Chapitre 26
Novembre 2034
Les élèves de la 6e-2 se sont réfugiés dans une salle de classe du rez-de-chaussée du bâtiment A, celui des matières littéraires. Dehors, la grisaille règne un peu plus, les feuilles d'automne tourbillonnent en tous sens et le fond sonore est certes atténué par le double vitrage, mais il continue de tracasser les esprits tant par la sirène incessante que par le sifflement aigu des bourrasques. L’alarme incendie du collège, elle, s’est arrêtée.
M. De Rossi fait les cent pas devant le tableau digital en se rongeant les ongles. Il ne comprend pas. On lui a dit de rester là pour surveiller les enfants, mais hormis une météo déchaînée, il n’a pas eu de franche explication sur ce qu’il se passait réellement. Le Principal doit venir les voir pour clarifier la situation, lui a dit Jonathan le surveillant.
- Monsieur De Rossi ?
Le professeur a failli sursauter. Il se retourne vers la classe. Les élèves sont assis à leur table. Ils ont toujours leur tenue de sport, puisqu’ils ne sont pas repassés par les vestiaires avant de rejoindre le point de ralliement des incendies. Certains sont tournés vers ceux qui se trouvent derrière eux quand d’autres discutent entre les rangs, mais l'atmosphère est calme. S'être abrités à l’intérieur en a rassuré plus d’un.
C’est Zoé, la déléguée, qui a levé le doigt pour interpeller son professeur.
- Qu’est-ce qu’il se passe ?
L’enseignant de sport hésite.
- Il y a une… une petite tempête qui arrive, c’est pour ça qu’on est rentré s'abriter. Monsieur Taupe, le proviseur, ne va pas tarder à venir vous expliquer.
- C’est pas une petite tempête qui va nous faire peur ! ricane une voix au fond de la classe.
- Je souhaite que ce ne soit qu’une petite tempête comme tu le dis Baptiste, mais en attendant d’en savoir plus, pas un seul d'entre vous ne sortira d’ici. Est-ce bien clair ?
Les élèves approuvent en silence.
Les minutes défilent. Un brouhaha de discussion s’installe dans la classe. Il est bientôt midi et pourtant la lumière a été allumée, la luminosité de l'extérieur est crépusculaire.
- Je ne crois pas qu’on va rentrer chez nous de si tôt, dit Elïo à Jean, son voisin.
- Pourquoi dis-tu ça ?
- Une intuition.
- Pssst… Les garçons !
Les deux amis se retournent vers Emma et Louise.
- Vous croyez qu’on va pouvoir se rendre à la cantine avec la tempête ? demande la première.
Les deux adolescents regardent par la fenêtre. Une pluie dense s’est invitée aux vents violents et vient frapper les vitres.
- Il y a toute la cour à traverser, je suis peut-être pessimiste, mais j’ai peur que non, répond Jean. En tout cas pas tout de suite.
Au même moment, la lumière des néons oscille à plusieurs reprises avant de se stabiliser. Les yeux bleus d’Emma s’écarquillent de peur.
- Ça commence à m'inquiéter, avoue-t-elle.
- Ne t'inquiète pas, à l’intérieur on ne risque rien et puis on est tous ensemble.
- Oui… tu as raison, Elïo.
- Vous n’avez pas froid, vous ? demande Louise.
- Si, c’est ce que j'étais en train de me dire, confirme Jean.
La porte d’entrée de la classe s’ouvre soudainement. Un homme grand aux cheveux noirs cassants apparaît dans l'entrebâillement. Il n’a pas frappé et s’avance avec rapidité sur l’estrade du tableau. Tous les élèves se sont retournés droit sur leur chaise et ont cessé leurs discussions pour écouter l’homme en costume. Monsieur De Rossi, qui l’a salué, reste debout, proche du bureau professoral.
- Bonjour, dit M. Taupe.
- Bonjour, monsieur le proviseur, répond la classe.
Le chef de l’établissement est raide. Il tient dans ses deux mains un document papier qu’il ne semble pas vouloir échapper et jette des regards saccadés à droite, à gauche, à la première ligne d'élèves ainsi qu’au dernier rang. Il évalue son auditoire avant d’annoncer la nouvelle. Il vient pourtant de tenir le même discours à une dizaine d’autres classes du collège, mais ce qu'il s’apprête à dévoiler est une première depuis qu’il exerce ce métier. Il se racle la gorge. Au-dehors, la sirène résonne.
- Chers élèves, nous traversons une situation inédite.
Il avait choisi cette phrase d’accroche pour capter l’attention de ses interlocuteurs, mais la vigilance des élèves est déjà bien assez aiguisée. Qu’il en vienne aux faits, pense le professeur de sport qui n’a pas l’habitude de rester cloîtré entre quatre murs.
- Des vents violents secouent le pays. Une tempête brutale s’abat sur toute la France, et même une bonne partie de l’Europe. Elle serait le résultat d’une extinction solaire transitoire. L’état d’urgence a été déclaré et un arrêté ministériel ordonne à toute la population de rester enfermée à l’intérieur du bâtiment public ou privé le plus proche.
Une rumeur d'interrogation monte au sein de la classe. Le professeur d’EPS est lui-même abasourdi de ce qu’il entend comme en témoigne l'écarquillement de ses yeux.
- L’ordre est national. L’ensemble de la population, vos parents y compris, a déjà été informé ou va l’être dans les minutes qui suivent. Nous nous assurons qu’aucun élève ne manque à l’appel dans chaque classe puis notre service de secrétariat et nos surveillants tenteront d’appeler un à un chacun de vos parents pour les informer que vous êtes bien en sécurité.
Elïo entend un cri aigu étouffé derrière lui. Il devine qui en est la propriétaire. Tout autour, ses camarades s’agitent et attrapent leur téléphone.
- Je vous déconseille d‘utiliser vos téléphones portables pour ceux qui en ont, les lignes sont déjà saturées et vous ne ferez que surcharger un peu plus le réseau. Notre service de communication dispose à l’inverse d’une ligne priorisée, nous contacterons vos parents dès que possible.
L’agitation et le tumulte des discussions reprennent entre les élèves. Pour certains, cette situation leur donne de l’adrénaline comme s’il s’agissait d’un jeu alors que pour d’autres c’est l’angoisse qui envahit leurs pensées. Effectivement, les messages téléphoniques envoyés par les plus récalcitrants n’aboutissent pas. Combien de temps cela va-t-il durer ? Mon père, ma mère, ont-ils eu l’information ? Et mes grands-parents ? Et mon chat ? Autant de questions en suspens dans l’esprit juvénile des collégiens.
- En attendant l’évolution de la situation, les cours sont annulés et vous êtes contraints de rester ici dans la classe. Un surveillant reste dans le couloir pour accompagner celles et ceux qui auront besoin d’aller aux sanitaires. D’autres surveillants ont été postés au niveau des portes de sorties, au cas où il y aurait des réfractaires aux règles édictées. Quand j’aurai plus d’informations, je reviendrai vers vous, je l’espère avec d’autres directives.
Le chef d'établissement avait haussé le ton pour obtenir le silence. Il s’est ensuite approché de M. De Rossi pour lui chuchoter à l'oreille avant de repartir comme il était arrivé, avec empressement. D'autres classes devaient être informées. Aussitôt le proviseur parti, la pièce occupée par la 6e-2 s’emplit d’un chahut total. Le professeur de sport, avec toute son autorité, tente d'imposer aux élèves de se calmer et de baisser d’un ton.
Elïo, assis à côté des fenêtres, regarde une nouvelle fois au-dehors. Il ne participe pas à l'agitation générale et scrute avec calme l'insaisissable. Le vent souffle de plus en fort. Ce n’est plus de la pluie battante qui fouette les vitres, mais de la grêle et le bruit sourd des multiples impacts s’ajoute au vacarme ambiant qui dissuade toute personne avisée d'une éventuelle sortie. Il ne voit presque plus rien de ce qu’il se passe dehors. Bien qu’une mince lueur se devine à l'horizon, c'est la pénombre quasi totale.
Quelque chose lui trotte dans la tête. Il ne sait pas ce que signifie une extinction solaire, mais il y a deux semaines il avait capté d’une oreille une partie des informations télévisées qui évoquaient, par le biais de spécialistes en tout genre, les potentielles répercussions d’une diminution brutale et significative de l’activité solaire. Hormis une chute des températures, il avait retenu un refroidissement de la partie supérieure de l'atmosphère responsable d’un changement de direction et d’une accélération des vents descendants et de surface. La vision de l’extérieur semble concorder avec ces suppositions.
Un choc sonore surgit soudain, une partie de la classe tressaille et se tourne vers son origine : les fenêtres. En regard de la tête d’Elio, qui n'a pas bronché, la couche extérieure du double vitrage s’est fendue en de multiples fissures qui courent jusqu'à un mètre de portée. À l’épicentre, un caillou de la taille d'une balle de golf est incrusté dans la vitre.
Annotations
Versions