Chapitre 3
Août 2025
Aujourd’hui, c’est notre premier rendez-vous. La stratégie est évidente. Côté vestimentaire : classe mais décontracté. Il ne s’agirait pas d’effrayer mon interlocutrice dès la première entrevue. Du parfum dosé avec parcimonie - empesté la fragrance est signe de manque de confiance - et un coup de peigne sur mes courts cheveux déjà grisonnant seront des atouts incontestables pour un semblant de bonne apparence. Mes ridules temporales, mes fossettes creusées et mes plis frontaux trahissent ma jeunesse passée, mais j’aspire encore à pouvoir attirer l'œil de la caste opposée.
Dans le centre-ville, j’arpente les rues chargé d’un présent, certes modeste, mais encombrant et je rumine contre la chaleur d’été. Je suis nerveux. Je n’ai pas l’habitude de ce genre d’entretien. Une vitrine de commerce projette mon reflet. La cravate est de trop, c’est sûr. Je sors du travail et je n’avais pas le temps de faire un détour par la maison avant de récupérer mon chargement. Il n’est donc pas choquant que je sois accoutré de la sorte, tout juste ai-je eu le temps de me rendre plus présentable dans le rétroviseur de la voiture. Un rendez-vous plus tôt était inenvisageable de toute façon et, si j’ai bien compris, le planning de ma future rencontre est surbooké lui aussi.
Que vais-je bien pouvoir raconter ? La réponse est pourtant évidente. Rester spontané, mais pas trop. Je sais très bien jusqu’où peut mener mon apparente décontraction. Lui dire des choses simples, des choses sensées. Mes propres recommandations sont banales et surtout, à mon égard, plus faciles à dire qu’à appliquer.
Je sue. Je me rends compte que ma tenue n’est vraiment pas adaptée ni au rendez-vous ni à la météo généreuse. Je devine des auréoles axillaires narquoises et grandissante sous ma chemise. Ma veste de smoking m’étouffe, pourtant elle est ma grande alliée face au spectacle qui déferle sous mes aisselles. Difficile décision que de choisir de l'enlever ou non. Quant à mes chaussures habillées, elles me font mal. Ce n’est pas nouveau, elles ont toujours été trop petites, alors remonter les rues, chargé comme je le suis, ne fait que renforcer la corne de mes pieds.
Les passants me saluent en silence. Je ne les connais pas, mais ils me sourient pour la plupart avec compassion, mon bagage et moi, comme si c’était l’usage. Ont-il perçu ce qui se trame sous ma veste ? Ma moiteur s’intensifie. Je soupire. Je sens que ce tête-à-tête va être long.
Arrivé au lieu du rendez-vous, je pousse la porte d’entrée et me dirige vers l'hôtesse du comptoir pour signaler ma présence et vérifier ma réservation. Pas d’erreur. Je suis un peu en avance, c’est déjà un bon point. Face à l’accueil, une chaise libre contre le mur offre un répit à mon corps ruisselant. Je dépose mon chargement à mes pieds et je patiente.
La pièce est de taille moyenne et chacun de ses murs est peint d’une couleur vive différente. Du rouge, du bleu, du jaune. C’est original. L’hôtesse répond au téléphone pour prendre des réservations. Autour de moi, d’autres personnes patientent par groupe de deux ou trois. Elles échangent entre elles. Certaines se permettent même d’exprimer leur mécontentement par des geignements.
Des clients partent et d’autres arrivent. J'espère qu’elle n’aura pas trop de retard. Je n’ai jamais su au bout de combien de temps il est inutile de jouer les prolongations dans l’illusion de penser qu’on ne s’est pas pris un lapin.
Je suis donc sur mes gardes et scrute tout profil féminin qui pourrait s’avérer être ma future protagoniste. Soudain, pénètre par la porte d’entrée une représentante de la gent féminine. Elle semble avoir mon âge. À peu près. L’hôtesse confirme qu’elle a bien rendez-vous. Tout comme moi, un bagage l’accompagne, qu’elle dépose au sol en s’asseyant non loin de moi. Je la fixe. Elle le sent et ose un coup d'œil dans ma direction. Son intérêt se porte rapidement à mes pieds puis elle me laisse un sourire avant de se détourner, elle aussi, comme les autres. Raté, ce n’est pas elle. C’était sûr de toute façon. Mais qu’ont-ils tous avec leurs sourires compassionnels ? Je suis assez perturbé comme ça. Si la pitié est le premier sentiment que je réfléchis je ne donne pas cher de ma peau. Vu son attitude, il me vient même à penser que l’odeur de mes orteils, malgré chaussettes et chaussures, n’ont rien à envier à mes aisselles. Je prends une nouvelle suée. Je m’étais bien dit que la cravate et les mocassins étaient de trop en plein mois d'août.
Puis, surgit de la porte blanche du fond de la pièce une autre femme. Elle est de taille moyenne, porte des lunettes et ses cheveux bruns ont été travaillés en une forme de chignon sommaire. Elle est belle, je crois. Son chemisier vert et son pantalon taille haute couleur noir la mettent en valeur.
Elle regarde autour d’elle, scrute l’assemblée silencieuse et s’arrête sur moi et mon équipement.
- M. Sol ?
Je la regarde, ébahi. C’est donc bien elle, et elle ne m’a pas posé un lapin. Ne jouons pas trop les fanfarons, il est encore tant pour elle de me renvoyer dans mes quartiers, elle n’a pas encore eu l’honneur de jouir de ma senteur exsudative.
- M. Sol, répète-t-elle en me regardant.
Quelle clairvoyance, elle sait déjà qui je suis. Peut-être est-elle allée regarder mon profil sur un réseau social. Qu’importe, je crois qu’il est temps de sortir de ma torpeur et de réagir avec assurance. C’est avec moi qu’elle a rendez-vous et personne d’autre alors roulons des mécaniques.
Je me lève, j’attrape le siège coque à mes pieds et m’avance. Je lui rends la main qu’elle me tend.
- C’est bien pour Elïo n’est-ce pas ?
- Oui tout à fait Docteur, excusez mon étourderie la journée a été longue.
Elle m’invite à l’intérieur où je pénètre avec mon fils, puis elle referme derrière nous la porte du cabinet.
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