Chapitre 25
Novembre 2034
Elïo est prêt au départ. Ses coudes sont fléchis, son pied d’appui est avancé et n’attend plus qu’à le propulser. À sa gauche et à sa droite se trouvent Louise, Guillaume et Clément, chacun dans un couloir de course différent. Le coup de sifflet retentit et les voilà partis pour une épreuve de rapidité de cinquante mètres.
L’athlétisme est la discipline sportive de ce premier trimestre pour la 6e-2. Outre cette course de rapidité, les élèves vont concourir sur une épreuve d’endurance et de saut en longueur sur les premiers mois de l'année scolaire.
En ce jeudi matin, une mer de nuages gris occupe le ciel et quelques courants aériens viennent fouetter nos sportifs intrépides. Avec le dérèglement solaire, les températures de plus en plus froides de l’automne imposent des tenues adaptées, mais ce matin c’est surtout ce vent acerbe qui perturbe les activités des collégiens. Cache-cou et chaussettes chaudes ne sont pas de trop.
Jean, binôme d’Elïo, se trouve proche de la ligne d’arrivée. Il tient dans sa main un chronomètre. L’innovation a rendu l'objet intelligent puisqu’il s’est déclenché automatiquement à l’audition du coup de sifflet sans aucune intervention de son hôte. Un laser rouge est de plus projeté à son extrémité et lorsque le coureur en lice le franchit le décompte du temps s'interrompt.
Elïo vient de le franchir. Ses performances sont stables. Stables dans leur excellence. Le garçon n’a pas battu son record, pourtant Jean reste une fois de plus étonné en regardant son outil de mesure. Les autres coureurs franchissent à leur tour la ligne d’arrivée quelques secondes plus tard.
- Alors, combien ? demande le fils Sol en s’approchant de son ami.
Jean tourne le chronomètre pour qu’Elïo puisse lire lui-même le résultat. Le souffle de ce dernier est calme malgré l’effort produit.
- Cinq secondes et quatre-vingt-douze centièmes. Bravo Elïo.
- C’est pas mal oui ! À ton tour !
Ils s'échangent le chronomètre et Jean se dirige vers la ligne de départ quand son binôme part à l’opposé. D’autres camarades sont en plein effort sur la piste. Certains sont rapides, mais pas autant qu’Elïo et Jean sait qu’il ne pourra égaler sa célérité même si lui-même est considéré comme un des plus rapides de son équipe de rugby. Un coup de vent glacial vient subitement contracter sa peau dénudée et il se crispe un instant. Cette année encore, l’hiver prochain risque d’être mordant, se dit-il lorsqu'il remarque que la luminosité déjà morose vient à nouveau de baisser en intensité, comme si le soleil se couchait.
- Allez, allez, on se met en place les jeunes ! Ce n’est pas une petite bourrasque qui va arrêter nos graines de champion ! On se donne à fond, ok Emma ? s'écrie une voix d'adulte.
Jean fait partie de la prochaine ligne de concurrents. Ils se préparent pour le prochain départ. Le professeur de sport, monsieur De Rossi, qui vient de les motiver, est bien emmitouflé dans un manteau épais, et prêt à souffler une énième fois dans son sifflet. C’est un homme assez jeune, au teint hâlé, portant une casquette en toute circonstance. Il sait faire preuve d’autorité, tout en encourageant tous ses élèves, quel que soit leur niveau.
Ça y est, le départ est lancé ! Le jeune rugbyman donne tout ce qu’il a, il lance ses bras vers l’avant pour le tracter et la pointe de ses pieds touche tout juste la piste pour le propulser efficacement. La course ne s’éternise pas et il arrive premier parmi les quatre participants.
- Wow, bravo ! Tu as battu ton record ! Sept secondes et quatre-vingt centièmes, s’exclame Elïo.
Jean voudrait célébrer sa performance, mais il n’en a pas le temps, une alarme retentit, celle des incendies. Les élèves de sixième se regardent mutuellement puis jettent un regard en direction du collège. Rien, ils ne voient rien d’anormal et leur professeur apparaît lui aussi désorienté. Il n’a pas été mis au courant d’un potentiel exercice incendie.
Une nouvelle rafale vient claquer le visage de monsieur De Rossi dont la casquette ne résiste pas à la force des vents. Elle s'envole dans les airs et ne semble pas prête à retomber tant elle gagne en altitude. Toute la classe regarde le couvre-chef qui s’éloigne à cent mètres, deux cents mètres, trois cents mètres avant de disparaître derrière le gymnase de sport du collège.
Jean et son binôme se sont rapprochés, le nez maintenu en l’air. Le ciel gris s’est condensé et assombri, mais il ne pleut pas, alors que la clarté lumineuse vient encore de diminuer ; elle est terne, presque jaunie, comme si un voile supplémentaire filtrait les rayons lumineux.
- Il se passe quelque chose, dit Elïo à l’oreille de son camarade.
C’est étrange en effet. Monsieur De Rossi ne veut pas prendre de risque et crie pour rassembler l’ensemble de sa classe de sixième. Il compte l’effectif.
- Tout le monde est là, alors mettez-vous deux par deux et suivez-moi. C’est un exercice incendie.
À peine se dirigent-ils vers les bâtiments scolaires qu’un autre son alternatif secoue les tympans des collégiens. Il s'additionne au lancinement sonore de l’alarme incendie, mais semble provenir de plus loin, de la ville et rappelle au professeur celui des bombardements visualisés dans les documentaires sur la seconde guerre mondiale. Oui, il s’agit bien de la sirène d'alerte aux populations. L'enseignant de sport ne saisit toujours pas.
- Ok, les enfants, ne vous inquiétez pas, mais on va accélérer un peu le pas.
Cette réplique ne fait qu’accentuer les inquiétudes qu’elle voulait apaiser et après une énième rafale de vent glaciale certains élèves croient deviner des flocons qui virevoltent au sein des bourrasques.
La file indienne d'élèves suit d’un pas accéléré leur professeur, ils dépassent le gymnase, contournent les bâtiments des classes d’enseignement pour rejoindre la cour de récréation. Stupeur, pas un seul élève ou professeur en vue. Certains de la classe de 6éme-2, jouent les sereins, mais chez la plupart de ces grands enfants l'angoisse monte d’un cran alors que la force du vent s’accentue.
- On a été les plus rapides, ça ne m’étonne pas ! On est les meilleurs ! se vante Baptise, le coéquipier de Jean du rugby alors que peu de ses camarades parviennent à distinguer ses paroles présomptueuses.
Le frottement des violentes rafales se conjugue désormais aux alarmes déjà assourdissantes. Monsieur De Rossi n’a pas le temps de dire à ces élèves de se ranger devant le point de ralliement qu’il aperçoit au loin un surveillant courant vers eux avec précipitation en agitant les bras. La classe de 6e-2 n’entend ce qu'il leur hurle que lorsqu'il se trouve à proximité.
- Venez vous abriter à l'intérieur ! Dépêchez-vous bon sang !
Sans qu’aucune forme d’explication ne soit énoncée, le groupe d'élèves et leur professeur ne se font pas prier pour se diriger vers le bâtiment A. Monsieur De Rossi attrape son collègue par l’épaule pour pouvoir lui parler dans l’oreille.
- Mais que se passe-t-il Jonathan ?!
- Dépêchez-vous j’vous dit ! Je n’ai pas bien compris ce qu’il se passe, il y a une extinction solaire ou un truc du genre et une tempête se prépare.
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