L'au-delà

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Allongée dans mon lit, je réfléchis à ce que je pourrai faire pour m'assurer que Mizuki ne soit plus jamais seule, même une fois que j'aurai quitté l'école.

Je pourrai la présenter à mes camarades et leur montrer à quel point elle est innofensive. Seulement, je ne peux pas anticiper leur réaction. Ils risquent de s'enfuir en hurlant en la voyant apparaitre devant eux, sans même nous laisser le temps de dire quoi que ce soit.

Je pousse un soupir. L'être humain a tellement peur de l'inconnu et du surnaturel qu'il est la plupart du temps incapable d'aller à la rencontre et à l'écoute de l'autre. Je suis bien contente d'être différente de ceux-là.

Et si je parlais d'elle aux professeurs et au directeur ? Les adultes sont plus raisonnables que les enfants. Hélas, ils sont si rationnels qu'ils ne me croiront sûrement pas. Et quand bien même je demanderai à Mizuki de se montrer à eux pour leur prouver que je ne suis pas folle, je ne sais pas du tout comment ils réagiront. Je ne peux pas prendre le risque qu'ils essayent à tout prix de détruire mon amie pour maintenir la bonne réputation de l'école. Un établissement hanté n'est jamais bien vu . . .

Je ne peux rien espérer des vivants . . . Oh, mais oui ! La voilà, la solution ! Je dois me tourner vers les morts ! C'est pourtant évident : qui d'autre qu'un esprit pour ne pas avoir peur de l'un de ses semblables et l'accueillir à bras ouverts ?

Je dois juste me renseigner un peu plus sur eux . . .

Le lendemain, je profite encore une fois de la pause déjeuner pour aller faire mes recherches sur Internet. Je clique sur le premier lien fourni et commence à lire l'article.

"Les fantômes, appelés yurei dans la culture japonaise, sont les esprits de personnes défuntes qui errent dans le monde des vivants. Normalement, lorsqu'un individu meurt, son âme voyage dans le yominokuni, l'au-delà shintoïste, mais la route pour s'y rendre est loin d'être simple et tout obstacle au cours de ce voyage peut transformer cet esprit en yurei. C'est aussi le cas des personnes décédés d'une mort non naturelle qui n'ont pas résolu leurs problèmes sur terre ou dont la cérémonie n'a pas été bien menée. Ils se retrouvent alors coincés entre la vie et la mort et ne trouveront le repos éternel qu'en résolvant leurs problèmes."

Je n'ai pas besoin d'en lire plus. Je sais ce que je dois faire, maintenant. Il faut que j'aide Mizuki à rejoindre le yominokuni afin qu'elle y trouve le repos éternel en compagnie des autres esprits. Ce n'est que de cette façon qu'elle ne sera plus jamais seule.

Au même moment, j'entends une voix joviale me lancer :

- Salut, Kiyoko !

- Oh ! fis-je en sursautant, surprise. Salut, Mizuki.

- Je t'ai fait peur ? me demande-t-elle, amusée.

- Non, c'est juste que je ne m'attendais pas à ce que tu apparaisses aussi soudainement . . .

- Qu'est-ce que tu fais ?

- Je cherchais un moyen de t'aider et je crois l'avoir trouvé. La seule solution pour que tu ne sois plus jamais seule, même une fois que j'aurai quitté cette école, est de rejoindre le yominokuni . . .

- Non ! s'exclame-t-elle. Je ne veux pas rejoindre le monde des morts !

- Oh, mais pourquoi ?

- Je ne veux pas mourir . . . dit-elle en baissant la tête, tremblante.

- Euh . . . Tu es déjà morte, Mizuki . . .

- Oui, mais je suis encore dans le monde des vivants et je ne veux pas le quitter.

- Et pourquoi cela ?

- Je te l'ai dit : je ne veux pas mourir. Je veux pouvoir continuer à vivre et réaliser tous les rêves que j'ai en tête et le seul moyen d'y parvenir, c'est de rester dans le monde des vivants.

- C'est faux, Mizuki. Regarde-toi : tu es coincée dans ce bâiment, condamnée à errer entre ses murs. Tout le monde te craint et te fuit, te laissant totalement seule, mais si tu rejoins le monde des morts, tu seras accueillie par d'autres esprits, comme toi, qui ne te craigneront pas et t'accepteront telle que tu es. Tu ne seras plus jamais seule.

- Oui, mais . . .

- Pourquoi t'entêtes-tu à rester ici ?

- Je n'ai jamais accepté ma mort, déclare-t-elle, les larmes aux yeux. J'étais si jeune quand cette bombe m'a emportée, j'avais encore de longues années devant moi et des rêves plein la tête ! J'ai refusé de rejoindre le yominokuni, préférant rester sur terre pour avoir la chance de continuer à vivre parmi les humains et d'accomplir mes projets, mais aucun vivant ne m'a jamais accepté, sauf toi et je n'ai jamais pu reprendre ma vie d'avant. Cependant, je ne désespère pas. Grâce à toi, je sais que j'ai encore une chance de me réintégrer à ce monde. Si tu m'as acceptée, il n'y a pas de raison que les autres ne le fassent pas.

- Tu sais bien, au fond de toi, qu'ils ne le feront jamais. Je t'ai acceptée parce que je suis différente d'eux. Je ne dis pas ça pour te décourager de rester ici, je te l'assure ! S'il y avait moyen que tu t'intègres aux vivants, j'aurai tout fait pour que tu y parviennes, mais quand on est réaliste, on se rend compte que c'est malheureusement impossible. Tu le sais, au fond de toi, mais tu te voiles la face par frustration. Il ne faut pas, tu dois accepter la réalité. C'est le seul moyen que tu as de rejoindre le monde des morts et de ne pas finir seule à tout jamais. Tu n'as jamais réussi à rejoindre le yominokuni parce que tu ne le voulais pas. Le seul moyen d'y accéder et de trouver le repos éternel est d'accepter ta mort.

Elle me fixe avec des yeux larmoyants, tremblante de la tête aux pieds. Je la rassure avec un doux sourire :

- Tu ne dois pas avoir peur. La mort n'est pas la fin de tout, mais le début d'une nouvelle vie. C'est un nouveau départ que tu prends. C'est grâce à toi que je l'ai compris.

- C'est vrai, mais je ne sais pas ce qui m'attend de l'autre côté.

- Certes, mais tu ne dois pas avoir peur. Aie confiance en toi et en ce monde. Si tu te bloques juste par peur de l'inconnu, tu n'avanceras jamais. Ne sois pas comme ceux qui t'on rejetée pendant ces soixante-dix-neuf années. Montre à tout le monde que tu vaux mieux que cela.

Son visage s'illumine d'un grand sourire et elle déclare, l'air confiante :

- Oui, tu as raison ! Je peux le faire, je dois le faire ! Je ne dois pas avoir peur de l'inconnu ! Un nouveau départ, une nouvelle vie m'attendent et je vais profiter de ce qu'elle a à m'offrir !

Elle commence à s'effacer lentement. Elle m'adresse un dernier doux sourire, en murmurant :

- Merci, Kiyoko. Merci pour tout ! Sois sûre que je veillerai sur toi de là-haut et que tu resteras toujours ma meilleure amie !

Elle disparait totalement à l'instant où elle finit sa phrase, pour toujours. Je fixe l'endroit où elle se tenait quelques secondes plus tôt. Elle n'y réapparaitra plus jamais. Cette pensée m'attriste, mais je souris. Je suis heureuse d'avoir pu l'aider et de savoir qu'elle ne sera plus jamais seule désormais. Je n'ai plus à m'inquiéter pour elle.

Je marche lentement à travers les couloirs, jusqu'à la cour de récréation et contemple le ciel bleu parsemé de nuages blancs. Est-elle déjà là-haut ? Sûrement, mais quoiqu'il en soit, je sais que je ne serai plus jamais seule, moi non plus, même si je n'ai aucune présence physique à mes côtés car ma meilleure amie veille sur moi, désormais pour toujours.

Et un jour, je la rejoindrai dans l'au-delà, moi aussi et nous resterons ensemble pour l'éternité.

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