Chapitre 41
Mars 2036
- Ils ont vraiment cru que tu avais déclenché l’incendie ? s’étonne Tom.
Dans la cour de récréation du collège, Elïo et deux de ses amis sont assis côte à côte sur un banc. À l'expiration, l’air tiède de leurs poumons se condense en fumée au contact de la froide atmosphère. Hormis Elïo, dont le crâne s’est enrichi d’une courte capillarité, les bonnets sont enfoncés, les gants enfilés et les manteaux hivernaux fermés à double tour. Malgré tout, le froid attaque l’épiderme de ses deux camarades si bien que leur rachis frissonnent avec récurrence.
L’enquête sur le sinistre du gymnase de décembre dernier est arrivée à son terme. La veille, l'inspecteur Rouane a tenu informés les parents de la famille Sol de son rapport. Les auditions répétées et le manque de preuves concrètes n’ont pu démontrer l’implication de leur garçon. Elïo a donc été écarté des suspects, il vient de l’annoncer à ses camarades.
- Il faut croire que oui, répond-il avec indifférence.
- En même temps, c’est une histoire extraordinaire, poursuit le premier ami en écartant une mèche rousse de son visage.
- Oui, j’ai eu beaucoup de chance…
- Tu sais bien qu’Elïo n’aime pas en reparler, intervient Jean.
- Oui, excuse-moi. C’est vrai que tu as eu chaud aux fesses, c’est le cas de le dire !
- Tom ! fustige le jeune rugbyman.
- D’accord, promis j’arrête !
Le fils de Julien ne s'étend pas sur le sujet. Jean se lève subitement.
- Allez, venez, marchons un peu, je commence à grelotter.
- Oui, moi aussi ! confirme Tom en enfonçant les mains dans ses poches de manteau.
Une brume épaisse surplombe le collège Roger-Maurice Bonnet. L’espace de récréation est assez grand, deux édifices scolaires de trois étages le délimitent et se rejoignent pour faire angle quand à l’opposé c’est la cantine qui jouxte le grillage de l’enceinte. Au centre, trois squares herbacés, habités de bouleaux et platanes, ponctuent le bitume.
C’est la pause de seize heures, le trio déambule sans but dans ce large périmètre.
- En parlant de froid, tu as toujours de la fièvre Elïo ? s’enquiert son meilleur ami.
- C’est difficile à dire. Je ne me sens pas fiévreux, mais oui mon corps reste plus chaud que la normale. Les médecins n'ont trouvé aucune explication. J’ai réalisé une batterie de tests pourtant, mon organisme fonctionne bien tel quel.
- J’ai toujours su que tu n’étais pas humain ! s’amuse Tom avec ironie.
- Tu n’as peut-être pas totalement tort, répond Elïo d’un léger ricanement.
- Tu n’as jamais froid du coup ?
- Et bien, non, très rarement.
- J'aimerais être comme toi, confie Jean en enfonçant son couvre-chef sur ses oreilles.
- J’avoue que face au déclin solaire, ce n’est pas un petit avantage. Ça ne vous effraie pas d'ailleurs ? demande le garçon aux taches de rousseurs.
- C’est inquiétant si, mais les scientifiques estiment que nous avons près de deux-cents ans avant que ça ne soit catastrophique, répond l’orphelin.
- J’espère que ça s’inversera d’ici là, où que les experts trouveront une solution. En tout cas, ça ne devait pas nous concerner, on ne sera plus là ! Alors, à quoi bon se tracasser ?
- Je crois que c’est une erreur de penser comme cela, coupe Elïo. C’est justement ce type de raisonnement qu'avait la majorité de la population face au réchauffement climatique il y a quelques années. Peu de gens s’étaient investis au quotidien dans la préservation de notre planète et repoussaient l’échéance de leur responsabilité. Nous ne comprenons pas encore ce phénomène, mais cela ne saurait être très différent. À quand cesserons-nous de reporter la faute aux anciens en reléguant la charge aux prochains ?
La réplique a fusé d’un seul trait, l’ami candide est désarçonné. Ce n’est pas le genre de question dont s'obscurcit l’esprit de Tom. Il n’est qu’un élève de cinquième après tout. Un élève jovial et taquin de bientôt douze ans, tout juste sorti de l’enfance et en pleine croissance pubertaire.
- Oui, tu as peut-être raison… mais que pouvons-nous y faire ici ?
- Je ne sais pas malheureusement… répond Elio, le front baissé. Excuse-moi pour mon ton sec. Mais je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour nous préserver, vous préserver.
Les trois camarades poursuivent leur marche aléatoire en silence. Cette déclaration est touchante, Jean en a l'habitude de la part de son meilleur ami. Mais, il est vrai qu’ils n’ont pas la moindre idée de comment ils pourraient agir, pourtant la perte d'activité solaire est bien concrète et le vent glacial le leur rappelle.
Ils décident de se diriger vers le préau qui prolonge les bâtiments de cours. La plupart des collégiens s’y trouvent déjà pour s’abriter du froid, des appareils de chauffage extérieur ont été suspendus aux différents pylônes pour adoucir l’atmosphère. Ce matin, la météo avait annoncé moins huit degrés pour une maximale d’après-midi frôlant les zéros.
- Regardez là-bas, cet imbécile de Baptiste et ses sbires font la cour aux filles, remarque Tom avec déception.
Sous les tôles d’aluminium, de multiples groupes d’élèves sont abrités les uns sur les autres. L'entassement est tel, qu’il n’est pas sans rappeler celui des manchots empereurs pour se protéger des températures austères. Les corps se rapprochent, se frétillent et les tremblotements sont irrépressibles.
Parmi eux, un groupe d'adolescentes de cinquièmes discutent avec trois garçons. Baptiste, à leur tête, le buste droit et le menton fier, dirige la conversation.
- Il ne peut s’empêcher de faire le coq celui-là, renchérit Tom, amer.
- Laisse-le où il est, conseille Jean, tu seras préservé de sa bêtise.
Du fait de sa teinte capillaire, Tom n’a pu éviter de rejoindre la prestigieuse liste d'enfants importunés par le fils du maire. Les moqueries, les incartades, tous les comme les surnoms triviaux tels que “poil de carotte” lui sont familiers et l’inimitié à son égard n’en est que réciproque.
Le trio décide de se mettre lui aussi à l’abri, tout en gardant en visu Baptiste.
- Pourtant, avant tu étais ami avec lui ?
- Oui, mais depuis le divorce de ses parents, quelque chose à changer chez lui et son grand frère Corentin n’est pas non plus le meilleur exemple à suivre.
- Il paraît qu’il se trouvait dans le gymnase lui aussi le jour de l’incendie.
- Je n’en sais rien, mais n’en parlons plus, veux-tu ?
Le fils de Julien est déconnecté de la discussion, il est trop occupé à admirer une des élèves de l’attroupement d’intérêt. Elle était dans sa classe l’année dernière. Une adolescente de 5e6 aujourd’hui. Une adolescente aux cheveux éblouissants malgré le mauvais temps et aux yeux bleus si clair qu’ils déstabiliseraient le plus infaillible de ses prétendants. Une adolescente discrète et réservée ne jouant pas d'attitude exubérante pour rayonner.
Au sein du groupe, elle se tient en retrait et pourtant Elïo ne voit qu’elle. Alors que ses copines écoutent avec attention, sans aucun doute possible les vantardises du grand Baptiste concernant ses exploits du rugby ou les futurs projets municipaux de son père, elle ne semble de son côté pas captivée. De sa simplicité transparaît sa beauté et sa douceur a déjà eu l’occasion de perturber les humeurs du garçon aux yeux ambrés. Sa chevelure blonde l'ensorcelle.
- Qu’est-ce que tu regardes ? questionne Tom.
Les paupières d’Elïo clignent plusieurs fois. Il reprend contact malgré lui.
- Rien, rien de spécial.
- C’est Emma qui attire ton attention ?
- Oui.
- Et bien ! Monsieur a bon goût !
- Je crois qu’elle me plait, affirme-t-il.
Les trois amis fixent le groupe de filles.
- Elle est très réservée, mais tu devrais aller lui parler, propose Jean. Je suis sûr que tu ne la laisses pas indifférente non plus.
- Tu penses ? s’étonne Elïo en se tournant vers son camarade.
- J’en mettrai ma main à couper. Il n’y a qu’à voir son attitude quand elle te parle.
Les yeux du garçon convergent une nouvelle fois vers Emma. Il avait bien remarqué son embarras lorsqu’elle s’adressait à lui, mais n’était-ce pas le cas avec ses autres camarades ? Son ami n’avait peut-être pas tort.
- Tu as raison ! s’enthousiasme soudain le fils Sol.
- Je ne pense pas me tromper.
- J’ai chaud.
- Quoi ?! s’exclament les deux autres garçons.
- J’ai chaud.
- Comment ça ? s’éberlue Tom en faisant les gros yeux.
- Je vais lui parler.
- Je n’ai pas dit que tu devais y aller maint…
Les paroles de Jean se perdent dans le brouhaha sonore du préau. Elïo s’est déjà élancé. Il file droit vers le groupe de filles en pleine discussion avec Baptiste et sa bande. Son meilleur ami redoute une énième altercation avec le fils du maire, mais décide de ne pas intervenir alors il guette, prêt à agir en cas de besoin.
Lorsqu’Elïo s’approche de l'attroupement en question, grand vaniteux ne remarque tout de suite son arrivée et tourne la tête à deux reprises pour s’assurer de l’identité du garçon importun. Leurs regards se croisent un instant, mais le plus jeune des deux se détourne, contourne le cercle pour se diriger vers Emma. Baptiste s’est tu, son mauvais œil suit l'indésirable.
- Venez les gars, on se tire d’ici. Crâne d'œuf risque de tout faire péter, annonce-t-il en crachant à terre.
Le fils du maire bat en retraite en prenant le soin de passer juste à côté d’Elïo. Il le dépasse d’une bonne tête et heurte de son coude l’épaule de ce dernier, mais aucun des deux ne s’offense de la collision.
- Taré, l’injure-t-il avant de s’éloigner.
Les autres filles reprennent leur conversation quand le fils Sol s’approche de l’adolescente aux cheveux blonds.
- Je peux te parler Emma ?
- Ou..Oui, bien sûr, Elïo.
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