Paresse vs Altruisme
Ce mercredi était la conclusion d'une effroyable guerre qui ravageait le monde d'Egos depuis plusieurs siècles. Ordre qui régnait sur tous les autres dieux avait été trahi et exécuté par des fidèles de Jalousie qui étaient parvenus à libérer Discorde, longtemps enfermée dans les entrailles stygiennes d'Egos.
Discorde s'assit sur le trône et rétablit le chaos originel, signant le commencement de la "Guerre des moeurs".
Deux camps se formèrent rapidement, l'un était commandé par Justice qui désirait rétablir le règne d'Ordre et punir Discorde. C'était le camp du Bien. A lui s'opposait le camp du Mal, dirigé par l'Opportunisme qui voyait dans ce coup d'Etat un moyen de s'accaparer le pouvoir. Discorde quant à elle s'était refugiée dans la salle du trône et les observait avec jubilation.
Le temps s'égrena, les rangs des deux camps s'amenuisaient au fil des siècles. Il y avait eu de rudes batailles que les mortels se contaient, à la chaleur des auberges, autour d'une bonne bière. Notamment celle d'Ivresse qui avait envoyé malencontreusement au tapis Modération en voulant s'en prendre à Raison. Et depuis on remplissait les chopes plus haut que le bord ! Un des affrontements les plus épiques était celui d'Altruisme contre Paresse dans le paisible village de Nonyme, situé dans le désert Saharahche.
Altruisme était radieux, la peau mordorée et entièrement nue - ayant fait don de tous ses atours -. Lorsqu'il descendit dans les rues du village, une chaleur réconfortante engloba le coeur des habitants mais ceux-ci étaient trop occupés à se reposer pour le saluer. Paresse s'était déjà installée depuis des temps immémoriaux et elle comptait, ici-bas, de nombreux disciples.
Altruisme déploya alors ses quatres ailes de plumes blanches et soyeuses et déclara d'une voix puissante et autoritaire :
"Paresse, libère le coeur des hommes et vient à ma rencontre que je puisse te partager le goût de ma lame."
On sentit une secousse remuer la pierre beige des bâtiments, faisant vaciller les spectateurs qui admiraient les traits fins et délicats d'Altruisme, qui leur rendit leur admiration avec un clin d'oeil. A cette secousse répondit la voix lente et caverneuse de Paresse :
"Flemme, elle bailla, on se battra demain", puis vint une seconde secousse. Paresse se retournait et de son imposante carrure faisait trembler le sol.
Altruisme se posa gracieusement sur le sol roussâtre, il faisait partie des dieux de la nouvelle génération, celle née des mortels. Ces nouveaux dieux naquirent grâce aux âmes des mortels les plus vertueux dont les esprits rejoignaient les cieux et se transformaient pour créer ces êtres superbes. L'ange avait gardé une apparence proche des humains, mais son caractère divin transparaissait par ses plumes duveteuses qui couvraient son dos svelte, sa peau aux teintes d'or, ses quatres bras puissants et l'halo lumineux qui l'entourait. Altruisme fut l'un des premiers à prendre les armes et à pourfendre les membres du mal en maniant ses quatres épées.
Son opposante, Paresse, était une déesse originelle. Elle était présente au Commencement, racontant à quel point la Création avait été fatigante aux autres, mais chacun peinait à croire qu'elle y ait pleinement participé. Son physique traduisait la puissance de la nature qu'elle incarnait. Elle mesurait trois mètres de haut de courbes séduisantes. Les mortels avaient rapidement succombé à son charme. Malgré son apparence gracile, son corps était plus lourd que le plomb, aucun talon n'avait résisté à la pression, elle se déplaçait donc pieds nus. Ses fines jambes blanches s'élançaient sous une longue robe noire flottante au tissu diaphane, laissant tout juste paraître le galbe de son bassin. Le vêtement remontait jusqu'au ras de son cou et se finissait par un petit col en dentelles blanc. Ses lèvres étaient couvertes d'un violet sulfureux, ses joues portaient une légère teinte rosée et une longue mèche brune lui couvrait ses yeux jaunes, caractéristiques des dieux.
Altruisme marcha lentement en direction de la voix trainante de Paresse. La détermination luisait dans son regard. L'ange était annonciateur de la fin du repos insidieux qui affligeait ce désert.
Quelques paresseux tentèrent de le ralentir dans sa marche au travers des rues de Nonyme, mais cela leur demandait une telle énergie simplement pour se lever, alors pour retenir l'ange... Il passa devant quelques étales vides pour fermeture exceptionnelle. Cela lui évoqua l'administration du camp du Bien et il sourit, cependant la vue de Paresse au bout de la rue l'effaça rapidement.
La déesse était affalée dans un divan au centre de la place du village, étalant tout son corps sur des coussins de velours. Des mortels lui massaient la plante des pieds, lui provoquant quelques ronronnements. Elle avait la tête en arrière, les cheveux se balançant doucement au dessus du sol, la bouche ouverte, attendant qu'on y glisse quelques raisins.
Altruisme toussa afin de faire remarquer sa présence. Mais les ronronnements de Paresse couvrait sa voix. Alors il reprit de plus belle. Elle tourna délicatement la tête et leva un sourcil en l'apercevant.
"Tu me veux quoi la luciole ? siffla-t-elle, On se battra demain, aujourd'hui c'est jour de repos.
- Un mercredi ?
- C'est tous les jours, jour de repos, imbécile."
La remarque piqua l'égo de l'ange, il était stupéfait de l'aplomb de la déesse originelle, de son langage et de son apparence affriolante.
" Il n'y a pas de repos pour les braves et si j'en crois la vision de tes accoutrements ridicules, c'est plutôt le jour des traînées ! Il fulminait.
- Pas de repos pour les braves ? Et qu'est-il arrivé à Bravoure qui ne se reposait jamais ? Il était si pressé de se battre qu'il s'est trompé de camp, réglant son compte à Pudicité d'ailleurs. "
Elle plongea ses yeux jaunes dans les siens et passa la main le long de sa robe, elle le défiait. Altruisme détourna le regard.
"Monstre de luxure, cesse de m'imposer l'exhibition de ton corps impur !"
Paresse rit à gorge déployée puis vint un grondement. Elle se dressa faisant chuter les petits mortels qui étaient à ses petits soins.
"Les nouveaux dieux sont si rabat-joies, souffla la déesse, approche petit ange, si tu veux mourir vient me chercher."
Mourir ? Cela ne lui avait pas effleuré l'esprit. Comment pouvait-il mourir contre Paresse ? Une déesse qui se prélassait éternellement. Même quand Torpeur, sa soeur, fut térassée par Stratège, elle refusa de se déplacer et fit venir les obsèques dans son palais. Elle ordonna aussi à la mort de faire un discours à sa place, et de l'abréger car elle s'ennuyait, même Ennui trouvait la remarque déplacée, bien que ses ronflements berçaient la cérémonie.
Altruisme répondit favorablement à l'invitation de son opposante, projetant l'une de ses lames en direction de sa tête, il voulait en finir rapidement. Quelques mèches brunes chutèrent, Paresse eut à peine le temps d'esquiver, haletante, elle avait vu de près le visage de la mort - hideux soit dit en passant-. "Petit bâtard, cracha-t-elle en essuyant la fine ligne de sang qui s'écoulait de sa tempe, tu sais combien de temps ça demande la repousse de cheveux comme les miens ?
- Non pas vraiment et bientôt ce sera le cadet de tes soucis."
Altruisme était chauve et il n'avait donc vraiment aucune idée du temps que demandait une repousse de cheveu.
Il leva le bras qui avait projeté son épée et la lame répondit à l'appel faisant demi-tour dans les airs, désirant retrouver son propriétaire. L'épée siffla, fonça mais quand la pointe atteignit la peau blanche du dos de la déesse, elle éclata en une détonation lumineuse.
"Charmant feu d'artifice", sourit Paresse.
Altruisme n'en revenait pas. Les épées qu'il maniait étaient loin d'être ordinaires, elles avaient été forgées dans l'or le plus pur et la lave la plus ardente. par Méticulosité en personne. Voir une telle arme réduite en morceaux comme une brindille sous le talon était incroyable. Et la désinvolture de son adversaire le déstabilisait encore davantage.
Elle se leva. "Les braves attaquent leurs adversaires dans leurs dos maintenant ? Si c'est dont tout ce que tu as, ce sera rapide et sans effort. J'adore.", elle applaudit jovialement.
Altruisme hurla de rage, serra ses trois épées et se propulsa grâce à ses ailes vigoureuses, dégageant un vent puissant aux senteurs de miel. Les mortels prirent plaisir à humer la fragrance. L'ange, dans sa vélocité, était à peine perceptible, aussi bien qu'au moment de la puissante explosion qui résonna à l'impact, nul ne sut qui des deux dieux avaient frappés. Le nuage de poussières qui enveloppait les combattants se dissipa. La foule était estomaquée. Paresse apparut, face contre terre et le dos constellé de fragments dorés formant l'adage "On reçoit ce que l'on donne". Le même qui ornait les quatres lames de l'ange. Lui, se tenait fièrement, malgré l'épuisement. Son torse ondoyait avec peine, sa respiration était lourde. Il avait tout misé sur cette ultime attaque.
La déesse se liquéfia en un liquide sirupeux à l'odeur nauséabonde. Les villageois se pincèrent le nez. L'ange piétina la flaque, ultime vestige de Paresse, de son pied gauche et conseilla aux mortels : "Plongez-y votre pied gauche, mortels, cela porte bonheur." Il éclata d'un rire sublime qui se transmit aussitot parmi la foule. Il reprit : "Afin que chacun d'entre vous se souvienne de la bonté que les dieux vous ont offert en ce jour.". Il s'agenouilla ensuite au sol et murmurra. La vie s'insuffla dans les terres autrefois arides. La sècheresse de la terre fit place à toute sorte de champs: des céréales, des fleurs, des fruits et des légumes. "La paresse a été anihilée de vos contrées, reprenez vos récoltes, travaillez avec ardeur et aimez vos dieux, il leva son index, les bons dieux. Ceux qui encouragent ce qu'il y a de meilleur en vous, ceux qui vous chérissent et vous protègent. Si je suis descendu en ce mercredi, c'est pour vous afin de vous mettre sur la bonne voie.".
Altruisme leva ses quatre mains au-dessus du sol. La flaque frémit et les éclats de son épée s'en extirpèrent pour se figer sur le clocher de l'église. Le métal doré s'infiltra dans la pierre et inscrivit l'adage de l'ange.
- Pour l'oiseau de miel, hourra ! entonna la foule.
- En fait c'est ...
- Pour l'oiseau de miel, hourra ! reprit-elle.
- Enfin peu importe...", capitula le dieu avant de retourner aux plus hauts des cieux.
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