boîte et un mail. Elle s’empressa de signer le contrat, elle en avait parcouru les grandes lignes et tout semblait fidèle à leur discussion.
A la fin du contrat, il y avait un emplacement pour une apposer une empreinte digitale. Harry avait tout prévu, dans cette boîte se trouvait un nécessaire à empreinte énergétique. Pas d’encre mais un boîtier spécial qui détectait les empreintes énergétiques à partir des courants électriques qui parcourent notre corps en permanence.
Elle posa son pouce sur une petite plateforme métallique et son nom s’afficha sur un cadran électronique avec sa date et son lieu de naissance.
Dans cette enveloppe, il y avait une seconde feuille sur laquelle était précisé qu’elle devait se rendre sur l’adresse mail indiqué après signature. Rendue sur ce site, elle devait rentrer sa date de naissance et le code 666 pour valider le contrat. En un éclair, tout était réglé. L’argent fut débloqué le surlendemain et le vendredi suivant à 8h, Emma signait le bail de sa toute première galerie. Elle était heureuse et fière. Une toute nouvelle vie allait commencer pour elle aussi.
Durant les premiers mois qui suivirent la signature du bail, la vie du couple sembla se stabiliser autour de leur fils. Emma avait atteint son objectif et s’occuper de son fils n’était plus une corvée.
Anton et son bras droit Timo formait un duo performant. Anton se mit à rêver… et si ce fameux dernier cercle, celui des initiés lui était enfin accessible. Harvey, son chauffeur étudiant en stratégies commerciales et financières connaissait bien Toekom Energy, il en avait fait l’objet de son mémoire de fin de cycle et c’est à ce titre qu’il avait mis en garde Anton sur ses ambitions.
— Pour intégrer ce dernier cercle, vous devrez d’abord évincer les 4 autres directeurs pour occuper le poste de directeur général de la branche énergie .
— Ah oui et pourquoi ?
— Parce que dans cette boîte, seul ce directeur est autorisé à faire partie du cercle décisionnaire. C’est pour ainsi dire le numéro 2 de la boîte après le PDG » et ça fonctionne ainsi depuis au moins 5 ans d’après l’histoire de cette entreprise. »
— Dites-moi, vous en savez presque plus que moi sur cette société Harvey.
— Il faut bien que je vous sois utile à quelque chose vu le salaire que vous me versez.
Votre salaire n’incluait pas les conseils en gestion de carrière ajouta Anton en souriant.
— Si vous me le permettez, j’ajouterai que vous êtes taillé pour ce poste M. Dravitch surtout avec une femme aussi ambitieuse que la vôtre.
— Comment ça ? Que savez-vous de mon épouse ? Avez-vous fait aussi une thèse sur ma femme ?
Harvey se mit à rire.
— Non pas du tout monsieur, c’est juste qu’il y a eu durant plusieurs semaines une grande affiche mentionnant l’ouverture prochaine de sa galerie, c’était sur notre trajet tous les matins, difficile d’y échapper. Et puis elle a donné une interview au Times pour parler de son engagement auprès de la fondation de Meredith Rutheford qui aide les femmes à devenir chef d’entreprise. Tout ça en seulement deux ans ! c’est énorme.
— Vous devez être fière d’elle.
— Oui, je le suis.
C’est vrai que depuis son retour de Lourdes, leur ascension avait été fulgurante au sein de la bonne société new-yorkaise. Ils étaient devenus un couple très en vue. Marje, Anton, Norman…le père Stanislas, les voyages et tout le reste lui sembla loin, tellement loin qu’il se demandait même s’ils avaient bien existé.
C’est alors qu’Emma lui reparla de Marje, un certain 5 juillet 2021.
La veille, Meredith avait convié quelques amis à dîner dans leur appartement new-yorkais, Anton et Emma en faisaient partie.
Comme à leur habitude, Harry et Meredith se montrèrent charmants et charmeurs. Rien ne semblait jamais troubler leur bonne humeur, ce qui en faisait des hôtes très appréciés et leur immense fortune les rendait irrésistibles.
Les discussions tournaient autour de la politique de Joe Biden, de la sortie de la crise sanitaire, rien de très folichon.
Meredith se mit à parler de golf à ses invitées, Harry saisissant la balle au bond en profita pour demander à Anton s’il jouait au golf. Anton rétorqua qu’entre son jogging journalier et ses séances de squash avec son bras droit, ses journées étaient déjà bien longues et pleines comme un oeuf.
— Effectivement, vous ne chômez pas. Pas étonnant que vous soyez arrivé si loin si vite même si la dernière marche est toujours la plus difficile à franchir.
— A qui le dites-vous Harry !
— Tom me dit souvent que le golf n’est pas un sport juste une occupation pour personne fortunée ayant une vie ennuyeuse. Vous connaissez sûrement Tom Ridgewey, votre patron.
— Oui , comme patron mais je n’ai hélas jamais partagé de parcours de golf avec lui dit-il en souriant. En dix ans de carrière au sein de son groupe, je ne l’ai croisé qu’une fois.
— Si j’en crois les rumeurs, vous serez peut-être amené dans un avenir proche à le fréquenter de plus près et plus fréquemment.
— Dans ce cas, vous avez un avantage sur moi.
— Me serais-je trompé sur vos ambitions Anton ?
— Absolument pas Harry. Vous êtes parfaitement bien renseigné.
— Dans ce cas, que diriez-vous de nous rejoindre demain midi au New York Yacht Club, nous pourrions déjeuner ensemble.
Anton n’en croyait pas ses oreilles. Il allait rencontrer le grand patron en personne grâce aux relations de sa femme. Son rêve n’en était plus un. Il entrevoyait déjà sa nouvelle vie avec une résidence dans les Hamptons, leurs voyages en Europe en première classe et leurs inquiétudes financières disparues à tout jamais. Ils entraient dans le monde des happy few, ceux qui détiennent le pouvoir et l’argent.
Anton et Emma n’avaient pas froid aux yeux, c’est donc avec un grand empressement et une pincée de fierté qu’il en parla à sa partenaire.
Il arriva avec 5 minutes de retard, juste le temps d’observer leur attitude tout en s’approchant des deux hommes.
— Bonjour Anton lança Harry. Je ne vous présente pas votre patron, Tom Ridgewey.
— Non, en effet Harry et une fois n’est pas coutume mais je connais M.Dravitch au moins de réputation.
— Bonjour M. Ridgewey. Vous me voyez flatté, j’espère que ma réputation est conforme à vos attentes.
— Vous ne seriez pas là autrement. Je vous en prie, asseyez-vous ; nous venons à peine d’arriver.
M. Ridgewey fit un signe de la main et dit : « Geffrey, vous nous mettrez trois whisky 12 ans d’âge s’il vous plaît.
« Bien monsieur » répondit Geffrey.
M.Ridgewey s’adressa ensuite à Anton.
— Aimez-vous le bateau Anton ? »
— Je sais même barrer un voilier, j’aime assez me retrouver sur l’eau, mes pensées peuvent flotter ou couler selon mon humeur. J’en reviens toujours délester de mes pensées les plus noires.
— A la bonne heure ! Nous voilà au moins un point commun. Pour se hisser au sommet, nous devons nous délester de toute pensée inutile, handicapante, celle qui nous empêche d’avancer. Comment croyez-vous que j’ai fait fortune Anton ? En me fiant à ma bonne étoile ? C’est loin d’être suffisant.
Le pouvoir, la richesse échoit toujours aux mains de personnes obéissant aux mêmes codes et ces codes ne sont pas faits pour tout le monde. C’est pourquoi, il y a ceux qui dirigent et ceux qui suivent.
Nul besoin de lire votre biographie pour reconnaître en vous un dirigeant mais saurez-vous en accepter les codes et les sacrifices ?
— Aucune ascension ne se fait sans renoncer à quelque chose.
— Parfait. Dans ce cas, votre premier sacrifice se concrétise ici et maintenant.
— Vous parlez sûrement de ceci.
Anton lui tendit un chèque de 200 000 dollars.
— Vous avez fait vos devoirs Anton, je suis impressionné.
Ces 200 000 dollars représentaient la somme à débourser pour faire partie de ce club très privé et tous ceux qui avaient obtenu le poste convoité actuellement par Anton s’en étaient acquitté. Anton tenait cette info d’Harvey, son étudiant qui lui aussi avait fait ses devoirs plus que correctement.
2h plus tard, Anton était de retour chez lui. Emma l’attendait. Impatiemment.
— Alors ? Comment ça s’est passé ?
— C’est fait. J’ai le poste. »
Emma sauta de joie, sortit une bouteille de champagne Ruinart blanc de blanc et deux coupes. Elle n’arrêtait pas de répéter « c’est énorme ce qui nous arrive, énorme…ça va bien au-delà de tous nos rêves… A nous le monde !! Je vais enfin pouvoir rembourser les 200 000 dollars que je dois à Harry avec ton nouveau salaire, je suis tellement soulagée. »
— Comment ça rembourser tes 200 000 dollars ? Tu m’avais dit que ce n’était qu’une formalité et qu’au bout de 2ans, tu pourrais au moins rembourser 100000 dollars.
— Peu importe mon chéri ! Nous avons une épargne conséquente et avec ton nouveau salaire, on sera vite renfloués.
— Nous avions une épargne conséquente.
— Comment ça, nous avions ? Qu’est-elle devenue ?
— il ne nous reste plus que 40000 dollars.
— Mais comment ça ? Je croyais qu’on se faisait confiance.
— Je n’ai pas eu le choix Emma. C’était ça ou bien cette promotion allait m’échapper.
— Quoi ? je croyais que c’était ta compétence qui t’avait valu cette promotion et non ton porte-feuille.
— Laisse-moi t’expliquer. Obtenir ce poste c’est comme appartenir à une nouvelle famille et comme toutes les familles, elle a ses codes. Ce chèque de 200 000 dollars au New York Yachting Club en était un.
— C’est dramatique, c’est une catastrophe. Que vais-je devenir ?
— Tu dramatises un peu là tout de même. Meredith et toi trouverez sûrement une solution. Nous les connaissons, ce ne sont pas des monstres.
— Tu ne comprends rien. Meredith n’a rien à voir là-dedans, c’est Harry qui m’a prêté cet argent et le deal était clair, si je ne rembourse pas la totalité de ce que je dois, sa société reprend la galerie à moins que…
— A moins que quoi ???
— A moins que tu leur présentes une personne très importante pour eux apparemment.
— Qui est-ce ?
— Tu dois retrouver Marje.
— Marje ???? Mais que vient-elle faire dans cette histoire ? »
Tout se bousculait dans sa tête.. la dette de sa femme, ce chèque tendu…Marje.
Emma reprit plus calmement.
— Harry et Meredith ont un fils passionné de religion qui s’apprête à devenir pasteur de l’église des renaissances ou quelque chose dans le genre.
— Et en quoi Marje pourrait-elle les aider ?
— Pour obtenir son diplôme de fin de cycle, il doit écrire un mémoire sur plusieurs textes anciens dont il doit retrouver le sens caché et ne me demande pas comment mais Harry a eu vent des compétences de Marje dans ce domaine et du fait que tu la connaissais.
Et dans le premier deal, retrouver Marje était la contre-partie de ma dette mais j’ai refusé. Je ne voulais pas te mêler à ça, c’était mon projet et en plus j’avais fait ça dans ton dos, suis pas très fière d’ailleurs.
— Tu es en train de me dire qu’ils sont prêts à dépenser 200 000 dollars pour que leur fils reçoive l’avis de Marje. Y’a quelque chose de pas net là-dedans. Et puis je ne sais pas où se trouve Marje. Je n’ai plus de contact avec mes amis de Lourdes. Aux dernières nouvelles, elle était en Bolivie avec un Chaman, je n’en sais pas plus.
Durant les jours qui suivirent, les nuits d’Anton étaient accaparées par l’incroyable irruption de Marje dans sa nouvelle vie new-yorkaise, bien qu’insensée, improbable, inimaginable, il y avait sûrement une explication logique et de son avis, elle se trouvait du côté du fils Noah Hartcliff.
Anton s’était mis en tête d’avoir le fin mot de l’histoire, il aurait bien mené l’enquête lui-même mais son emploi du temps actuel ne lui permettait aucun loisir en tout cas pas suffisamment pour dénouer les fils de cette intrigue, il décida de faire appel à un détective. Un certain Paul.
Après une semaine d’enquête sur le terrain, Anton apprit que Noah et quelques amis cherchaient à créer une sorte de société tournée vers les sciences occultes. Ils s’étaient mis en tête de récupérer quantité de grimoires et de vieilles reliques religieuses en tout genre pour y dénicher des formules au pouvoir plus que discutable le plus souvent. Mais dans l’année de ses 20 ans, ses parents l’envoyèrent dans une Abbaye , l’Abbaye de Lerins, située sur l’ île Saint-Honorat près des côtes cannoises. Il y serait allé pour parfaire sa culture religieuse mais une autre histoire circule à son sujet, cette histoire voudrait qu’il y soit allé pour se faire désenvoûter.
Voulant davantage de détails, Anton décida de rencontrer ce détective dans un café un peu à l’écart des endroits fréquentés par le tout Manhattan.
Dans le café avec le détective engagé.
— Comment ça se faire désenvoûter ?
— D’après l’un de ses camarades de jeu, un soir de rituel foireux , un « RF » c’est ainsi qu’ils appelaient leur petite réunion, Noah se mit à lire une formule trouvée sur un parchemin ramassé par hasard dans le cellier de ses parents un jour qu’il était parti à la recherche de sa première raquette de tennis.
Ce soir-là, il se passa quelque chose d’étrange dans les yeux de Noah. Quelque chose d’indéfinissable mais qui l’avait changé un peu, presque rien.. Mais c’était là, en lui.
— Que voulez-vous dire ?
— Toujours d’après cette même personne, à partir de ce jour, parler avec Noah c’était comme jouer à la roulette russe. « Une fois sur deux, on avait l’impression de parler à quelqu’un d’autre que celui qu’on avait toujours connu. Et un jour, il a quitté New-York. Ses parents nous ont dit qu’il avait besoin de repos pour préparer son doctorat en théologie et qu’ils l’avaient envoyé à l’étranger. En France apparemment. »
— Et vous y croyez ?
— j’avoue que l’histoire de désenvoûtement est plus crédible à la lumière de ce que ce gamin m’a rapporté.
— Où est Noah actuellement ?
— Chez ses parents, ici à Manhattan.
— Est-ce que ses amis l’ont revu depuis son retour ?
— Personne d’après mes sources. Il ne veut voir personne.
— Mais alors que fait-il de ses journées ?
— Il suit quelques cours de théologie à l’université Columbia ici à New-York. J’ai interrogé quelques uns de ses professeurs, ils me l’ont tous décrit comme un étudiant assidu très documenté sur le sujet mais assez taciturne.
— Quel est votre sentiment ?
- J’ai deux versions. Laquelle désirez-vous entendre en premier ? La plus optimiste ou la plus étrange ?
— Commencez par la plus étrange ?
— Dans cette théorie, la possession du corps de Noah par une entité démoniaque serait possible.
— Oui mais pour quelle raison ? Cela peut-il résulter d’un simple concours de circonstances liée à l’utilisation d’une formule maléfique mal maîtrisée.
— Je ne crois pas beaucoup à ces foutaises.
- Bon alors quoi ?
— Je me suis penché sur la fortune des Hartcliff.
— Pourquoi ?
— Parce que leur fortune ne leur vient pas d’un héritage. Ils ne doivent leur bonne fortune qu’à l’audace et à la bonne étoile du mari. Une bonne étoile infaillible je dois dire. Parti de rien, sans diplôme en poche, il s’est révélé au fil des années comme un conseiller puis un partenaire financier incontournable sur toute la côte Est.
— Ce n’est pas un crime ?
— Non , en effet. Il a éliminé tous ses concurrents un à un. La maladie, la faillite, les accidents inexplicables et parfois tout ça à la fois pour certains ont eu raison de la plupart des financiers qui se sont mesurés à lui.
— Son seul crime est d’être un homme d’affaire redoutable.
— Oui sauf que…
— Sauf que quoi ?
— Il y a cette histoire de possession concernant leur fils. Vous le savez bien. Vous êtes vous-même un voyageur.
Le détective vit l’étonnement et la surprise dans les yeux d’Anton.
— Ne vous inquiétez pas poursuivit-il, je suis un peu comme vous. Il m’arrive de voir et de vivre des choses qui prennent vie dans une autre dimension. Je suis un Fiji passé définitivement du côté de la lumière, je sais donc sentir et ressentir la présence d’une entité maléfique et j’ai vu leur fils devant son université ».
Anton resta muet quelques minutes. Décidément, tout le ramenait à Lourdes en ce moment.
Il tenta vainement de mettre de l’ordre dans ses idées sans y parvenir vraiment alors il décida de laisser parler son interlocuteur en le questionnant davantage.
— Je sais effectivement ce qu’est un Fiji. Que vous dit votre instinct ?
— Que Noah pourrait être la contre-partie de la réussite insolente des Hartcliff. Une sorte de paiement à Lulu.
— A Lulu ?
— Lucifer si vous préférez l’appeler par son patronyme.
— C’est une hypothèse intéressante mais comment en être sûr ?
— Tous les dettes de Lulu portent sa signature. Le sceau de l’Energie noire.
— C’est quoi ce sceau ?
— Un cercle dans lequel est enfermée une croix inversée.
— Si ce que vous dites est vrai, où serait inscrite cette marque ?
— Je n’en sais rien. Ce pourrait être n’importe où.
— A propos, c’est quoi cette Eglise des renaissances dans laquelle leur fils est fortement impliqué ?
— Ce n’est pas à proprement parler une Eglise mais plus un genre de confrérie, ultra confientiel. Seuls ses parents et quelques personnes y ont accès.
— Mais qu’y font-ils ?
— Rien ou presque. Ils ont créé une sorte de religion basée sur la rédemption par l’argent.
— Comment ça ?
— En gros, chacun est libre de faire ce qu’il veut pour construire son bonheur à partir du moment où chaque action « discutable » pour ne pas dire « nuisible » est compensée par un gros chèque au nom d’une association figurant sur leur liste. C’est tout ce que j’ai pu savoir.
— Vous ignorez donc encore le lieu de leur réunion secrète.
— Je pense qu’elle pourrait avoir lieu au sein de leur résidence secondaire dans les Hamptons. J’ai pu jeter un œil sur les plans de cette maison, il y a un grand sous-sol sous la maison, de quoi accueillir quelques fidèles. Votre femme est assez proche de Meredith et fait des affaires avec son mari je crois.
— Oui, c’est juste.
— Alors, si vous désirez en savoir davantage, vous seul le pouvez car ils ne laisseront aucune relation, aucun étranger s’approcher si près de leur résidence si c’est bien à cet endroit que se tiennent leur petite sauterie. Paul sourit et ajouta « c’est de l’humour à la française, ne soyez pas choqué Anton ».
Absolument pas, je ne suis pas choqué dit-il. C’est de vous avoir entendu parler français qui m’a un peu surpris, je vous imaginais plutôt russe avec un tel patronyme « Paul Vitaïev ».
—Mes origines russes sont trop diluées. Seul mon père parlait vaguement le russe, surtout pour nous faire rire mon frère et moi. Je suis né et j’ai grandi en France. Ma mère très pieuse avait une sorte de don, elle pouvait lire en vous rien qu’en vous prenant la main. Elle me disait toujours « je ne suis pas assez forte pour affronter ce monde, je préfère rester à ma place ; mais toi, un jour, tu seras quelqu’un, assure-toi simplement de bien choisir « celui qui te voudra être » et ce n’est que depuis peu que j’ai compris ce qu’elle voulait dire. Comme elle ne voulait pas exercer ce don, des entités sont venus me chercher et m’ont dit « Nous avons perdu ta mère et nous avons besoin de chaque « lumière » qui peuple cette Terre pour combattre les Obscurants. Viens avec nous.
— Qu’avez-vous fait alors ?
— Je les ai suivis malgré mon instinct ; à cette époque mon instinct était, bien plus endormi que ma curiosité. Au début, j’ai crû que je suivais des combattants de lumière et c’était le cas, je traversais des yeux bleus immenses et tellement bleus. C’était magique. Ces yeux c’était comme des portes, des gardiens d’anciens mondes ou de nouveaux, difficile à dire, je n’en connaissais aucun. Et puis un jour, un œil bleu que j’avais déjà traversé deux fois resta fermé et à la place je tombais sur une grande bouche noire. De l’autre côté, se trouvait une rivière, une femme magnifique aux yeux bleus se lavait les cheveux.
— Alors, voilà à quoi se résume ta vie ?
— Comment ça lui répondis-je.
— Tu te balades de monde en monde sans jamais t’impliquer. La vie facile en somme, tu ne prends aucune décision difficile, les autres se battront pour toi. Ta mère au moins avait pris une décision. Difficile car ne pouvant lire en toi, elle ne pouvait devinait tes choix futurs. Et pourtant tes choix vont déterminer son destin dans l’autre monde ( c’est la sorcière gardienne de l’élu chez les Druides)
— Quand vous aurez fini de parler par énigme, faites-moi signe. En attendant, je retourne à ma vie facile comme vous dites.
— Le destin de celle qui t’a donné la vie ne t’intéresse donc pas ? Quel genre de fils es- tu ?
— Le genre de fils qui aimerait comprendre pourquoi elle a quitté cette Terre si jeune sans rien m’expliquer.
— Ta mère ne pouvait rester plus longtemps parmi les hommes ; elle est issue d’une longue lignée de sorcières, gardienne de manuscrits des mondes des origines.
— Comment ça, des mondes ?
— Tu n’as donc rien vu ni retenu de toutes tes voyages à travers les mondes ?
— J’ai toujours pensé qu’ils se déroulaient dans un monde onirique.
— Pourquoi onirique ?
— Parce que je n’y habite pas, je ne peux pas y croiser des visages familiers ni partager un café avec eux. Je ne fais qu’y passer.
- Oui, je comprends.
Et tout à coup je me retrouve dans l’Outback australien, assis près d’aborigènes. Cette femme aux yeux bleus est assise à côté de moi et me dit : « tu ne peux ni croiser des visages familiers ni discuter avec eux autour d’un café, ce monde-là ne doit pas exister… » et elle disparaît. Je quitte les rives de la rivière, je la cherche, elle avait disparu.
Je rentre alors chez moi retrouver mon amie journaliste.
— Où étais-tu passé me dit- elle à peine inquiète.
— J’étais au cinéma je pense enfin non, j’en suis sûr. Je me suis peut-être endormi.
— J’ai une surprise pour toi, en fait pour tous les deux.
Elle me tend deux billets d’avion et ajoute « on part dans une semaine pour le désert australien, j’ai décroché le sujet sur les aborigènes à la rédaction, c’est cool non !
Tu n’as pas idée lui répondis-je.
Et me voilà, quelques cheveux gris plus tard devant vous, Paul Vitaïev, détective ésotérique…
Ils se mirent à rire tous les deux.
— Merci pour toutes ces confidences Paul. Mais dans l’affaire qui nous préoccupe, que me conseillez-vous de faire ?
— Continuez de vous rapprocher des Hartcliff et utilisez Marje pour l’appâter et l’amener à vous faire des confidences. Je pense qu’il finira par céder si vous savez lui montrer que contacter Marje représente une tâche difficile pour vous, tâche que vous ne feriez que pour un ami. Vous saurez bien trouver le bon angle d’approche pour lui faire baisser sa garde.
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