Par un jour de neige
Je courais à en perdre haleine. Je n'entendais plus que mon souffle haletant et le crissement de mes pas dans la neige tandis que je courais à une allure dont je ne me serais jamais cru capable. Je repensais à toutes ces fois où j'avais fait ce trajet pour aller voir Naomie. Tous les jours depuis que je m'étais trompé de chambre d'hôpital en ouvrant la porte numéro 17 au lieu de la 18, celle de mon ami à qui je venais rendre visite ce fameux jour où tout avait basculé. Tous les jours depuis que j'étais resté plus longtemps que je ne l'aurais dû, intrigué par cette fille, si différente de toutes celles que j'avais connu. Tous les jours depuis cette première partie d'échec qu'elle avait gagné. Comme toutes celles qui avaient suivie. J'avais beau la défier à chacune de mes visites, je perdais lamentablement. Toutes ces parties au long desquelles nous avions appris à nous connaître. Je repensais surtout à cet autre jour, le seul où elle avait laissé transparaître sa tristesse, et m'avait confié ce qui la motivait à se battre contre sa maladie.
Je réfléchissais à mon prochain mouvement quand je remarquais que pour la première fois, le jeu de Naomie présentait une faille. Je levais vers elle un regard étonné et la surpris à regarder la neige tomber par l'unique fenêtre de sa chambre. Elle parla sans que j'aie à l'interroger.
"- La veille de mon hospitalisation aussi il neigeait. J'avais promis à ma mère que le lendemain nous ferions une bataille de boule de neige. Seulement..."
Sa voix se brisa et je sentis mon cœur se serrer à la vue de son visage tourmenté.
"- Tu sais ce qui s'est passé ensuite. Mon état s'est empiré pendant la nuit et je n'ai pas pu sortir depuis. Mais depuis, chaque jour de neige, je souhaite plus que tout pouvoir sortir pour faire une bataille de boule de neige avec ma mère..."
Ce fût l'unique partie que je gagnais contre Naomie, mais elle ne m'avait apporté aucune satisfaction.
J'avais depuis tout fait pour l'aider à se battre contre sa maladie. Elle avait fait quelques rechutes et m'avait causé des frayeurs lors de ses séjours dans la chambre stérilisée où personne ne pouvait entrer. Mais elle s'en était sortie, comme toujours. Naomie était comme ça, toujours à redonner espoir aux autres. De sa chambre d'hôpital, c'était elle qui m'avait poussé à ne pas me laisser abattre au premier échec et à m'accrocher à mes rêves. Et c'était d'elle dont j'étais tombé amoureux au fil de mes visites. Elle le savait, même si d'un accord tacite, nous avions décidé de ne pas parler de nos sentiments. Nous attendions le jour de sa sortie.
Et j'étais là, aujourd'hui, à courir vers l'hôpital comme si ma vie en dépendait. Je sortais des cours quand la maman de Naomie m'avait appelé pour me dire qu'il y avait un problème avec Naomie. J'avais à peine raccroché que je m'étais élancé dans les couloirs en direction de l'hôpital. Je priais pour que ce soit une simple rechute dont elle se sortirait avec son habituelle détermination.
Je pris le dernier virage et aperçus enfin le bâtiment. Une silhouette se tenait devant l'entrée. Je m'arrêtais devant la mère de Naomie à bout de souffle, de la buée sortant de ma bouche à chaque expiration. Elle se tourna vers moi, les yeux brillants et un petit sourire triste se dessinait sur ses lèvres. Je n'étais soudainement plus sûr d'être prêt à entendre ce qui allait suivre.
"- Maël...merci d'être venu, me dit-elle d'une voix chevrotante."
En réaction à quoi mon corps commença à être prit de tremblements.
"-Naomie...ce matin..., parvint-elle à articuler avant que sa voix ne se brise."
Mais elle n'avait pas besoin de finir. Mes yeux s'écarquillèrent sous le coup de la compréhension.
"-Non..."
Je refusais cette réalité qui s'imposait à moi et commençais à sangloter en regardant mes larmes tomber sur la neige immaculée.
"-S'il te plaît, pourrais-tu accepter ceci ?"
Je relevais la tête pour la voir me tendre ce jeu d'échec avec lequel nous jouions. Cela me fit bizarre de le voir, là, dehors, sans Naomie. Je m'en saisis délicatement et vis mes larmes couler sur le plateau.
"-Maël, je voulais te remercier. C'est grâce à tes venues quotidiennes que Naomie a eu la force de tenir si longtemps. Elles lui ont rendu le sourire. Merci aussi pour ça."
J'esquissais un petit sourire. Je savais que d'où elle était, Naomie était libérée de cette maladie qui lui pesait chaque jour. Je savais aussi que je ne devais pas être triste car même si les moments que nous avions passé ensemble avaient été éphémères, au moins ils avaient existé et je ne pouvais plus que me réjouir de l'avoir connu. Il n'y avait qu'un regret qu'elle aurait pu avoir.
"-Madame Hale, faisons une bataille de boule de neige !"
Elle me regarda, surprise, avant de comprendre où je voulais en venir et de me retourner mon sourire. Je pris de la neige de ma main et pensais : " Regarde-nous Naomie. Nous sommes heureux et nous allons nous battre comme tu nous l'as appris. Avec le sourire."
Je lançais la boule de neige.
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