Pierre
Le quartier Baille sentait le poisson et la châtaigne grillée, sous un vent tiède qui semblait me pousser vers ma destination. Parvenu au pied du grand immeuble gris, j'hésitai un instant. L'impression de ne pas être à ma place, que Sophie était là, en train de voir ce que je faisais de sa confiance, de ma fidélité. Tu peux venir chez moi, si tu veux. Luna. Ça m'aurait étonné que ce fût son prénom, mais je n'allais pas faire la fine bouche sur la sincérité.
Ce n'était pas le manque d'amour, ni la remise en question. Sophie était toujours aussi belle, aucun jour ne passait sans affection, sans un geste tendre, qui semblait pourtant alimenter ma faim. Chaque parole, chaque caresse était comme une goutte d'eau sur ma flamme. L'ennui, certainement. Et puis, la connaissance, de ses réactions, de ses attentes. J'ai lutté pour me convaincre que c'était chez les autres, que l'amour véritable ne souffrait pas d'à-côtés. Mais se convaincre d'avoir raison, n'est-ce pas déjà avoir tort ?
Un battement chaud pulsait dans ma poitrine, une lame de froid remontant le long de ma mâchoire. J'étais engourdi de peur et d'excitation. Je sortis mon portable, pour être sûr de l'adresse, quand un effluve capiteux me chatouilla les narines. Je levai les yeux sur une femme à la démarche rapide, qui fouillait dans son sac sans regarder devant elle. Je fis un pas de côté pour l'éviter, ce qu'elle ne sembla pas remarquer. Elle soupira en sortant un trousseau de clés, puis replaça une mèche blonde derrière son oreille droite. Dans le mouvement, un stylo tomba de son sac en rebondissant et roulant en direction du caniveau.
Je me précipitai, penché en avant comme un joueur de curling, les yeux rivés au cylindre translucide à bouchon bleu. Ce fut mon erreur.
J'entendis un juron, immédiatement suivi d'un craquement sur ma joue tandis que mon regard pivotait en un travelling vertical vers le ciel nébuleux. Je sentis mon téléphone glisser entre mes doigts, quand la dernière pensée qui me vint fut que l'appli de rencontre était ouverte. L'arrière de ma tête percuta un rebord glacial. Je sentis plusieurs de mes dents s'entrechoquer dans une décharge métallique.
Le reste ne m'appartient plus.
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