Il y a soixante-dix-neuf ans . . .
Le lendemain, je profite de la pause déjeuner pour me rendre à la bibliothèque. Je m'installe devant l'un des ordinateurs et l'allume. Ensuite, je vais sur Internet et tape dans la barre de recherche le nom de l'école. Je clique sur le premier lien et parcourt rapidement la page qui s'affiche des yeux, jusqu'à tomber sur le paragraphe qui m'intéresse :
"L'établissement fut bâti au début du siècle dernier, avant d'être détruit par un bombardement en 1943. Il fut reconstuit à la fin de la guerre et acueille aujourd'hui encore, comme il le faisait autrefois, les enfants entre six et onze ans pour leur dispenser l'enseignement primaire."
Voilà qui est intéressant . . . Ce bâtiment a subi un bombardement l'année même de la mort de Mizuki. Il est fort probable qu'elle soit l'une de ses victimes. En fait, j'en suis même sûre et certaine, mais je dois avoir sa confirmation pour valider cette information. Seulement, je ne sais pas comment, ni où la trouver exactement.
Je pousse un soupir. Mon regard se pose sur l'horloge fixée au mur. Il faut que je me dépêche de manger mon repas avant que la pause ne prenne fin.
Je sors mon bento, une boîte à compartiments destinée à contenir de la nourriture, et l'ouvre pour en avaler le contenu. Les bruits de ma mastiquation troublent le silence de la salle. J'aurai pu prendre mon déjeuner dans le réfectoire, mais je préfère le calme de la bibliothèque au vacarme incessant de mes camarades.
J'entends bientôt une douce voix m'interpeller :
- Salut ! Je suis ravie de constater que tu es bel et bien revenue !
Je tourne la tête pour voir Mizuki. Son visage arbore un grand sourire. Je lui réponds calmement :
- Je n'ai qu'une parole.
- C'est ce que je vois. Cela me fait vraiment plaisir.
- Tant mieux.
Mon regard se pose sur l'écran de l'ordinateur où s'affiche toujours la page concernant l'histoire de l'école. La jeune fille le remarque aussi et me demande :
- Tiens, tu fais des recherches sur l'établissement. Pourquoi ?
- Et bien . . . Je me demandais dans quelles circonstances est-ce que tu es morte . . .
- Et tu as trouvé une réponse à ta question ?
- Il semblerait que l'école ait été détruite par un bombardement en 1943. Si je ne me trompe pas, c'est en cette même année que tu es décédée.
- C'est exact.
- Alors . . . Tu es l'une des victimes de cette attaque ?
- Oui, mais je ne l'ai pas compris tout de suite, parce que tout s'est passé si vite que je n'ai même pas eu le temps de comprendre ce qui m'arrivait.
- Est-ce que tu peux me raconter ce qui s'est passé, exactement ? dis-je sur un ton un peu hésitant, consciente que c'est peut-être un sujet délicat.
Cependant, la question ne semble pas la gêner, car elle déclare avec un petit sourire :
- D'accord. Je veux bien te raconter ce qui s'est passé pour te remercier de ta gentillesse à mon égard.
- Je n'ai pas été spécialement gentille . . . rétorqué-je.
- Bien sûr que si ! Tu es la seule à ne pas m'avoir fui et à t'être inquiétée à mon sujet en m'entendant pleurer, sans compter le fait que tu acceptes ma compagnie. Si ce n'est pas de la gentillesse . . .
- Arrête, je l'aurai fait avec n'importe qui d'autre. Tu n'as pas droit à un traitement de faveur si c'est ce que tu crois.
- Justement, merci de me traiter comme n'importe quelle autre personne.
- Il n'y a pas de quoi . . .
- Bon, tu veux l'entendre, cette histoire ou pas ?
- Bien sûr, sans quoi je ne t'aurai pas demandé de me la raconter.
- Bon, c'était il y a soixante-dix-neuf ans. Nous étions en 1943, en pleine guerre. Les bombardements étaient monnaie courante à cette époque, mais comme ils n'avaient encore jamais touché notre région, je n'étais pas spécialement inquiète. Un jour, alors que le soleil se couchait déjà à l'horizon, je suis venue dans cette bibliothèque pour réviser. La plupart de mes camarades étaient déjà rentrés chez eux. J'étais en train de chercher un livre dans les rayons du fond, lorsque j'ai entendu une terrible détonation ! Je me souviens juste d'avoir été éblouie par une puissante lumière et d'avoir ressenti une vague de chaleur envahir mon corps, puis plus rien. Lorsque je me suis réveillée, l'école avait déjà été reconstruite. J'ai essayé de communiquer avec les gens qui m'entouraient, mais tous m'ont aussitôt fuie. Ce n'est que plus tard que j'ai compris que j'avais trouvé la mort dans un bombardement lancé par les américains et que j'étais condamnée à errer dans ce bâtiment, seule et crainte de tous . . . Jusqu'à ce que je te rencontre, ajoute-t-elle en m'adressant un sourire.
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