3. Otage

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Face à l'indifférence de ses kidnappeurs, l'imagination d'Hedony suggéra de terribles scénarios. Elle se remémora, défilant comme la bande annonce d'un film, sa courte existence à n'en faire qu'à sa tête. Elle regretta nombre de ses gestes, désinvoltes et revêches. La jeune femme n'avait jamais été facile à vivre. Elle aurait pu faire des efforts, mais il était trop tard désormais.

« Qu'allez-vous... me faire ? », hasarda-t-elle, une énième fois.

Le passager jeta un regard vers le conducteur, mais le silence persista. Hedony frissonna, le vent s'engouffrait dans la voiture, vif et ravageur. Il soufflait dans ses cheveux et la gelée s'insinuait à travers ses vêtements.

« J'ai froid », fit-elle remarquer.

Iggy soupira. Son collègue remonta sa fenêtre. Par la vitre, Hedony distingua les immeubles des quartiers industriels se dresser devant eux. Ils arriveraient bientôt.

***

Adhara râlait. Il avait fait sa valise, nourri son poisson rouge et quitté sa maison en quatrième vitesse. D'humeur maussade, il intercepta un taxi qui l'amena à l'aéroport de Manchester où l'attendait un jet privé : un des privilèges dont il bénéficiait en travaillant pour Connor. Il ne lésinait jamais sur le confort, il avait l'argent pour ça. Une chance, se disait le jeune homme.

« Bienvenue à bord Monsieur Faraday, nous arriverons à Helsinki d’ici deux heures et quarante minutes. », l’accueillit une hôtesse affublée d'un costume sophisitiqué.

Il acquiesça et s’installa confortablement sur son siège.

« Voudriez-vous bien me prévenir lorsqu'on arrivera ? Merci. »

L’hôtesse s’éloigna et Adhara ne put s’empêcher de reluquer ses fesses avec un sourire mutin. Lorsqu’elle disparut dans sa petite cabine, le anahera reporta son regard sur le hublot et la profondeur ténébreuse de la nuit.

« Helsinki putain… Tu ne pouvais pas m’envoyer plus loin que ça, Connor ? »

Il soupira, se renfonça dans son fauteuil et ferma les yeux en quête de sommeil. Il en aurait bien besoin, la nuit allait être longue.

***

Le paysage urbain défilait autour d'eux. À force de rester sans réponse, la captive se résigna au caractère imminent de sa mort prochaine. Chaque mètre parcouru l'amenait inexorablement plus près de son destin funeste.

Alors que ses pensées sombres s'acclimataient à l'idée de mourir, elle songea à sa vision.

Pourquoi l’ont-ils tuée ? se demanda Hedony. Cette femme aux boucles blondes, celle qui avait l’art de subjuguer son hôte d'un simple regard ? Pourquoi ? Rien ne lui avait paru aussi douloureux. À travers cet homme, elle avait ressenti le caractère permanent de sa mort alors que d’habitude, son hôte avait cette intime conviction de retrouver sa femme, un jour, quelque part. Rien désormais ne pouvait les réunir, son âme resterait esseulée à jamais.

La voiture bifurqua et s'engagea dans un chemin en terre. Quelques mètres plus loin, les pneus crissèrent sur le gravier et s'immobilisèrent. Le passager se retourna vers Hedony pour étudier l’expression grave qu’elle affichait.

La jeune femme ferma les yeux, inspira profondément pour conserver son calme. Malgré tout, son pouls s’accéléra. Elle perçut le bruit des portières qui s’ouvraient et se refermaient à l’avant. Ses bourreaux venaient la chercher.

La porte latérale de l'automobile coulissa dans un grondement sourd. Une brise froide glissa sur ses jambes dénudées. Dans un geste désespéré, Hedony se laissa tomber du côté opposé pour échapper à Iggy.

« Pitié, non... »

Il agrippa ses chevilles, la tira vers lui et la prit dans ses bras musculeux. Avec une facilité déconcertante, il la hissa sur son épaule comme un vulgaire sac de patates.

« Lâchez-moi ! Lâchez-moi, je vous dis ! Au secours ! Quelqu'un à l'aide ! Aidez-moi ! »

La jeune femme hurla et tapa des poings dans le dos de son porteur. Elle espérait que ses cris soient entendus, qu'on vienne la sauver, mais la zone industrielle à cette heure avancée de la nuit était sans vie.

Lorsqu'ils entrèrent dans le bâtiment désaffecté, Hedony reprit son souffle. Un silence ténu habitait les lieux. La jeune femme se focalisa sur ce qu'elle distinguait dans la pénombre, retint le dédale de couloirs qu'ils prirent. Dans un immense hall, elle discerna le clapotis d’une goutte d’eau qui tombait dans une flaque à intervalle régulier ainsi que l’écho de leurs pas. Les machineries exhalaient un parfum de fer rouillé et d'humidité que Hedony perçut même à travers le parfum d'aftershave d'Iggy.

Celui-ci la portait souplement, sa démarche aisée et régulière, comme si cela ne lui demandait aucun effort. Son acolyte ouvrit la porte de leur repaire. Ils plongèrent dans une pièce froide, vide de tout mobilier exception faite d'un matelas, une table et une chaise.

Iggy la déposa sur la couchette que l’humidité avait rendu moite. Lorsqu'il alluma la lumière, Hedony put détailler son environnement avec un froncement de sourcils. L’ampoule nue au plafond diffusait une lumière vive et blanche. Dans son halo, elle éclairait la table sur laquelle trônait un amoncellement de feuilles.

Son agresseur s’installa sur la chaise de bureau et fixa longuement la jeune femme. Elle éprouva la désagréable sensation qu’il lisait en elle, qu'il s’introduisait dans son esprit de façon insidieuse. Sa force de caractère lui permit de tenir tête. Elle affronta son regard sans ciller même si elle se sentait nue. Iggy abdiqua le premier quand son collègue prit la parole.

« On est à l'avance, le rendez-vous n'est que dans une heure.
— Pas grave, répondit Iggy en se levant. Tu resteras sage en attendant, n’est-ce pas ? »

Il glissa un doigt sous son menton et la força à lever son visage vers le sien. Elle lui renvoya un regard noir et tourna la tête pour échapper à ce contact. Le jeune homme ne se démonta pas pour autant et s’agenouilla devant elle.

« Si vous voulez une rançon, vous vous êtes trompée de personne. Relâchez-moi maintenant et je vous promets que je ne dirai rien aux autorités. », siffla-t-elle.

Il eut un sourire carnassier.

« Qui t’a parlé d’argent ? »

Hedony tenta de garder contenance, mais elle n’osa reprendre la parole, interdite. Elle se savait désormais condamnée : il ne lui restait plus qu’à patienter pour savoir ce qu’elle allait endurer. Dans son esprit, de sombres desseins plus horribles les uns que les autres s'entassaient et opprimaient sa poitrine d'une profonde anxiété.

« Pourquoi alors… ? » finit-elle quand même par demander, la voix tremblotante.

La voir toute désemparée fit rire Iggy.

« Tu comprendras assez vite. Si tu veux bien nous croire... »

Il passa sa main dans sa longue chevelure brune et la décoiffa d’un geste presque amical.

« Je te conseille de te reposer, Jacob va bientôt arriver.
— Me reposer ? répéta Hedony avec un soupçon de colère dans la voix.
— Tu trouveras peut-être les réponses à tes questions d’ici là, affirma-t-il avec un air satisfait. Kalevi, tu la surveilles ? »

Le deuxième homme, Kalevi, opina du chef. Il prit place sur la chaise d'Iggy lorsque ce dernier se retira. Malgré la position désagréable que lui imposaient ses pieds attachés, la jeune femme ne put se résoudre à se coucher. Elle dévisagea son surveillant, désormais seul dans la pièce.

« Il te laisse le sale boulot, à chaque fois, visiblement, dit-elle pour tenter le début d’une conversation.

— Ça me dérange pas. »

Son geôlier haussa les épaules pour accentuer sa réponse.

« Vraiment ? Pourquoi faites-vous ça ?
— C'est compliqué, soupira-t-il. Mais je ne peux rien te dire, Veikko me tuerait sinon.
— Veikko ? Il s'appelle comme ça ? »

Kalevi resta silencieux. Visiblement, il en avait trop dit.

« Tu devrais te reposer en attendant, changea-t-il de sujet, mal à l'aise.
— Comment veux-tu que je me repose dans une situation pareille ? s'argua-t-elle.
— Je ne sais pas... Je... Je veux juste dire que... Enfin, laisse tomber. Je ne répondrai plus à rien.
— Pourquoi ? Tu as peur de lui ?
— Tu essaies de me déstabiliser... constata-t-il.
— Si l'argent ne vous intéresse pas, qu'est-ce que vous comptez me faire ? J'ai un besoin pressent, je ne pourrais pas... ? Ou au moins me donner à boire? Je meurs de soif, s'il-vous plait. »

Kalevi détourna les yeux, fixant tantôt le sol, tantôt le plafond. À chacune des interrogations de la jeune femme, l’homme fit non de la tête, comme s'il refusait de l'écouter.

« Vous parliez d'un certain Jacob. Qui est-ce ? tenta-t-elle une dernière fois.
— J'ai dit que je ne répondrai plus à tes questions » lui rembarra le ravisseur.

Réduite au silence, Hedony soupira. Elle examina la pièce du regard, se creusant les méninges pour imaginer un plan. Durant sa réflexion, elle étudia son geôlier. Le finlandais avait des joues plus rondes que son acolyte. Sa barbe était coupée à ras mais des mèches noires retombaient sur ses tempes. Ses yeux marron étaient empreints d'une certaine douceur et cette observation contrastait avec le fait qu'il venait de la kidnapper. Cet homme... n'avait rien d'un bandit, et la brune se convainquit qu'elle n'avait rien à perdre en essayant de l’amadouer. Il lui fallait être plus persuasive.

La jeune femme se mit à genoux sur le matelas et tenta de se lever en s'appuyant sur ses mains.

« Qu'est-ce que tu fais ? demanda Kalevi, un soupçon de panique dans la voix.
— Je me casse, ça commence à me saouler votre enlèvement.
— Tu ne peux pas partir ! s’exhorta-il en sortant de sa chaise.
— Ha ouais ? Je parie que tu es incapable de m'arrêter, le défia-t-elle en se levant.
— Je ne suis pas seul, Veikko n'hésitera pas, lui. »

La corde mordit ses chevilles lorsqu'elle effectua les quelques pas qui la séparaient de son geôlier. Postée devant lui, malgré une dizaine de centimètres en moins, elle lui renvoya un sourire narquois, rebelle.

« Ha bon ? Il est où ? Je ne le vois pas... dit-elle en scrutant la pièce. Je pense, en fait, qu'on est seul, ici... Toi et moi... Rien qu'à deux... » Susurra-t-elle les derniers mots.

Ses yeux fixèrent intensément Kalevi. Hedony remarqua le feu qui lui montait aux joues, ses mains fébriles et tremblantes, la manière dont il s'humecta les lèvres pour se redonner contenance. Mais il perdait pied. La situation lui échappait, il le savait. Elle le savait. Son regard descendit le long de son torse ; il chercha quelque chose dans les poches de son jean. En voyant ses doigts s’agiter, Hedony eut un flash. Comme une impression de déjà-vu, elle se voyait lui serrer la main... et le remercier avec une voix d'homme.

Étrangement, elle éprouva un certain soulagement. Une voix dans sa tête semblait lui chuchoter le bienfait de cette rencontre. Que celle-ci n'était pas le fruit du hasard et qu'il fallait lui faire confiance, mais la brune balaya ce sentiment contradictoire. Elle devait sortir de cette pièce, au plus vite. Elle étouffait, son instinct lui criait de se sauver.

Du calme, Hedo, dans une situation comme celle-ci, il faut prendre son temps et examiner chaque détail... se persuada-t-elle.

Kalevi retrouva une fiole dans son pantalon. Il l'amena à ses lèvres et but son contenu avec avidité, espérant attraper jusqu'à la dernière goutte, au vu de son acharnement à lécher le goulot.

Tremblements, confusion, anxiété... et un besoin irrépressible de boire ? Serait-il alcoolique ?

« Serais-tu en manque ? » s'étonna Hedony.

L’homme laissa tomber le récipient et déglutit. Son visage pâlit à vue d’œil. Il recula sa chaise, comme pris d’une frayeur soudaine face à la brune.

« Non, je… »

Il perd ses moyens, remarqua la jeune femme. Une lueur d’amusement brilla dans ses yeux aventurine, piquée par cette situation inattendue. Cela l’amusait de le voir se décomposer ainsi devant elle.

« Quelque chose ne va pas ? »

Les rôles semblaient s’être inversés. De proie, elle était devenue prédatrice. Un jeu qu’elle adorait jouer… Charmer, troubler, rassurer, tour à tour. Acculer les hommes dans son filet et le refermer sur eux, sans les affoler.
Hedony rétrécit la distance qui les séparait. Ses mains liées frôlant la veste de son geôlier dont le visage virait de nouveau au rouge.

« On pourrait trouver un arrangement… Qu’en dis-tu ? » Chuchota Hedony, lascive.

Kalevi n'osa ni la quitter du regard, ni bouger le petit doigt.

« Tu m’aides à sortir… en échange, articula-t-elle lentement pour laisser planer le mystère, je suis prête à accepter une de tes requêtes…Qu’elle quelle soit. »

Elle se mordit la lèvre inférieure. Kalevi acquiesça péniblement, les mains encore tremblotantes. Mais elle ne vit pas venir le coup qu’elle reçut derrière la tête et qui l’assomma une seconde fois.

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