Chapitre 16
Mai 2030
(Elïo - 5 ans)
- Attend-moi garnement, je ne vais pas aussi vite que toi !
Dans le jardin, Elïo, impatient et rayonnant, zigzague en tous sens en direction du potager, une petite pelle à la main.
- C’est toi le garnement, papi ! répond-il avec amusement.
- Y a pas le feu au lac, elles vont avoir le temps de pousser tes tomates et même plus vite que toi, petite canaille !
Christian précède Elïo d’une bonne dizaine de mètres. Son souffle est court, sa démarche précautionneuse, mais il suit son petit-fils et partage son enthousiasme malgré ses bougonnements. Le potager, dont la surface rectangulaire fait trois mètres sur huit, se trouve derrière le domicile de la famille Sol. La terre a été préparée par les parents d’Elïo le week-end précédent.
- Dépêche-toi papi !
- Maman m'a dit que tu avais un don avec les plantes… mais elle a oublié de me dire que tu étais intenable, halète-t-il.
Un grand sourire s’étire sur le visage d’Elïo, trop heureux de partager ce moment privilégié pour écouter un tant soit peu son grand-père. En ce bel après-midi, avec l’aide de Christian, il va planter des pieds de tomates. Ce n’est pas la première fois qu’il s’adonne à la culture ou à la plantation, mais réaliser cette expérience avec Christian est source pour lui d’une joie immense. L’année dernière, il avait aidé sa maman pour mettre en pot le jeune citronnier qu’elle avait eu pour son anniversaire. Un intérêt sans limite au règne végétal avait éclos et depuis, comme le ferait un enfant avec un doudou, Elïo prend soin au quotidien de l’arbuste en question. Outre l’arrosement et le taillage, il lui est même arrivé de l’écouter, selon ses dires.
- Allez fiston, va chercher les pieds de tomates, ils sont dans le cabanon.
Elïo s’exécute prestement pour assurer sa nouvelle mission et très vite, il revient avec son butin.
- J’ai tout papi !
- Très bien, très bien, on va pouvoir commencer, mets toi à genoux comme moi.
Christian donne les directives, et ensemble ils creusent dans la terre pour accueillir les dix pieds de tomates.
- Prends le seau que j’ai amené et va chercher un peu de compost de tes parents, s'il te plait mon grand.
Elïo repart de plus belle. Christian en profite pour finir de creuser le dernier trou, puis s'essuie le front et redresse la tête à la recherche d’un peu d’air. Sans tarder, le petit garçon revient en portant à deux mains le seau rempli à ras bord, qu’il dépose aux côtés de Christian.
- Tu l’as bien trop rempli. Je t’avais dit un petit peu.
Il regarde une nouvelle fois le contenant prêt à déborder.
- Comment as-tu fait pour le porter ?
Elïo n’écoute plus, il est déjà en train d’installer un plant de tomate dans son lit de terre.
- Attend Elïo, approche. Discutons un peu d’abord, veux-tu ? Sais-tu pourquoi nous plantons les tomates à cette période et ce que sont les Saints de glace ?
Le garçon, tout proche de son grand-père, incline sa tête dans un sens puis dans l’autre avec une attitude guillerette.
- Je ne sais pas ce que c’est les Saint de glace, mais… mais les tomates me l’ont dit que c’était la bonne période.
- Oh les tomates te l’ont dit, répond Christian d'un petit rire moqueur. Si tu sais déjà tout, je n’ai plus rien à t’apprendre.
- Mais si papi, dis moi tout ! s'exclame-t-il en jetant un bras en l’air d'impatience.
- Oh tu veux tout savoir maintenant.
Christian attrape Elïo par les flancs, pour lui chatouiller côtes et aisselles. Ce dernier, hilare, tente de se débattre.
- Arrête papi, s'il te plait, arrête, s’esclaffe-t-il avant que son tortionnaire daigne stopper son attaque.
- Alors écoute moi maintenant, petit chenapan. Pour résumer, les Saints de glace représentent la fin de la période de gel. Et toi qui sais tout, tu dois savoir que le gel est l’ennemi juré de nos amis tomates.
Elïo opine.
- Allez, trêve de bavardage, je vois bien que tu ne tiens pas en place et il est temps de planter nos chères tomates . Tu vas déposer un pied dans chaque trou que tu reboucheras ensuite à moitié par la terre que nous avons retirée et à moitié par le compost que tu as …
- Ok papi !
- Attend encore une minute. Tu es plein de fougue, c’est bien, il faut de l’énergie pour réussir dans notre monde, mais écoute ceci : une petite impatience ruine le plus grand des projets. Alors avant de te précipiter écoute les conseils de ton papi fatigué.
Les lèvres d’Elïo se pincent et ses mains se recroquevillent l’une dans l’autre
- Je t’écoute papi.
- Alors… Pour renforcer la pousse des tomates, nous allons retirer les premières feuilles du bas et enterrer une bonne partie de la tige. Vois-tu tous les petits poils blancs au niveau de la base ? Sous la terre ils se transformeront en une multitude de racines.
Elïo examine le plant tenu dans sa main.
- Dernière chose. Malgré toutes ces futures racines, la tige des tomates reste fragile alors il est nécessaire de soutenir leur croissance par une tuteur que nous allons coupler à chaque plantation.
- Tu en sais des choses papi.
- C’est grâce à mon vieil âge que je sais tout ça, et malgré mes années d'expérience il y a beaucoup de choses que j’ignore. Chaque jour est un puits infini de découvertes pour qui cherche à s’éveiller.
Elïo fixe Christian de ses grands yeux, attentif aux paroles de son grand-père.
- Le peu que je sais, je te l’offre, tout comme mes parents et mes ancêtres avant moi. Il n’y a rien de plus noble que d'enseigner son savoir à son prochain, même la plus infime des connaissances te fera grandir alors sois prêt à apprendre de tout un chacun. Aujourd’hui c’est toi qui hérite de ces quelques connaissances. Retiens-les bien.
Elïo continue d’écouter. Il intègre à jamais ce discours de son grand-père adoré.
- Tu es le meilleur papi !
Christian rit avant de lui répondre avec entrain
- Allez, maintenant c’est parti mon grand !
Grand-père et petit-fils s’affairent pour donner corps entre sol et chlorophylle. L’opération se termine au bout d’une quinzaine de minutes. Alors que Christian fait quelques pas de recul pour jauger leur travail, Elïo, lui, appose sa main quelques secondes à la base de chaque pied de tomates. Paume contre terre, il scrute les végétaux.
- Tu bénis les tomates ?
Le garçon ne répond pas. Christian l’examine avec tendresse. Un impact humide sur son crâne le tire de contemplation affective. Le nez en l’air, il constate quelques gouttes de pluie s'invitant au cadre printanier de ce milieu d’après-midi.
- Dépêche-toi Elïo, rentrons à la maison ou nous finirons trempés, dit Christian en lui tendant un bras.
Le sourire aux lèvres, Elïo se redresse puis se dirige vers son grand-père pour lui attraper la main. À l’instant-même où leurs doigts s’effleurent, un courant fugace traverse Christian. Il ne s’agit pas d’électricité statique. C’est différent. Aussi imperceptible qu’indolore et aussi transfixiant que déroutant.
Le grand-père, qui s’était élancé vers la maison, se tourne vers lui. Elïo le regarde de ses grands yeux. Ils oscillent à plusieurs reprises de bas en haut, puis de haut en bas quand tout à coup Elïo se jette brusquement contre la cuisse de Christian et l’enlace avec fermeté.
- Et bien, et bien, Elïo, que t’arrive-t-il ?
La tête de son petit-fils reste scotchée à sa jambe plusieurs secondes avant qu’Elïo relève le menton pour lui répondre d’une petite voix.
- Je t’aime papi.
C’est soudain et aussi désarçonnant qu’adorable, alors Christian se penche à sa hauteur pour lui répondre d’un rire éclatant.
- Je t’aime aussi mon petit Elïo. Rentrons vite, je suis sûr que ta maman nous a réservé un succulent goûter !!
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