Chapitre 6
Août 2025
Julie s'est endormie. Elle est recroquevillée sur le côté et mon corps épouse le sien. Malgré la chaleur d’été, je ne peux m’empêcher de me coller contre elle au premier instant de sommeil. Ce simple contact me rassure.
La journée défile dans mes pensées tout comme ma discussion avec Julie. Je souhaite à tout le monde d’avoir une personne comme elle dans leur vie.
Je me retourne de l’autre côté du lit. Face à moi, le babyphone. Il est silencieux. Elïo semble dormir paisiblement. Il ne fait pas encore ses nuits, mais ne se réveille qu'une fois en général. Notre petit trésor, produit d'une chance inespérée.
Avec Julie, nous avions essayé plus de deux ans pour avoir un enfant avant de nous orienter vers la procréation médicalement assistée. Chacun de notre côté, nous avions fait les tests de fertilité en amont. Nous nous sommes bien trouvés puisque, d’après les résultats, tous les deux, nous disposons d’une tare. Si j’ai bien compris, la glaire cervicale de Julie, qui se trouve au niveau du col utérin, serait insuffisante et peu propice au passage des spermatozoïdes. Concernant ces derniers, il n’est pas surprenant qu’ils soient quelque peu déviants eux aussi, puisqu’ils sont le produit de mon métabolisme génital. Asthénospermie. Non je n’ai pas éternué, c’est le terme médical de l’affection qui touche mes gamètes. Elles manqueraient de mobilité et auraient des difficultés à se mouvoir. Moi j’ai surtout retenu qu’elles étaient feignantes. Combinez ces deux anomalies et vous obtiendrez la déception d’un couple qui souhaite procréer.
La PMA nous avait pourtant donné de l’espoir. La fécondation in vitro plus particulièrement qui aurait dû pallier nos deux insuffisances organiques. La science n’a pourtant pas eu raison de notre incompatibilité. Il a semblé que mes spermatozoïdes n’aient pas la capacité de féconder l’ovule même si noblement présenté. Après quatre tentatives et l’amertume de l’échec au ventre, nous avons renoncé. Nous étions désemparés.
Désirer un enfant n’est pas qu’un simple souhait. Certains diront un besoin, une volonté charnelle, d’autres un instinct. Et l’incapacité d’en concevoir est aussi brutale qu’un handicap soudain. L’injustice nous traverse, la culpabilité et même la perte de confiance. Une distance peut se créer entre les deux membres d’un couple, des questions peuvent être soulevées et dans le pire des cas des reproches formulés. Pour Julie et moi, il n’y a rien eu de tout cela.
Bien sûr, existe-t-il des alternatives à l’infertilité. Nous en avions discuté. Et puis le quotidien avait repris son cours, de contraception il n’était plus question d’en parler et au fond de nous l’infime espoir d’un miracle avait perduré. Le temps avait filé. Jusqu'au jour, il y a à peu près quatorze mois, où Julie a eu des nausées et son cycle s’est allongé. Aucun de nous deux n’avait osé ne serait-ce qu'émettre l’hypothèse qui nous crevait les yeux. Il nous était même impensable d’acheter un test de grossesse tant le déni nous avait pris et surtout la peur d’être de nouveau confronté à un insuccès. Il a fallu une consultation chez le médecin et une prise de sang pour nous confirmer la grossesse de Julie. Un embryon inattendu poussait dans son ventre. Le miracle avait eu lieu.
Je me retourne à nouveau dans le lit face à ma moitié. Je suis bel et bien un homme chanceux. Le destin m’a amené à Julie et le ciel nous a offert un petit. Une larme roule sur mon nez. Il est temps de dormir, me dis-je quand le babyphone se met à geindre. Je me lève et me dirige vers la chambre d’Elïo. À peine ai-je pénétré à l'intérieur que j’aperçois ses grands yeux dorés qui brillent dans l’obscurité.
- Que t’arrive-t-il, mon bébé ?
Évidemment, il ne répond pas. Il ne pleure même pas et me dévisage tout le long de mon avancée vers son lit à barreaux. Même s’il ne semble pas demandeur, je le prends dans mes bras et le cale contre mon épaule. Nous restons immobiles tous deux dans la nuit, lui blotti contre mon thorax et moi debout le regard tourné vers son corps petit.
- Tu voulais faire un câlin à papa, c’est ça ?
Je l’écarte de mon étreinte et m’aperçois qu’il s’est déjà assoupi. En le déposant dans son lit, je lui offre un baiser avant de rejoindre Julie. Tu es un petit garçon mystérieux, Elïo. Mais comme dit maman, un de plus ou un de moins dans la famille, qu’importe.
J’ai parfois l’impression que c’est lui qui m’apaise plus que l’inverse.
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