- 3 -

5 minutes de lecture

L'aurore dévorait les ténèbres, ourlait les bâtiments de nitescence. Une vaporeuse effluence s'évadait loin des heures sombres. Le silence enlaça les espaces tel un linceul ; la vie s'accrochait avec peine, elle ne pouvait que se taire pour subsister.

Sous l'appentis, rien ne semblait pouvoir contraindre la créature à rejoindre un abri plus clément ; allait-elle s'enflammer dès que les rayons incendiaires la frôleraient ?

La chamane sortit de son sac une pèlerine de tissu blanc, l'endossa et, releva la capuche sur son crâne. Ensuite, elle fixa la bâtisse endormie. Tous ses sens mobilisés, elle guettait. Un son venant de la maison l'alerta, un lent sourire étira ses lèvres décolorées.

*

L'homme ouvrit les yeux le premier, stupéfait que le repos cette fois ne se soit pas dérobé à lui. Au contraire, il le berçait, l'entourait de vagues moelleuses. Il faillit se laisser envelopper, mais réalisa à quel point c'était inhabituel. Vif, il se redressa sur le lit, la voix de sa compagne le rassura.

— Nous sommes toujours vivants.

Il porta son attention sur elle. Son sourire réchauffa son âme, en revanche les cernes qui entouraient ses yeux l'inquiétèrent.

— Te sens-tu reposée ?

— Calmée, quant au reste...

La réponse resta incomplète, mais nul besoin d'autres précisions. Finalement, son sommeil réparateur lui apparut insolent, illégitime.

— Allons, ne fais pas cette tête, c'est bien qu'un de nous deux au moins soit d'attaque.

Il caressa doucement son visage, apposa ses lèvres sur son front, glissa hors du lit.

— Je m'occupe du petit-déjeuner, essaie de dormir encore un peu.

— Hors de question.

Elle se leva à son tour, le plancher craqua légèrement.

Finalement, ils gagnèrent le rez-de-chaussée ensemble.

*

Les brisures de Lune disparurent définitivement de l'autre côté du monde. La sorcière s'avança à découvert vers les bâtiments. Elle supposait la barrière de protection levée, mais restait circonspecte.

Le visage à moitié dissimulé par son vêtement, elle arriva devant l'entrée et toqua simplement sur le battant de bois...

*

Ils sursautèrent, lui se redressa. Le récipient ébréché qu'elle tenait en main s'échappa, un liquide ambré se répandit sur le bois dur de la table. Le calme relatif qu'ils ressentaient à cet instant-là s'envolait.

Ils retenaient leurs souffles, pris entre l'impulsion d'ouvrir à ce visiteur inattendu et la prudence qui leur commandait de faire les morts.

Un autre coup et une voix, étrange, nasillarde.

— Il n'est pas dans votre intérêt de vous taire, je veux juste vous parler.

Ils se regardèrent, l'indécision marquait leurs traits ; le battant fut heurté une troisième fois.

— Si vous souhaitez avoir une chance de partir d'ici en vie, vous devez discuter avec moi.

La femme secoua la tête, son regard en disait long sur son appréhension. Quant à l'homme, il chuchota :

— Cette personne, quelle qu'elle soit, pourrait peut-être nous aider.

— Ou nous tuer plus vite !

Cette objection, teintée de terreur l'interpella, mais sa décision était prise, il sortit.

*

Celle qu'il découvrit sur le perron, le stupéfia par son étrangeté, par ailleurs il n'imaginait pas qu'elle puisse s'exprimer comme lui. La créature ne le laissa pas s'interroger ; elle franchit le seuil. Éberlué, il la suivit des yeux, avant de refermer et de lui emboîter le pas.

En arrivant dans la pièce, la sorcière devina la surprise, la peur, voire le rejet de la femme à son égard. Cela ne l'étonnait, ni ne la troublait. D'ailleurs, elle entra immédiatement dans le vif du sujet.

— Qu'êtes-vous venus faire sur ce monde ?

Il ouvrit la bouche pour répondre, sa compagne le court-circuita.

— Nous nous sommes crashés, notre présence est purement accidentelle.

La sorcière les observait attentivement, elle ne manqua pas de remarquer le léger froncement de sourcils de l'homme. Elle réalisa que la femme mentait au moins par omission.

— Cela ne répond pas à ma question.

Cette fois, il devança sa conjointe.

— Nous sommes en mission d'observation. Nous devions rester en orbite, mais une panne nous a contraints à atterrir en catastrophe. Depuis, notre objectif est de contacter les nôtres pour qu'ils viennent nous secourir, rien de plus. En revanche, sans ressources compatibles,notre transmetteur reste difficile à réparer. Nous avons besoin de temps.

La réponse de la créature, qui avait écouté avec attention, fut péremptoire.

— Je ne puis vous en accorder, si vous voulez sauver vos vies, vous devez partir avant ce soir.

La femme se taisait, éberluée. Elle dardait ses prunelles grises chargées de reproches sur son compagnon.

— Nous ne le pouvons pas.

— Vous devez au moins quitter ce secteur. Allez au nord, à une cinquantaine de kilomètres d'ici, vous arriverez près d'une cité abandonnée. Suivez les indications des panneaux anciens, sur la route antique. Mes enfants sont peu présents là-bas. Vous trouverez des abris potentiels et des ressources pour réparer votre matériel, mais ne vous y trompez pas, vous devrez avoir quitté ce monde dans une semaine. Sinon je ne réponds plus de votre sécurité.

— Vous nous menacez ?

— Je vous accorde du temps pour préserver vos existences et c'est déjà beaucoup. Si je l'avais souhaité, vous seriez morts la nuit dernière, sachez-le.

— Qui êtes-vous exactement ? vous ressemblez à ces sauvages, mais vous êtes différente, civilisée ?

— Partez ! Vite !

Sur cette injonction, elle se détourna, et s'apprêta à sortir. Une flambée de rage s'empara de la femme. Vivement elle se saisit d'une barre de fer rouillée, se rua sur la créature et la frappa sans hésiter de plusieurs coups violents et sucessifs.

Tétanisé par la stupeur et cette folie subite, l'homme mit plusieurs secondes à réagir. Il attrapa sa compagne à bras-le-corps, la désarma, jeta la ferraille loin d'eux et vociféra :

— Aurais-tu perdu l'esprit ? Elle acceptait de nous aider.

— Qu'est-ce que tu en sais ? Je crois qu'elle cherchait à nous éloigner d'ici, pour mieux nous frapper en traître. En réalité, notre barrière est infranchissable, elle le savait, elle a donc cherché à nous envoyer, je ne sais où, pour nous piéger.

— Tu es paranoïaque et tu perds le contrôle, Capitaine Irina Yséov !

Elle recula, blessée, ouvrit la bouche pour riposter. Une succession de bruits saccadés l'incita plutôt à porter son attention sur sa victime, son compagnon l'imita...

Sous leurs regards ébahis, la créature s'agitait de soubresauts spasmodiques. Le plus déstabilisant restait son crâne béant et déchiqueté par la puissance des coups reçus. Il débordait de fils, de diodes, de micro processeurs qui baignaient dans une substance vert-fluo dégoulinante.

La sorcière se révélait artificielle !

*

Dans un vaste bunker, un complexe informatique passait en mode alerte. Sur les écrans plasmiques, apparaissaient des images qui plongeaient l'entité gardienne dans la consternation.

Elle les étudia attentivement, puis en tira les conclusions adéquates : les négociations avaient échoué, le nouveau peuple était en danger. Elle transmit les ordres suivants à toutes ses extensions :

"Unité Mère protectrice 6A42 hors circuit. Danger potentiel détecté. Identification : êtres diurnes, un mâle et une femelle (description précise jointe). Violence avérée.

Action recommandée : Envoi d'un binôme d'intervention pour neutralisation du couple, contact permanent établi durant l'opération. Déblocage des ressources nécessaires effectué.

Annexe : Envoi d'une unité Mère de remplacement sur secteur FR06.

Terminé."

Annotations

Vous aimez lire Beatrice Luminet-dupuy ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0