Pseudo : Kfé serré Titre : le crime parfait
Le meurtre est un crime. Le crime parfait est un art.
Comme tout art, il faut le perfectionner. Essayer, encore et encore, jusqu’à atteindre la perfection : se débarrasser de la personne sans attirer les soupçons sur soi. Un vrai numéro de magicien !
Par chance, j’ai la magie dans le sang. Elle suinte de mes doigts comme la sueur sur la peau un jour de grande chaleur. Enfant, déjà, je ne manquais aucun numéro de Garcimore, mon maître à penser, l’œil rivé à mon téléviseur, affalé sur le canapé bon marché de mes parents. Son rire benêt m’hypnotisait à chaque fois ; c’était là tout son génie : paraître idiot pour mieux faire ressortir le génie de ses tours.
Quel rapport avec mon projet ? Aucun, c’était juste pour appuyer le fait que la magie et moi, Ça a toujours été une grande histoire d’amour. Hélas, on ne peut en dire autant de la relation que j’entretiens avec ma femme, Clémentine. Si son prénom évoque la douceur du fruit, la réalité est bien différente. Notre vie à deux me laisse un sale goût dans la bouche.
Cette Harpie aura ma peau, si je n’agis pas le premier. Je me demande même si cela ne fait pas partie de son plan, de me tuer à l’usure… Depuis dix ans, je la supporte sans broncher, acceptant tous ses caprices, ses sautes d’humeur et sa méchanceté gratuite. Je me demande comment j’ai pu tomber un jour sous son charme… Cette vipère m’a sûrement jeté un sort. C’est la seule explication possible ! Ça et son physique à damner un saint, peut-être… Je me souviens la première fois où je l’ai vu : ses courbes appétissantes alors qu’elle traversait le parking du supermarché ont éveillé en moi des images que la morale réprouve. Plus tard, nous nous sommes recroisés au rayons fruits et légumes, devant le bac des clémentines… Un signe du destin ! Dix ans plus tard, je m’apprête à en finir une bonne fois pour toutes.
Malheureusement, du fait de la nature de mon « numéro », je suis un artiste destiné à rester dans l’ombre. C’est le revers de la médaille lorsqu’on vise le crime parfait : assassiner quelqu’un au nez et à la barbe de tous vous refuse toute la gloire qu’un tel exploit devrait engendrer. Pour me consoler, je me dis que ma liberté vaut bien ce sacrifice.
Comme dit plus haut, le meurtre parfait exige, avant de se lancer, de se perfectionner. Après tout, on n’a pas droit à l’erreur et c’est tout le paradoxe de l’acte : on ne peut pas se lancer sans préparation, mais on ne peut tuer la personne qu’une fois. Pas de seconde chance. Alors j’ai fait des simulations (mentales, ça coûte moins cher). Par chance, mon imagination est débordante. Je ne manque pas d’idées. De la plus simple : de la mort au rat dans le repas de Clémentine (Bon, aucune chance de ne pas attirer l’attention sur moi avec une mort aussi grossière, mais rien que pour le film dans ma tête, ça valait le coup d’y penser !), à la plus complexe : faire tuer Clémentine par une tierce personne qui n’a aucune idée que c’est moi qui tire les ficelles (oui, ça travaille dur dans ma caboche !).
Pour tout dire, j’ai trouvé le plan idéal au supermarché (encore lui) alors que je jouais les esclaves pour ma femme au rayon des viandes, cette fois (ras le bol des fruits et légumes, j’ai déjà donné). Mais je ne dévoilerai rien de ma stratégie. Après tout, un magicien ne dévoile jamais ses secrets, non ?
Tout ce que je peux dire, c’est que ça aura lieu ce soir et que je serai loin à ce moment là (alibi, tout ça…).
Tandis que je sirote le café que ma maudite femme vient de me servir, je jubile intérieurement. Je m’imagine déjà libre, n’ayant plus à me soucier de Clémentine. Demain, une nouvelle vie commence pour moi !
De l’autre côté de la table, Clémentine me fixe avec un étrange sourire. Ça ne lui ressemble pas. Elle tire la gueule à longueur de journée. À chaque gorgée que je bois, son sourire s’agrandit. Je n’aime pas ça. Il y a anguille sous roche. J’ai un sale goût dans la bouche, mais au sens littéral à présent.
Ce café n’est pas comme d’habitude. Il est dégueulasse comme toujours, mais il a une saveur différente… Plus mortelle ?
Bon sang, la garce a empoisonné ma tasse !
Lorsque je comprends ce qui est en train de se passer, il est trop tard. Je suffoque, essaye de recracher le breuvage, mais Clémentine n’y est pas allée avec le dos de la cuillère. Le poison se répand rapidement en moi. D’ici quelques secondes, je serai mort, étendu sur la table de la cuisine. Quatre-vingts kilos de viande, même plus comestible…
Ma sournoise de femme m’a coiffé au poteau, sans faire preuve d’une once de subtilité. Elle n’a jamais eu beaucoup d’imagination (à part au lit, je ne peux le nier). J’aurais dû m’y attendre, la mort au rat était ce que je pouvais attendre de mieux de sa part.
Le meurtre est un crime. Le crime parfait est un art.
Clémentine n’a rien d’une artiste, mais elle aura réussi une dernière fois à me pourrir la vie.
Au moins, j’aurai la paix maintenant.
Il y a toujours quelque chose de positif à retirer en toute situation, même si mon plan génial pour me débarrasser de Clémentine meurt avec moi.
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