9. L'offensive
Jalmani et Adhara, après quelques minutes de repérage, étaient sortis du premier bâtiment bredouilles. Susceptible, l'ange déchu avait bougonné à son équipier de prévenir leurs collègues, mais n'attendit pas que celui-ci termine son appel radio pour se faufiler dans le deuxième entrepôt.
Flingue en main, il longea les murs, les sens en alerte. Les couloirs ici étaient plus sombres et lugubres. Le clapotis d'une fuite d'eau résonnait à intervalles régulier. Le silence ténu laissait à penser que cet ancien dépot était vide, mais Adhara n'était pas dupe.
« Je vais vérifier le couloir de gauche, et toi de droite, ça va ? » proposa-t-il à Jalmani lorsqu'il l'eut rattrapé.
Le Finlandais acquiesça et ils se séparèrent , chacun dans une direction opposée.
T'as intérêt à prolonger mes vacances après cette mission, Connor, rumina Adhara en trottinant dans le corridor interminable.
Il stoppa course furtive à un nouvel embranchement. Adhara retint sa respiration pour écouter le calme ambiant, à la recherche d'un bruit capable de trahir une présence. Au lieu de cela, l'écho d'une démarche hâtive l'informa du retour de Jalmani.
« C'était une impasse, la porte est fermée là-bas », chuchota-t-il.
L'Anahera hocha la tête et ils continuèrent ensemble. Ils arpentèrent deux allées consécutives avant d'enfin entendre le murmure d'une conversation à quelques mètres d'eux. Les deux coéquipiers se regardèrent mutuellement, l'oreille tendue. Ils écoutèrent la dispute, tout en se rapprochant en tapinois.
Jalmani fit un signe de la main.
« Ils sont trois ? » articula-t-il sans émettre de son.
Adhara lui fit signe d'être silencieux. Il se concentra quelques secondes, tenta un regard à la dérobade vers la pièce où devaient se tenir les malfrats, puis montra quatre doigts à Jalmani qui acquiesça.
« Moi, moi, moi ! Il y en a jamais que pour toi ! Tu te prends pour le nombril du monde ? » aboya une voix d'homme en finlandais.
Sans comprendre ce qui se disait, l'ange déchus sentit qu'il était temps d'agir, avant qu'il ne soit peut-être trop tard. Il inspira profondément et retira le cran de sécurité de son arme. Le policier à ses côtés fit de même et d'un commun accord, ils passèrent le chambranle de la porte.
« Les mains en l'air ! Tout le monde les mains en l'air ! rugit Adhara en anglais.
— Que plus personne ne bouge ! » prévint ensuite le policier dans sa langue natale.
Les deux hommes braquèrent leurs armes sur les criminels. Un mouvement sur la gauche retint l'attention de l'Anahera. Sans réfléchir, il pointa son Browning sur Kalevi et lui tira dessus pour le mettre hors d'état de nuire. Son corps chuta dans un choc sourd, à la seconde même où la balle le percuta.
« Kalev... cria une voix de femme qui n'eut pas le temps de terminer sa phrase.
— J'ai dit : tout le monde les mains en l'air, que plus personne ne bouge ne serait-ce que le petit doigt ! » avertit l'ange déchu.
Kalevi, le corps allongé au sol, fixait le plafond en haletant. Son regard vitreux était pareil à celui d'un poisson hors de l'eau. Adhara contemplait la tache rouge sur son ventre s'agrandir, son pistolet encore braqué sur lui, quand son équipier l'appela.
« A... Adhara ? »
Ce dernier tourna la tête pour observer la scène : Veikko avait eu le temps de dégainer son arme et de prendre Hedony comme un bouclier devant lui. Le canon de son pistolet était d'ailleurs posé contre la tempe de la jeune femme en une ultime menace. Jacob se tenait non loin, les mains levées en signe de reddition. Pendant un instant, le temps se figea. Chacun retint son souffle. Mais Adhara, sans pouvoir s'en empêcher, n'eut de yeux que pour reluquer la brunette. Son regard suivit la courbe de ses jambes fuselées et des tatouages qui recouvraient la blancheur de sa peau, puis remonta sur son tee-shirt délavé des Rolling pour finir par se noyer dans l’aventurine de ses yeux.
« Oh putain… »
Il fut comme coupé du monde, obnubilé par sa beauté transcendante. Des envies primitives brouillèrent son esprit. Il dut se forcer à détourner le regard pour reposer son attention sur son ravisseur en déglutissant.
Reste concentré, mon gars.
Où en était-il ? Adhara ne s'en souvenait plus, il semblait avoir perdu le fil de l'action, se remettant avec peine du spectacle de la demoiselle en détresse qu'affichait la jeune femme. Et quelle jeune femme...
Merde ! Putain de succube !
Adhara releva son arme vers Veikko, tentant d'ignorer le visage qui cachait son sourire narquois.
« Lâche-moi, espèce de bâtard », pesta Hedony dans les bras de Veikko.
Le malfrat ressera sa prise tout en fixant les deux intrus d'un air mauvais.
« On veut juste récupérer la fille, expliqua l'ange déchu. Je sais que tu ne vas pas la buter. »
L’arme de Veikko émit un cliquetis pour le contredire et Hedony ferma les yeux pour garder son sang-froid.
« Tu as tout faux, lui signala le kidnappeur. Je m'en ferai une joie.
— Laisse-la, Veikko. Je ne veux pas plus d’effusion de sang... Pas besoin de blessé supplémentaire », lui intima Jacob du tac au tac.
Une ombre de colère passa dans le regard de Veikko.
« Il a raison, continua Adhara. Votre ami est encore en vie... Mais s'il ne reçoit pas rapidement des soins, ça risque de mal finir pour lui. »
Et comme pour abonder dans ses propos, le blessé émit un gémissement depuis le coin de la pièce. Le visage de Veikko se crispa.
« Si tu baisses ton arme, on pourra régler ça au plus vite. Mon collègue pourra directement appeler une ambulance et d'ici quoi ? Dix ou quinze minutes, l'ambulance sera là... tout ça ne tient qu'à toi. »
Adhara tenait fermement son arme dans les deux mains, toujours braquée en direction du plus menaçant de la bande. Il était cependant en mauvaise position. Taïna avait bien précisé qu'ils devaient récupérer la fille vivante... Et Veikko ne semblait pas vouloir bouger le petit doigt.
Les deux hommes restaient là, à se jauger interminablement.
« Ma patience a des limites, s'exaspéra l'Anahera. Si dans trois secondes t’as pas déposé ton flingue, je tire. Un… »
La seconde s'étira longuement, Veikko restait toujours implacide.
« Deux...
— Qu'est-ce que tu attends, souffla Hedony à son ravisseur. Vous aviez besoin de moi ou pas ? »
Agacé, le Finlandais tira sur les cheveux de la brune, lui tirant un geignement. Adhara grimaça et raffermit sa prise sur son arme, prêt à tirer.
« Veikko, ça suffit ! Jette ton arme, tout de suite ! » s'énerva Jacob.
L'injonction du quinquagénaire constituait peut-être leur dernière chance pour désarmer le kidnappeur sans nouveau coup de feu. Ce dernier lança un regard noir à son doyen. Adhara s'apprêtait à le viser quand, enfin, il repoussa la fille devant lui, la faisant tomber à genoux.
« Lâche ton arme et fais la glisser vers nous », l'enjoignit l'Anahera.
Il s'exécuta pendant qu'Hedony se relevait. D’un signe de tête, sans cesser de diriger son Browning vers son ennemi, Adhara invita Hedony à passer derrière lui ou son coéquipier. Elle hésita, puis se retourna lentement vers Veikko qui avait levé les mains.
« T’aurais jamais dû faire ça ! » lui fit-elle remarquer.
La jeune femme lui décocha un grand coup de pied à l’entrejambe. L’homme s’arcbouta de douleur, le souffle coupé. Adhara grimaça pour lui et s’avança pour éloigner son flingue d’un coup de pied tandis que Hedony restait imperturbable.
Si un jour je dois la recroiser, surtout ne pas oublier de ne jamais la mettre en colère, se convainquit l'Anahera.
« C’est fini maintenant », la rassura Jalmani, s'imaginant qu'elle viendrait près d'eux.
Au lieu de cela, Hedony s'approcha du blessé. Il était assis contre le mur, semi-conscient, barbotant dans une mare de sang. Elle s'accroupit devant lui, passant une main sur son bras.
« Kalevi, ça va ? demanda-t-elle. Kalevi, tu m'entends ? »
Elle se tourna vers ses sauveurs, le regard inquiet.
« Est-ce qu'il va s'en sortir ?
— Venez avec moi, on retourne à la voiture, proposa Jalmani. On appelera une ambulance. »
Jalmani l'invita d'un geste à le suivre. Elle acquiesça et prit sa main. Ensemble, ils quittèrent la pièce, pendant qu'Adhara tenait encore les deux hommes en joue.
« Elle reviendra, affirma Jacob. Un jour ou l’autre.
— Je m'en fou de ça, je devais juste la récupérer saine et sauve.
— Vous travaillez pour Connor, n'est-ce pas ? » demanda Jacob de but en blanc.
Adhara resta silencieux, tous ses sens étaient encore en alerte, prêt à tirer au moindre mouvement suspect.
« Je m’en doutais… Il la gardait déjà à l'oeil.
— Il faut savoir une chose sur lui. Connor sait tout. Rien ne lui échappe », répondit l'Anahera.
Le jeune homme n'en doutait point. Il ne savait comment l'expliquer, mais il était persuadé que son patron avait un sixième sens. Il fallait bien ça, pour le directeur des services secrets magiques. Surtout si on voulait préserver l'ignorance des humains, concernant la présence des êtres surnaturels parmi eux.
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