L'ami extraordinaire
La maladie de ma mère m'avait finalement forcé à rentrer à Valencienne pour la première fois depuis quatre ans. Je sortais de la gare, pressé d'échapper à cette foule et hélais le premier taxi que je vis. Je fus surpris, une fois installé à l'intérieur, de reconnaitre là le fils d'un vieil ami avec qui j'avais eu l'occasion de dialoguer plusieurs fois. Je me souvenais alors que, par un étonnant hasard, c'était également lui qui m'avait emmené à la gare lorsque j'avais quitté la ville quelques années auparavant. Je ne pus m'empêcher de constater que ses yeux, qui étaient alors comme vides et inanimés, m'apparaissaient aujourd'hui comme brillants d'un nouvel éclat. Je lui fis donc remarquer que je lui trouvais meilleure mine que la dernière fois, ce qui sembla le satisfaire. Puis, comme s'il n'avait attendu que cela, quelqu'un qui aurait connu l'homme qu'il était avant sa transformation, il se lança dans un récit détaillé de ce qui l'avait mené à devenir l'homme qu'il était aujourd'hui. Je l'écoutais d'une oreille attentive, intrigué malgré moi de savoir ce qui pouvait changer un homme à ce point.
« Lorsque nous nous sommes quittés la dernière fois, je ne vous cache pas que je n'étais alors animé par aucune force, comme si toute joie m'était alors inaccessible. Un événement dans lequel j'étais impliqué de près semblait m'avoir vidé de tout celui que j'étais jusqu'alors et tous les bonheurs que j'avais connus me semblaient étrangers et lointains. Je ressassais sans cesse la misère dans laquelle je me trouvais, sans réussir à trouver de l'intérêt pour autre chose. Toute ma vision de ce qui m'entourait avait été bousculée et il me semblait à l'époque que j'étais profondément seul dans mon malheur. Mes journées se ressemblaient toutes alors que chacune de mes pensées tournaient en boucle, m'enfonçant dans une terrible déprime dont je ne voyais pas comment sortir. On m'avait toujours dit que parler de ses problèmes était le meilleur moyen de les accepter et d'aller de l'avant. Seulement, étant de nature raisonnable, je ne m'étais jamais senti concerné par ces propos tant ils me paraissaient ne pas me concerner. Et, tout à ma douleur, j'avais l'impression que personne ne me comprendrait tout à fait et que tous me jugeraient sans chercher à me comprendre. Je me détestais, me rabaissais déjà suffisamment moi-même en ce moment et je n'aurais pas pu supporter un regard déçu et rempli de déception venant d'un être cher.
Mais j'ai moi-même rencontré par hasard un ancien ami proche et nous avons rapidement renoué. J'ai même fini par lui raconter tous les tourments qui m'habitaient. Et alors que je pensais qu'il changerait totalement de vision sur ma personne et que, tout à sa déception, il cesserait tout contact avec moi, il s'est contenté de me prendre dans une accolade et, sans minimiser mon affaire, de me dire qu'il était fier que j'aie trouvé le courage de lui parler, qu'il ne m'abandonnerait pas et qu'il m'aiderait à avancer en réglant mes soucis avec moi. Et c'est ce qu'il a fait. S'il eut été heurté par l'affaire que je lui racontais, il n'en montra rien et resta fort face à ma personne, ne pensant qu'à moi, voulant immédiatement m'aider à me sentir mieux.
Il est extraordinaire de découvrir à quel point les autres ont le pouvoir de croire en nous plus que nous ne le faisons nous-mêmes. Il a mis toute sa détermination à me dire que si je ne croyais pas en moi à un moment, lui croirait en moi pour nous deux. Et ses yeux brillaient de sincérité, tant il voulait me faire croire en ses propos car il les pensait réellement. Toujours. Il cherchait à m'insuffler sa force, voulait me convaincre qu'il gardait la même estime de moi. Il me redonna foi en ma dignité. Son regard sur moi n'avait pas changé et c'est ce qui me redonna espoir en un futur heureux. Il a réussi à me ramener à des pensées normales, comme celles qui m'habitaient avant, me montrant un avenir sans soucis. Je me suis accroché avec force à ses convictions et à son soutient, je l'ai cru et je l'ai découvert sous un nouveau jour. Je ne l'aurais jamais pensé mais c'était une personne forte, aux épaules solides et prête à gérer n'importe quelle situation pour les personnes qu'il aimait. Il venait de commettre le plus bel acte de pardon, de force, d'acceptation et d'affection que j'ai jamais vu.
Je peux vous garantir, monsieur, que sans cet ami salvateur je ne me tiendrais pas là, devant vous, à vous parler le plus naturellement du monde et avec autant de légèreté. Oui, nul doute que cet ami dont je vous loue avec tant de soin les qualités est l'ami par excellence que tout le monde aimerait avoir. »
Il se gara devant la maison de ma mère alors qu'il concluait sa longue tirade. Dans un élan de générosité, je lui donnais un petit extra en plus du prix de la course. Il me remercia chaudement, me disant que cela avait été un plaisir de parler avec moi. Songeur, je récupérais ma valise et pensais en m'avançant sur le perron que cet ami qui avait réussi à tant le changer devait vraiment être une personne extraordinaire, au dévouement infini et fidèle aux personnes chères à son cœur.
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