Chapitre 28

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Novembre 2034

   La 6e–2 a été transférée dans une autre pièce du bâtiment A. Maigre espoir d’éviter une autre complication que de baisser les stores en guise de protection. Pourtant dans l'immédiat, il n’y a pas d’autres alternatives, alors les bandeaux métalliques occultants frétillent et tapant contres les vitres sous l’action des vents quand ils n’ont pas été arrachés au moment de leur abaissement.

Elïo, Louise, Emma et deux autres garçons de leur classe ont été emmenés à l’infirmerie, une simple pièce rectangulaire aux murs blancs cassés. Les deux jeunes filles sont installées côte à côte sur une table d’examen quand leurs camarades sont assis en face d'elles chacun sur une chaise. L'infirmière scolaire prépare le matériel médical dans la pièce d'à côté dont la porte est restée ouverte.

Les cinq adolescents ont subi quelques blessures suite à l’explosion de la vitre, mais il ne s’agit que de plaies superficielles à la portée de premiers soins et bien que les picotements soient de mise, aucun des cinq élèves n'exprime de vive douleur. La torpeur les assomme.

  • Merci Elïo, dit Emma pour rompre le silence.

Son regard esquive pourtant celui de son sauveur quand ses joues semblent avoir rosi. Louise, encore abasourdie, se tourne vers cette dernière, le regard hagard. Elle se repasse les images en boucle. Elïo qui se jette sur elles, l'explosion de la vitre, la projection des bris des verres, le bruit, les cris… Elle n'arrive pas à ressentir de la reconnaissance envers son camarade, comme si c’était lui le responsable, pourtant elle sait qu’elle devrait lui être redevable.

  • N’importe qui aurait agi comme moi, tu sais.
  • Peut-être, mais tu nous as sauvées.

Sauver. L’audition de ce simple mot sort Louise de la sidération. Ça y est, elle prend conscience de l'action de son héros.

  • Emma a raison. Tu nous as évité des blessures bien plus graves que ces simples égratignures. Merci infiniment…

Elïo opine à la déclaration de Louise. Lui aussi est perturbé. Deux élèves de sa classe auraient pu perdre la vie juste sous ses yeux sans que personne ne puisse l’éviter. Et pourtant si. Ses accès de prémonition lui ont permis d’éviter cette catastrophe. C’est idiot, mais il mesure tout juste l’étendue de cette capacité qui semble lui être unique. Il faisait pourtant tout pour les éviter depuis son incident avec Jules à l’école élémentaire. Pourquoi lui ? Il ne sait pas, mais il ne refoulera plus ses visions.

Désinfection et pansements seront suffisants pour les braves adolescents. Une escorte de surveillants les guide ensuite depuis l'infirmerie jusqu’à leur nouvelle classe de confinement où ils retrouvent leurs camarades de la 6e-2 qui les accueillent, presque en héros sous l’initiative des applaudissements de monsieur De Rossi.

  • Bravo à nos courageux blessés, exclame-t-il, et bravo à Elïo.

Les intéressés sourient bêtement. Ils sont gênés. Hormis le fils Sol, ils n’ont rien fait de spécial, et malgré tout, lui non plus ne se sent pas à son aise. Son intervention n’est pas passée inaperçue et pour ceux qui l’auraient raté, le récit de son action n’a pas manqué d’être le sujet principal de la dernière heure. L'acclamation est triomphale. Elïo regarde à gauche et à droite. Si cette reconnaissance générale lui fait du bien, il ne passe pas à côté du regard sombre de Baptiste et sa bande.

La lumière s’éteint et la clameur avec. Un nouveau grondement résonne sourdement. Le bâtiment semble frémir. Cette fois-ci, ce n’est pas juste une faiblesse du courant, le noir devient totale et tant l’onde sonore que les vibrations du bâtiment sont interminables. La panique se verbalise par des questions sans réponse et des cris apeurés. Le professeur lui-même ne sait trop comment réagir et avec ce qu’il vient de se passer, il se laisse aller à une improvisation empreinte d’affolement.

  • Accroupissez-vous sous les tables !

Dans le noir, c’est la cohue et les bousculades s’enchaînent, à l'origine de grincements du mobilier scolaire.

Elïo n’a pas eu le temps de réagir qu’il a senti quelque chose ou quelqu'un s'accrocher avec force à son bras. L’obscurité est impénétrable, pourtant il reconnaît Emma et sa chevelure blonde qui s’appuient contre son épaule. Les deux camarades sont blottis l’un contre l’autre, les néons projettent à nouveau leur lumière, le tremblement s’interrompt.

Presque toute la classe de sixième est accroupie sous les tables. La jeune adolescente, restée debout, se rend compte qu’elle s'est agrippée contre Elïo. Leurs camarades les regardent. Elle ne relâche pourtant pas son étreinte et tourne sa tête vers son voisin. La proximité de leurs visages, mais aussi la lueur dans le regard du garçon la troublent. Elle se libère avec rapidité.

  • Excuse-moi.
  • Ce n’est rien.

La lumière ne montre pas de nouveau signe de défaillance. Monsieur De Rossi suppose qu’un câble ou qu’un poteau électrique a dû être arraché et que le groupe électrogène du collège a pris le relais. Il invite les élèves à reformer des petits groupes pour essayer de se changer les idées en se divertissant.

À seize heures, des biscuits secs et des barres de céréales sont distribués à tous les élèves. Il n’y aura pas de repas conventionnel, l'accès à la cantine est proscrit, mais ces friandises apaisent palais et angoisses.

  • Toute sortie extérieure est plus que périlleuse, précise une fois de plus le proviseur venu présenter avec regret le nouveau bulletin de situation.

Presque tous les parents ont été contactés, assure-t-il. Mais cet adverbe résonne pour beaucoup comme une potentielle mauvaise nouvelle. Qu’en est-il des autres ne faisant pas partie du “presque” ? Chacun se fait de plus en plus de souci pour ses proches, surtout après les informations de monsieur Taupe qui insiste à plusieurs reprises sur l’interdiction totale de sortie du collège. Les vents seraient à près de trois-cents kilomètres-heures. Le tonnerre retentit pour venir confirmer ses mises en garde.

Le chef d'établissement a été mis au courant de l’incident du grêlon ; il s’assure de la bien portance de ses élèves puis se félicite. Son sourire autosatisfait est bien forcé, car le tracas se figure sur son visage crispé tout comme l'extrême rectitude de ses gestes lorsqu’il prend congé. Quelque chose l'inquiète plus que tout à l'heure dont il fait part au professeur avant de disparaître.

La fin d’après-midi et le début de soirée courent sur la même lignée. Pas de nouvel incident. Espérons que ce caillou de glace hors du commun soit une exception parmi les siens.

Une nouvelle ration de gourmandises, des sacs de couchage ainsi que des tapis de sol sont apportés aux élèves vers dix-neuf heures. Le collège est bien équipé pour une catastrophe imprévue, se dit monsieur De Rossi. En discutant avec les surveillants de couloir qui se relaient, on lui explique que c’est le ministère qui avait demandé aux établissements, il y a six mois, de s’équiper et de prendre des précautions dans le cas de figure d’un incident ou d'une catastrophe comme celle-ci. C’est étrange.

Pour se changer les idées, Elïo, Jean et deux autres camarades se projettent sur leur futur métier.

  • Moi, je serai astronaute ! précise Tom, comme ça je pourrai voir à l’avance les extinctions solaires et prévenir la terre !
  • Moi, je serai médecin, comme ça je pourrai vous soigner ! ajoute Alexandre. Ou alors sportif de haut niveau et vous me regarderez à la télé !

Leur enthousiasme se transforme en rires.

  • J’aimerais beaucoup être jardinier de mon côté.
  • Ah oui ? Pourquoi ?
  • Parce que j'aime bien m’occuper des plantes. Et puis comme ça je pourrai vous nourrir avec mes légumes, poursuit Elïo.
  • Oui, c’est pas bête ! confirme Tom.

Les trois garçons se tournent maintenant vers leur quatrième camarade.

  • Moi, je ne sais pas encore. J’aimerais œuvrer dans une association qui aide les défavorisés.
  • C’est tout ? s’étonne Alexandre.
  • C’est déjà beaucoup. Pour moi, il n’y a rien de plus satisfaisant.

Un silence s’installe.

  • Tu as raison Jean, tu es une bien belle personne. Mais n’y a-t-il pas autre chose que tu désirerais par-dessus tout ? surenchérit Elïo.

Jean hésite.

  • Et bien, je ne serai pas contre devenir rugbyman professionnel.

Les trois autres garçons l'acclament alors que les néons s’éteignent à nouveau. Le générateur autonome vient de sauter, ou alors vient-il d’être détruit. C’est ce que redoutait le professeur d’EPS, informé par le proviseur tout à l’heure qu’un arbre était tombé sur le groupe électrogène.

Une rumeur d’inquiétude gonflent à nouveau dans la pièce. Monsieur De Rossi quant à lui lance au hasard un regard vers ce qu’il pense être le tableau numérique. Il n’affiche plus ni l’heure ni la température de la pièce, mais il se souvient que dix-neuf degrés étaient affichés il y a peu. Ses yeux se portent ensuite vers la fenêtre invisible à ses yeux. Il entend les volets qui claquent et il décide de s'approcher des vitres en tâtonnant. Il pose ensuite une main sur l’une d’elles. Elle est glacée. Il ne s’était pas trompé quand il croyait avoir vu un début de gel sur le vitrage externe. Il imagine la température extérieure qui devrait se diffuser dans le bâtiment maintenant qu’il n’y a plus d'électricité pour alimenter le chauffage. Il ne doit pas être loin de vingt heures trente. Ils sont bons pour rester toute une nuit ici. Une nuit qui s’annonce glaciale.

Le professeur reste ainsi perplexe, la main collée contre la vitre. Sa compagne occupe toutes ses pensées tout comme leur futur bébé. La réalité s'impose à lui sans tarder quand il entend l'impact d'un objet projeté qui percute le tableau digital. Le geignement des élèves lui rappelle la scène et l’un d’eux se met même à crier un son strident. Une idée vient à Monsieur De Rossi qui utilise le mode “lampe torche” de son téléphone pour éclairer la classe. Pourquoi n’y a-t-il pas pensé plus tôt ?

  • Calmez-vous ! Calmez-vous les enfants ! Je suis là. Tout va bien, ce n’est qu'une coupure de courant. On ne devrait pas avoir de lumière avant un moment, vous pouvez utiliser vos téléphones portables comme moi si vous le souhaitez, pour vous éclairez et continuer à jouer ou à bouquiner, mais je propose que d’ici une bonne heure, nous allions tous se coucher.

Les braillements cessent pour laisser place à des murmures.

  • Alors nous allons vraiment rester dormir ici ? questionne Alexandre avec naïveté.
  • Je suis désolé, mais oui au vu de la situation. C'est une décision ministérielle. Il est plus prudent que nous restions tous ensemble ici. Nous verrons de quoi demain sera fait.

Un nouveau sanglot se fait entendre et le professeur se dirige vers l’élève en proie à la peur pour le réconforter. Au même moment, Jean et Elïo s'adossent contre le mur au fond de la classe et se recouvrent de leur sac de couchage.

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