XVIII – L’Ermite ou le Faux Dévot
« Tu as fait une promesse… As-tu seulement conscience qu’il n’y a là-bas que misère, détresse, et tristesse ?
— J’ai vécu vide et vain. Puis j’ai vu et rêvé, des âmes qui marquent, qui dessinent du sens au fond de nos consciences. Je ne peux simplement pas partir avant d’avoir dit merci. Je veux encore marcher quelques mètres, quelques parsecs, avec en tête le poids de mes gestes, de mes maux. Oui, je veux continuer de souffrir si c’est pour connaître un nom de plus, une couleur de plus ; un autre tout petit vœu.
— Mon enfant, ton corps est né de la fange et d’une fantaisie éphémères ; mais je sais que ton cœur bat au rythme de mes vagues… »
Tu souris, car tu entends encore son clapotis.
« J’ai à cœur de fermer les yeux, et de te rejoindre. Mais à quoi bon souffrir si c’est pour s’en aller ainsi ? Et puis, je ne veux pas laisser derrière moi tous ceux que j’ai appris à admirer, et les quelques qui marcheront dans mes traces.
— Alors je reviendrai lorsque tout sera fini. »
☾֍☽︎
Tu ouvres les yeux sur un musel rassuré, et un vrombissement d’ailes.
La renarde au pelage flamme te redresse, et l’Enfant du Soleil tourne autour de toi.
Triste toile à décrire aux étoiles : un pauvre hère, couvert de cendres, noirci par le feu, cerné de fatigue, assoiffé, affamé. Une carcasse en devenir qui refuse de céder.
Une lacryme coule et trace sillon sur tes joues sales. Elle a le goût de la joie.
Tu l’as appelé tant de fois, cette Luciole à l’éclat sidéral, pensant être séparés par des distances infinies, mais elle n’a cessée de te guider, te pousser par-delà des limites inouïes.
Elle a toujours étée là.
Tu te lèves, martel en main, la dernière perle à incruster sur la tierce enclume. Ultime météore.
Mais tu te figes.
Car face à toi, tu reconnais ton visage.
Tu ne comprends pas, mais tu te scrutes fixement, attendant de voir qu’elle sera ton prochain acte.
Ton regard que tu contemples est inhabité, plein de la Vanité, de la Futilité. Et il a faim et soif.
Des doigts envieux enserrent ton fusain, mais tu les refoules d’un revers de la main. On ne te volera pas tes vœux, promesses, et dilections !
« Je ne sais qui tu es, mais si c’est là ma dernière tribulation ; un dernier avertissement. Je suis prêt. »
La Carcasse ne répond pas, et seulement tente de t’arracher ton outil. Qu’il débarrasse la terre de cet objet qui détourne, qui propose détours ! Le symbole de ta quête de sens, de ta conscience qui refuse d’embrasser les sottes évidences.
À quoi bon s’embêter à chercher ‽, lorsque fermer les yeux, laisser toutes les faims, toutes les soifs se répandre sur l’autel des ires apaise ! Apaise tout et surtout le Trouble ! Mais tu sais que ce n’est que le mirage d’un instant ; une ombre qu’il est facile de caresser, mais qui n’aidera jamais à atteindre les ultimes limites. Ton corps ressemble peut-être à ce veule animal émacié, mais un souffle tempête en toi, ce Πνεῦμα balaye tous ces vices et vicissitudes !
Alors il ouvre la bouche, et tu sens un cri d’une terreur ineffable te cingler et te plier au dedans :
« Il suffit de prendre ! »
Ainsi se jette-t-il sur toi, griffes et crocs en avant ! Σαμβύκη lui saisit le poignet, mais en vain, une savate la chasse.
Tu vois rouge, colère et fureur transformer ton visage, brouiller tes velléités, la clarté de ton regard.
Et dans la mêlée, tentant d’éviter le pire, l’Enfant du Soleil est frappé d’une main vile et abjecte.
Alors rien ne retient ton bras, et tu abats l’arme d’une force que tu ignorais, d’un poids à fléchir la réalité.
La Carcasse s’effondre en poussières, qui sitôt rejoignent celles de l’astérolithe.
Dans ta main, la troisième perle est brisée.
☾*☽︎
Et ton cœur saigne.
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