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Sa stupéfaction était si grande qu'il en resta immobile. Puis, il baissa son arme et examina mieux cet inconnu qui venait à lui ; taille moyenne, cheveux bruns et revêtu d'une sorte de combinaison de travail dans les tons rouge vif. Il arborait une mine souriante, ouverte. Avec, cependant, une certaine fixité dans le regard. La couleur le surprit par son étrangeté ; un orangé très pâle, mêlé de rose. La pupille était noire comme la sienne. 

Une mutation peut-être ? 

Cette réflexion intérieure resta unique, car son hôte, à présent, près de lui, s'exclamait :

— Bienvenue au centre. Plus d'inquiétude, il prendra soin de vous ; détendez-vous, sustentez-vous et n'ayez plus de crainte, les affres du dehors ne vous atteindrons pas ici, je serai votre guide durant votre période d'adaptation.  

Cette tirade sonnait comme une leçon bien apprise. Ensuite, il regarda de tous côtés, et demanda :

— Êtes-vous seul ?

Déconcerté et, curieusement, toujours sur la défensive, Dimitri répondit :

— Oui, enfin non, j'ai laissé ma compagne dans notre abri, elle est blessée. Marcher jusqu'ici, cela aurait été trop pour elle, vous comprenez bien sûr ?

— Blessée ? Vous avez eu maille à partir avec les transformés ? 

— Les transformés ? 

— Ceux qui sortent la nuit.

Troublé par cette appellation, le lieutenant balbutia :

— Oui…  oui… mais…  Nous leur avons échappé !

Yeux Orange s'approcha très près de lui, et le scruta avec une attention soutenue. Cette fois transparaissait chez lui une sorte de dureté et sa question suivante, tranchante comme une lame, demandait une réponse immédiate. 

— Est-elle fiévreuse ? Délirante ? 

— Pourquoi me demandez-vous cela ?

L'hôte attrapa Dimitri par les épaules, cette étreinte ferme presque douloureuse le fit grimacer. Le visage du « guide », sans émotion, trop impassible, l'intriguait cette fois. L'interrogation se répéta :

— Est-elle fiévreuse ? Délirante ? 

Déconcerté, il hésita, l'autre accentua la pression, une vive douleur, et Dimitri s'entendit déclarer :

— Non ! Elle ne l'est plus !

— Mais elle l'a été, n'est-ce pas ? insista Yeux orange.

— Oui, mais…

L'autre le lâcha brusquement, Le lieutenant chancela et recula. Le « guide » reprenait :

— Pardonnez mon insistance, mais il convient que je sois très prudent. Bien évidemment, il y a la sécurité automatique à l'entrée et vous n'auriez pas pénétré ici si vous étiez infecté ! Cependant, une marge d'erreur existe, il va falloir que je vérifie, vous comprenez ? 

— Vérifiez ? Je ne comprends pas ?

— Je dois vous soumettre à un examen médical !

— Ah ? Vous avez des ressources thérapeutiques ici  ?

— Oui.

— Dans ce cas, permettez-moi de repartir pour aller chercher ma compagne, qui justement a besoin de soins ! 

— Non !

— Non ? 

— Elle est infectée, il est trop tard pour elle, considérez-la comme perdue. 

Consterné, l'homme resta silencieux quelques secondes, ce qui permit à l'autre de dire :

— Suivez-moi pour votre examen médical. 

La réponse de Dimitri fusa :

— Ce ne sera pas utile, je repars. 

— Vous ne pouvez plus repartir, le centre vous a déjà enregistré comme résident, ce serait contraire au protocole. 

— Qu'est-ce que vous racontez ?

— Vous ne pouvez plus repartir, le centre vous a déjà enregistré comme résident, ce serait contraire au protocole, répéta Yeux orange.

Là, Dimitri commença d'avoir quelques doutes sur la nature véritable du guide. Néanmoins, il rétorqua :

— Écoutez, je ne tiens pas à faire de vagues, nous sommes entre personnes raisonnables, n'est-ce pas ? Alors, je vais quitter ce bâtiment. Avant je vous prendrai un peu de nourriture, d'eau et peut-être consentirez-vous à me fournir quelques médications ?  

Yeux orange, tenta d'agripper un de ses bras, mais Dimitri qui l'avait vu venir recula et resserra sa prise sur son arme qu'il n'avait pas lâché. Il poursuivit :

— Oublions les médications, mais j'ai vraiment besoin de vivres.

— Non, vous êtes résident, vous ne pouvez plus quitter le centre. 

Le guide alors bondit vers lui, instinctivement, Dimitri leva son pistolet et tira…

*

6A42, après avoir envisagé nombre d'alternatives, rebroussa chemin. Elle savait avoir fait une erreur de trajectoire. Rien qui ne puisse la faire dévier de son objectif cependant ; c'était rattrapable. Ainsi marcha-t-elle sur plusieurs centaines de mètres, remontant autant de véhicules et d'amoncellement d'ossements que nécessaire. Son attention était extrême et elle repéra enfin l'endroit où elle s'était trompée. 

Le croisement n'était pas évident à remarquer sous la poussière et la tôle tordue, chauffée à blanc et rouillée maintes et maintes fois, au point de façonner une sorte d'œuvre abstraite. Celle-ci, d'ailleurs, ne manquait pas d'une certaine grandeur. Elle illustrait, de façon pathétique, l'inutilité et la suffisance de la technologie face à l'inéluctable destruction des civilisations. Ainsi, des couleurs éteintes se confondaient-elles en un arc-en-ciel sombre et nihiliste, en fait, le symbôle hurlant et pourtant silencieux de cette condescendance.

Quoi qu'il en soit, c'est juste derrière cette sculpture improbable qu'une route se présenta à la robote ; elle l'emprunta aussitôt. Vide de tout témoignage du passé, qu'il soit organique ou synthétique, il semblait bien, cette fois, que, plus rien n'interromprait la marche en avant de  6A42.  À l'horizon, se découpait sur le ciel surchauffé de midi, les silhouettes encore tremblotantes de bâtiments lointains. 

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