Bulle de souvenir

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Ils roulaient vers une destination inconnue, sa belle main intensément masculine posée sur la cuisse de sa passagère, un sourire imperceptible sur les lèvres.

Elle regardait le paysage au travers de sa vitre, sa main intensément féminine posée sur celle du conducteur, un sourire imperceptible sur les lèvres.

Elle ne savait pas où il l’emmenait, "c'est une surprise," avait-il déclaré. Alors, elle se laissait porter, elle adorait les surprises. Ils passaient leur premier week-end ensemble, leur première nouvelle année ensemble.

Ils se sentaient insouciants comme des adolescents, et pourtant, elle, trente-cinq ans, deux enfants et divorcée, lui quarante-trois ans, un enfant et séparé.

Le jour tombait, l'empêchant de deviner leur destination, elle savait juste qu’ils se dirigeaient vers la côte normande. Un silence agréable régnait dans l’habitacle, il ne s'avérait nullement pesant, ni ne provoquait le besoin de parler.

Après deux heures de route, elle sut où ils allaient, son sourire s’épanouit et se tourna vers lui. Il lui jeta un œil et son sourire s'épanouit lui aussi, heureux d’avoir fait le bon choix. Il savait qu’elle adorait cet endroit.

Il arriva à Honfleur et se gara devant « l’Auberge du Chat, » qui a changé de nom depuis. Cette petite ville, connue pour son Vieux Bassin pittoresque, caractérisée par ses maisons aux façades recouvertes d'ardoises. Connue aussi pour avoir été maintes fois représentée par des artistes, formant l’École de Honfleur, qui contribua à l'apparition du mouvement impressionniste.

À côté de l’auberge se dressait l’église Sainte-Catherine, construite essentiellement en bois et classée monument historique, devenue aujourd’hui le musée de la marine.

Après être descendue de la voiture, elle admira la façade de l’auberge, avec ses pierres grises habillées de vigne vierge qui lui donnait un aspect cosy. Il posa sa main au bas de son dos, et l'invita à entrer dans l’établissement.

Il s’avança vers l'accueil et parla avec le réceptionniste. Ce dernier fit signe à un jeune employé en retrait, qui prit le bagage de l’homme et ils le suivirent à l’étage.

Ils découvrirent une suite chaleureuse et cosy avec un petit salon, une chambre avec un grand lit en bois massif rehaussé de coussins aux couleurs pastel. Une salle de bain attenante comprenant une douche à l’Italienne, une baignoire et une double vasque complétait l’ensemble.

Lui ayant demandé de prévoir une tenue habillée pour le repas du réveillon du jour de l’an, il disparut pour prendre une douche. Pendant ce temps, elle préparait sa robe, espérant qu’elle ne s’était pas trop froissée, même après avoir prit la précaution de la mettre dans une housse de transport.

Il réapparut, la taille ceinte d’une serviette moelleuse, les cheveux encore humides. Elle laissa glisser son ses yeux sur lui, et entendit un doux rire qui l’incita à relever la tête. Il l’observait avec un regard malicieux et elle se sentit rougir, son expression ayant dû trahir les pensées sulfureuses qui lui traversaient l’esprit.

Il l'invita à se dépêcher pour ne pas être en retard. Elle prit sa douche et revêtit sa longue robe rouge en fourreau, s'appliqua un maquillage léger et coiffa ses cheveux courts qui encadraient son visage en petites mèches brunes et mettaient en valeur ses yeux gris-vert.

Lorsqu’elle sortit, il se tourna vers elle et se figea alors qu’il mettait des boutons de manchette à sa chemise blanche sous un costume noir, qui lui allait à la perfection. Il la déshabilla du regard, ses yeux gourmands se déplaçant de bas en haut. Cette fois ce fut elle qui le lui retourna d’un air mutin.

Il se racla la gorge et s’approcha d’elle à pas lent. Il prit son visage entre ses mains et posa ses lèvres sur les siennes en un baiser tout en retenue, même si ses yeux flamboyaient de désir.

Ils descendirent dans le hall et se dirigèrent vers le restaurant gastronomique de l’auberge. Ils furent installés à une table discrète éclairée par des bougies, et la valse des serveurs débuta. lls semblaient aveugles aux regards des personnes qui évoluaient ou étaient attablées autour d’eux.

Ils ne se rendaient pas du tout compte que leur couple irradiait d’amour et de tendresse avec leurs petits gestes délicats, leurs doigts se frôlant, se posant sur la joue de l’autre, leurs rires et regards. Leur serveur attitré brisa à un moment cette félicité en arrivant, par une glissade, près de leur table pour prendre la bouteille de vin dans le seau. Or, l’homme avait tendu la main pour servir lui-même, le jeune garçon n’étant pas dans son champ de vision. Elle éclata de rire au vu de la mine renfrognée de son compagnon.

Ils remontèrent dans leur chambre, suivis par les regards souriants de certains clients.

Ils se préparèrent pour la nuit, elle ayant acheté une tenue spéciale pour ce week-end spécial, un déshabillé en soie ivoire, transparent tout en laissant la place à l’imagination, même s’il la connaissait par cœur.

Lorsqu’elle se présenta dans la chambre, il remarqua sa gêne soudaine et essaya de la mettre à l’aise en se déplaçant vêtu d’un boxer en satin noir avec nonchalance, et cela fonctionna. Occupée à le dévorer des yeux, elle oublia sa timidité.

Il fouilla dans son bagage et en sortit une bouteille de champagne qu’il avait pris soin de garder au frais dans un sac isotherme et deux verres à pied en lui faisant un clin d'œil.

Ils s’allongèrent sur le lit et dégustèrent ce breuvage divin en parlant de leur avenir, de leur souhait et d’amour.

Le lendemain, ils se promenèrent le long du vieux bassin, s’arrêtèrent de temps à autre derrière un peintre de rue qui peignait le petit port pittoresque sur sa toile.

Elle remarqua, en passant devant une terrasse de café, le regard d’une femme, qui les observa tour à tour. Elle s'aperçut que l'inconnue les fixait tous les deux et non lui seul. Elle posa ses yeux sur lui à la dérobée et compris pourquoi. Ils formaient un très beau couple.

Lui, grand, bien bâti, habillé d’un jean délavé avec un pull en laine beige, il portait un long trench-coat marron clair, juste posé sur ses épaules.

Elle, plus grande que la moyenne, lui arrivait au menton, vêtue d’une courte jupe grise, un chemisier noir et un manteau long en laine anthracite.

Un bras passé sur ses épaules et ils déambulaient aveugles aux gens autour d’eux. Jusqu’au moment où elle perçut le regard de cette femme. Cette dernière lui sourit, sourire qu’elle lui retourna.

Au moment de leur départ, ils gardèrent le menu de leur soirée et y notèrent la date et leurs impressions. Car pour elle c'était une première, premier séjour dans un hôtel, premier repas dans un restaurant gastronomique, premier week-end avec lui.

Il lui demanda de vivre avec lui et elle accepta.

Arrivée chez elle, elle récupéra une boîte à chaussures dans un placard et y mit le menu. Ils commencèrent ainsi à y déposer ce qu’ils appelèrent leurs bulles de souvenirs.

Des bulles qui protégeaient les souvenirs de chaque restaurant, chaque séjour, chaque concert qu’ils vécurent ensemble.

Chacune d’elle renfermait une carte, un menu, une date et leurs impressions.

Des bulles qui protégeaient des moments hors du temps, hors du quotidien, hors tout à part eux.

Cela dura neuf ans, neuf ans avant que la maladie ne lui enlève l’homme de sa vie.

C’était il y a dix ans qu’elle avait rangé sa boîte de bulles dans son placard.

Dix ans qu’elle ne l'avait pas ouverte, de peur que les bulles ne s’envolent et disparaissent.

Je n’ai jamais recréé de bulles de souvenirs depuis.

Parce que c’était lui, parce que c’était moi, parce que c’était nous.

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