- 7 -
Les androïdes se figèrent à leur arrivée sur la roche. Leur programmation les avertissait qu'ils accédaient à l'un des habitats du "nouveau peuple". Au moins n'en étaient-ils pas loin. Ils demandèrent des instructions, puis attendirent la réponse avec une patience toute robotique.
Elle fut impérative, ils ne devaient pas troubler la quiétude des lieux plus que nécessaire. Le serveur central leur envoya un aperçu topographique du sous-sol. ils l'étudièrent et extrapolèrent un trajet pouvant leur permettre de quitter les grottes sans interférer avec les autochtones. De là, ils devraient se mettre à l'affût pour attendre le couple diurne à leur sortie. Si toutefois les habitants ne les éliminaient pas. C'était une possibilité que l'entité gardienne de la montagne incluait dans l'équation.
La soldatesque mécanique retourna brièvement dans le ventre de la créature endormie, puis dénicha une seconde issue qu'ils empruntèrent aussitôt ...
Un hululement inattendu, émanant des créatures se répercuta sur les parois caverneuses en échos successifs ; elles appelaient les leurs à la rescousse. Aussitôt d'autres clameurs résonnèrent, multiples, arrivant de tous côtés.
Yséov et son compagnon reculèrent d'un même pas, mais une soudaine étreinte d'acier les ceintura.
Deux des nocturnes s'étaient glissés en silence derrière eux, leur coupant toute retraite. Sans les lâcher, ils les poussèrent en avant sur une sente de mousse luminescente qui descendait en pente douce vers le lac souterrain.
Au fur et à mesure de leur progression, la température se transissait ; de la buée s'échappait de leurs lèvres qui bleuissaient. Ils frissonnèrent.
Pourquoi un froid aussi soudain ?
L'interrogation surgissait dans leurs esprits effrayés. Tous deux fixèrent l'étendue d'eau et remarquèrent les plaques de glace à la surface ; tout s'expliquait.
Sur les pans de rocs, les mouvances de l'onde se reflétaient. À présent, l'homme et la femme claquaient des dents. Poussés, tirés, emprisonnés par les individus qui les avaient capturés, ils ne pouvaient que subir.
Autour du lac, les créatures se pressaient, il en venait de toutes parts. Le stress d'Yséov croissait, couplé à son effroi. Son compagnon, à peine plus calme, s'efforçait d'examiner ce qui l'entourait. Il cherchait une échappatoire très improbable ; pour l'immédiat en tous les cas.
On les entoura bientôt. Assourdis de protestations hululées, de plaintes haineuses, de grognements revendicateurs, ils furent dès lors brusqués. Ils découvraient la force, mais également le ressentiment que ces êtres éprouvaient à leur égard.
Soudain, une clameur étonnamment forte couvrit toutes les autres. On cessa de les malmener, on les lâcha. De surprise, ils se laissèrent glisser sur le sol, le découvrirent froid et dur.
Passage fut donné à un individu, dont la prestance évidente sauta aux yeux des intrus. Non qu'il fût plus grand ou plus musclé que les autres. Cependant, sa dignité et sa force se lisaient dans sa démarche, sa façon de fixer son regard de nacre sur eux, l'impassibilité de sa figure. Il portait une sorte de coiffe sur la tête, ornée d'une pierre translucide, et tenait dans sa main un objet qui semblait fait de plusieurs os liés ensemble. Eux, subjugués, prenaient note des innombrables scarifications qui marquaient le corps de ce phénomène.
Est-il artificiel ?
Une autre pensée commune à l'homme et la femme, assez légitime celle-ci. Cet intéressant personnage s'accroupissait à présent à leur niveau et les scrutait avec un intérêt non dissimulé. Cela donna au couple l'occasion d'observer son faciès de très près.
Visage anguleux, peau d'un blanc translucide, nez étroit, bouche petite, presque ronde, qui révéla fugitivement de petites dents pointues.
Ils notèrent tout ceci en un éclair, en même temps qu'une vague odeur d'humidité fétide. Pour eux, il était désormais clair qu'ils se trouvaient devant le chef de cette communauté cavernicole et surtout que sa nature était organique.
D'ailleurs, l'édile les examina durant cinq bonnes minutes, puis se redressa subitement et lança quelques sons aigus à l'adresse de deux membres de la tribu. Ceux-ci attrapèrent les prisonniers qu'ils relevèrent. Ensuite on arracha leurs sacs, avant de leur lier les mains dans le dos. On les entraîna derechef en direction d'un conduit large et lumineux.
Yséov, épouvantée, tenta à cet instant de résister. Mal lui en prit, on l'assomma aussitôt, sous le regard de son compagnon éberlué. Il eut à peine le temps d'esquisser un geste de protestation, que l'on plaça sur sa gorge un kriss effilé ; celui qui le tenait en respect eut à son adresse un sifflement menaçant. L'homme préféra se tenir tranquille. La femme fut jetée sans ménagement sur l'épaule de son geôlier. Leur sort désormais devenait incertain.
Aleei suivit les captifs de ses yeux laiteux, il n'eut aucune réaction devant la tentative de résistance de la femme. Quand ils furent enfin hors de vue, il émit plusieurs hululements impératifs à la suite. Aussitôt les alentours se vidèrent. Il resta seul avec les deux guerriers attachés à sa personne. Ceux-ci tenaient entre leurs mains les sacs à dos des importuns. Il émit à leur intention quelques brèves modulations. Puis Aleei leur emboita le pas l'esprit encombré de questions compliquées et pour l'instant présent, sans réponses. Il pensa aussi qu'heureusement, les lieux sacrés retrouvaient leur sérénité habituelle, seulement troublée par les mouvements lents et liquides des névés à la surface de l'eau. La souillure ultime par les diurnes était évitée.
Les prisonniers pénétrèrent dans l'habitat des créatures, l'homme y jeta un regard surpris ; une évidence s'imposait à lui, ce lieu incroyable ne semblait pas résulter d'une érosion naturelle. Il nota la température nettement plus douce qu'à proximité du bassin et les parois luminescentes. Divisées en plusieurs unités, ces habitations troglodytes apparaissaient, pour la plupart, occupées. Sans ménagement, le couple fut emmené vers l'une de ces singulières excavations. On l'y laissa, après avoir attaché solidement les liens à des anneaux de fer rouillé incrustés dans le roc. Yséov sortit alors de sa légère inconscience.
Aleei gagna l'enclave qui lui était réservée au sein de l'habitat. Ses guerriers venaient d'y déposer les affaires des intrus. Il les congédia sans hésiter. Il fit de même pour Ovoo, sa compagne, qui s'empressait vers lui avec une écuelle de nourriture. En douceur, il la repoussa, elle n'insista pas et quitta leur nid commun.
Il se concentra enfin sur sa prise du jour et commença à manipuler ces objets inhabituels qui bruitaient étrangement quand on les remuait. Il toucha les boucles, tâta le tissu qui glissait un peu sous ses doigts blanchâtres, s'acharna de ses ongles irisés sur les fermetures à glissières, sans parvenir à les ouvrir. Dépité, il les lança loin de lui en émettant un sifflement d'agacement.
"J'aurais dû les jeter dans l'abîme sacré !"
Cette pensée, débordante de colère, cessa. Une suite de réflexions posées lui fit comprendre que sans l'aide des étrangers, il ne pourrait pas ouvrir ces choses dont il s'était emparé. Sa priorité : faire sienne la magie qu'elles cachaient. Il envoya chercher l'un des prisonniers.
Annotations