Pseudo : Franklin Titre: On a une ville à brûler
Ta réalité n'est plus qu'un immense brasier. Les cendres se mêlent à tes idéaux partis en fumée depuis l'instant où tu as allumé cette torche. Putain, si tu avais su en t'engageant sur cette voie que tu aurais à faire un truc pareil ! Jamais tu l'aurais fait, pas vrai ? Pas vrai ? Dis-moi que c'est pas vrai...
Mais il est trop tard désormais. Trop tard pour reculer, trop tard pour se défiler. Tu l'as fait. Tu en es responsable. Tu aimerais que tout ne soit qu'un cauchemar, que les cris se taisent. Mais si les enfants crient, si leurs mères hurlent en tentant vainement de les protéger, c'est à cause de toi, rappelle-toi. N'essaie pas de rejeter la faute sur quelqu'un d'autre. Même si tu essayes de te convaincre que ce n'était pas ce que tu voulais, au fond de toi, tu sais que tu n'étais pas obligé de le faire. Tu n'es qu'un pauvre connard. Un pauvre connard sans cœur, un monstre. Tous ceux qui t'aperçoivent à travers leur voile de souffrance et de flammes te le disent : tu n'es pas humain.
La bouche sèche, tu lèves les yeux vers le ciel obscurci. Va-t-il pleuvoir ? Non, ne compte pas sur la pluie pour éteindre l'incendie, ni même pour te maquiller ; tout le monde sait que tu ne pleureras pas. Et pourtant, tu aimerais bien pleurer, là, maintenant. Tu viens de te réveiller, de réaliser que tu as mis le feu à ta ville, et que la chair que tu sens brûler à quelques mètres de toi est celle de tes frères, de tes sœurs, de toute ton enfance.
Pourquoi t'as foutu le feu, d'abord ? Pour... Tu vois, tu n'as même pas de réponse. Tu sais que tu n'avais aucune raison de le faire. Tu as obéi aux ordres, c'est tout. Tu t'es engagé sur cette voie, tu n'avais pas le droit de dévier et de la quitter. Trahir ton ordre signifiait la mort. Et tu as peur de la mort. Un connard doublé d'un lâche, voyez-vous ça. Magnifique, franchement. Et lorsque les flammes se seront éteintes, lorsqu'il n'y aura plus rien à brûler dans ta ville, lorsqu'on t'enverra t'assurer qu'il n'y a aucun survivant, que feras-tu ? Bien sûr, tu iras sans moufter. Car tu es un lâche. Tu avais le choix en plus, tu avais le choix ! Et ne viens pas nier, tu sais que c'est vrai. On a toujours le choix, seuls les faibles diront le contraire.
Soudain, tu fais un pas en avant, puis un deuxième. Tu t'avances vers la cité purifiée par le feu. Tu ne sais pas pourquoi, mais elle t'attire. Tu veux t'approcher le plus près possible, sentir la chaleur sur ta peau, inhaler les fumées enivrantes, ne faire plus qu'un avec ton foyer. Une flamme nouvelle s'est allumée, non plus celle de ta torche, mais une à l'intérieur. À l'intérieur de toi, ça pique, ça brûle, ça te dévore. Mais plus tu avances, plus la flamme grandit, elle se nourrit de tes remords.
Alors que tu n'es plus qu'à quelques pas de la porte de la ville, tu te figes. Un cri a retenu ton attention, non plus venant de l'intérieur des remparts, mais de derrière toi. Les habitants auraient-ils réussi à fuir leurs maisons ? Immobile, tu attends qu'ils te tuent. Après tout, tu l'as mérité, ils te connaissent depuis que tu es tout petit, ils savent que tu es l'un d'eux et que tu les as trahis. Ils savent. Ils veulent se venger. Et c'est normal. Tu n'es qu'un connard doublé d'un lâche. Mais rien ne vient. La mort ne veut pas de toi ; pourtant, tu te prends à souhaiter qu'elle vienne là, maintenant, pour t'arracher à cette culpabilité qui t'envahit et ronge peu à peu ton cœur. Mais que dis-je, tu n'as pas de cœur. Tu es un monstre. La voix retentit de nouveau, mais tu ne l'entends pas. Tu ne veux plus l'entendre, les cris de tes frères et sœurs te hantent encore, ils résonnent encore dans la cité, noyés dans le ronflement de l'enfer qui se déchaîne. Cela fait trop mal de les entendre, alors tu les ignores. Car tu es un lâche. C'est plus facile d'ignorer ce qui fait mal plutôt que de se retourner et de l'affronter. Tu refais un pas vers le brasier. Tu sens la chaleur te caresser le visage et à cet instant précis, tu oublies qui tu es et ce que tu as fait. Cette sensation est agréable ; tu recommences.
Une main se pose sur ton épaule. Ta mère faisait souvent cela lorsque tu étais enfant, il n'y a pas si longtemps que cela, lorsque tu t'approchais trop près de l'âtre, chez toi. Mais ça ne peut pas être elle, puisqu'elle est dans la ville. Ton père aussi. Tes frères, tes sœurs aussi. Tous. Ils disparaîtront tous, si ce n'est pas déjà fait. Tu ne réagis pas lorsque cette main te secoue violemment. Hypnotisé, tu avances comme un automate vers les flammes.
"Soldat ! Ressaisis-toi, bordel !"
La voix. Cette fois-ci, tu ne parviens pas à ne pas l'entendre. Elle te ramène brutalement à ta réalité de braises, à tes idéaux partis en fumée. Tu n'aurais jamais dû faire ça. Tu ne voulais pas faire ça. Un peu tard pour t'en rendre compte. Mais tu l'as fait. Tu ne pourras jamais l'effacer, ce qui est écrit est écrit. Tu réalises la portée de ton geste, que tu as commis l'irréparable. Que tu es un connard. Tu veux rejoindre ceux que tu as tués. Tu te dis que ça pourra effacer ta faute. Idiot, ça ne l'effacera jamais. Si tu penses que te suicider après avoir anéanti les vies de plus d'un millier de personnes les consolera d'avoir tout perdu, tu te fourres le doigt dans l'œil ! Ton hypocrisie est écœurante, j'espère que tu t'en rends compte. C'est ça, jette-toi dans le feu, crève ! Tu n'es qu'un lâche qui fuis ses responsabilités. Tu ne veux pas vivre avec ce fardeau, et c'est plus simple de mourir pour ne pas avoir à le faire. C'est dégueulasse. Réveille-toi ! Ressaisis-toi, bordel ! Si tu as des couilles, vis et achève ce que tu as commencé ! Si tu regrettes ton geste, si tu veux rendre hommage à tes victimes, vis et bats-toi pour qu'elles ne soient pas oubliées ! Putain de meurtrier. Tu hésites. D'un côté, mourir et ne pas avoir à porter ce fardeau ; de l'autre, vivre et risquer de te faire tuer par vengeance, et surtout, vivre en sachant que tu as causé la perte des tiens. Les deux te font peur. Car en réalité, tu as peur de la mort. Fais vite, le choix te revient. Mais sache que quoi que tu fasses, je serai toujours là pour te titiller, pour te rappeler ce que tu es : un meurtrier, un fratricide. Tu ne te débarrasseras jamais de moi. Car je suis toi et tu es moi.
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