Des bois obscurs...

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Nous campions dans ces bois obscurs. Profondément obscurs et silencieux...

Le silence. Ce mystérieux mutisme qui n’est pas synonyme de calme, de discrétion, de paix, de pause, de repos. Cette forteresse silencieuse qui semble s'ériger autour de nous, de notre campement, de notre petit feu qui semble nous trahir : " Ohé.. on est là !". Un donjon effrayant, imprenable, impénétrable mais qui nous saisit au fur et à mesure que l'obscurité nous avale dans ses entrailles abyssales. Une tour d’ivoire des travées de laquelle nous percevions très distinctement le bruissement étouffé de l’omission, de la réticence, du secret, du soupir, du chagrin, de la souffrance, de la peur, de l'effroi, de la vie et de la mort. Comme le gris, ni blanc, ni noir, le silence peut se décliner en une palette de nuances infinies. Jamais franc, vif et tranché mais bien voilé, évasif ou allusif. Il est paradoxal. Là où le vide et l’inaudible devraient siéger, règnent pourtant les aveux, les clameurs, les cris, la parole. Parfois même le tapage, le tumulte, le vacarme des souvenirs, du passé, des déchirures, des anciennes craintes, des anciennes légendes. Le silence est agitation et témoignage; vivant et pénétrant.

Au silence, dans ces bois obscurs, venait se greffer l'ignorance...

Le silence, l’ignorance sont comme des océans vastes et tempétueux. On y dérive plus qu’on y navigue sur les frêles esquifs en forme de points d’interrogation. Quel que soit l’endroit où l’on se trouve, on ne sait pas où l’on est. Que l’on vire à gauche ou à droite, que l’on aille de l’avant ou en arrière, toujours la même impression d’arriver au même endroit. Un point de départ et d’arrivée éternel et infini. Certaines théories affirment que tout est né du néant. Nous éprouvions des difficultés, dans ce cas précis, à y adhérer. Aucune réponse ne se dessinait, ne s’ébauchait dans notre néant. Rien ne se structurait. Non, manifestement, du néant ne pouvait émerger que le néant. Un vide. Un immense vide. Un terrible vide. Tout en silence.

C'est alors que se dessinèrent les plus sombres idées, même les plus idiotes.

Et nous pensions, en ces bois obscurs, à la mort.

La mort… J'en pense la même chose que la vie. En quelque seconde tout commence et tout s’arrête. Quelques secondes suffisent quand il faut des années pour construire quelque chose, pour construire sa vie. Quelques secondes suffisent aussi quand il faut des années pour mourir. La mort est si longue ! La mousse du temps émousse le souvenir de ce que nous fûmes. Elle nous absorbe, nous enfouit, nous entombe. Comme le lierre des pierres tombales tombe et recouvre les épitaphes, derniers vestiges par lesquels nous vivons encore. Quelques lettres d’or qui scintillent de leur reflet en guise du souvenir qui s’effacera, s’estompera et plongera dans les vastes oubliettes de l’oubli et de l’abandon. Un cimetière n’apparaît-il pas, d’ailleurs, comme le plus bel aveu d’impuissance de l’homme ? Nécropole des vanités présomptueuses. Charnier de ses superbes fatuités. Comme une insulte, un blasphème irrévérencieux à sa mégalomanie orgueilleuse… Les pierres y sont figées et froides, parfois même renversées, comme un coup du sort. Un coup d’éclat. Un coup d’état. La mort, tyrannique, renverse tout ! Et après le cortège des fleurs colorées, déposées avec chagrin, aux pétales de larmes sincères ou feintes, aux couleurs de la peine ou de l’hypocrisie, au parfum de la douleur ou non succèdera pourtant et en son temps la sécheresse. Ensuite, l’oubli. Enfin, l’abandon. Et jurent les collines verdoyantes ! Et outragent les arbres élancés, vigoureux et vivants, face au cimetière ! Antithèses disconvenantes, discordantes et dissonantes de ce champ de mort aride, sec et stérile. Séculaires témoins silencieux de la ronde des costumes de bois, leur chant n’est pas le même. Tous ces morts, invincibles, crâneurs, hâbleurs, se jouaient avec prétention de la vie. Comme nous tous. Jusqu’à ce que la mort nous rappelle. Nous happe. Nous fauche. Tragique et inéluctable rappel de ce qu’est la vie. De l’autre côté du versant, finie l’esbrouffe du charlatan ! Terminée la frime ostentatoire ! Un cimetière nous ramène à notre condition, sans lendemain et sans éternité. Tant de vanité et pourtant si pauvres, si démunis. Le sens de la vie est tel et tellement cruel qu’on préfère lui être infidèle. Comme s’émousse le souvenir, la vie va ainsi de même. Et s’éteignent les lettres d’or. Et s’effacent les dates, les noms, les prénoms. Et enfin, nous partons. Que c’est long de mourir !

En ces bois obscurs où nous campions, bien des choses nous assaillaient... Il ne serait pas tard avant que nous décampions !

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